L’ARCHÉOMÈTRE
(suite)(*)

Nous avons vu précédemment que l’alphabet watan, comme tout alphabet solaire et par conséquent régulier, comprend vingt-deux lettres se divisant en trois constitutives correspondant aux trois Principes divins, sept doubles correspondant aux sept planètes, et enfin douze simples correspondant aux douze signes zodiacaux ; nous étudierons par la suite les raisons de ces divisions.

On trouvera dans le tableau que nous avons donné plus haut (p. 186) les correspondances des différentes sortes de lettres telles qu’elles sont données par l’Archéomètre, mais il importe de remarquer que ce ne sont pas celles qu’indique le Sépher Ietzirah pour l’alphabet hébraïque. En effet, l’ancien alphabet s’étant perdu à l’époque de la captivité de Babylone, lorsque Esdras voulut reconstituer le texte de la Thorah, il se servit d’une écriture kaldéenne, ou plus exactement assyrienne, qui est l’écriture hébraïque dite carrée, encore employée aujourd’hui(14). Le nouvel alphabet eut vingt-deux lettres comme l’ancien, mais les correspondances furent modifiées et devinrent celles que l’on retrouve dans le Sépher Ietzirah.

D’après l’Archéomètre, les correspondances sont les suivantes(15) :

Voici maintenant quelles sont les modifications dont nous venons de parler. On a permuté מ et ס, ש et ת, de façon à remplacer le mot אסת (Asoth), formé par l’ensemble des trois lettres constitutives, par אמש (Emesh)(16) ; on a permuté également נ et ר, פ et צ. Aux planétaires placées dans l’ordre alphabétique, on a fait correspondre les planètes dans l’ordre astrologique (en commençant par Saturne), ce qui change totalement les correspondances, bien que, parmi les sept nouvelles planétaires, on retrouve quatre des anciennes(17). Les sept premières zodiacales restent les mêmes ; mais ensuite on replace נ à son rang alphabétique, ce qui le fait correspondre au Scorpion (auquel correspondait primitivement מ), et fait en même temps reculer d’un rang toutes les zodiacales suivantes. Finalement, les nouvelles correspondances sont donc celles-ci :

Ces correspondances sont celles que l’on trouve dans le Sépher Ietzirah.

Nous devons encore ajouter à ce qui précède une remarque sur l’ordre des lettres planétaires dans l’alphabet watan.

Comme il est facile de le voir, Saturne occupe ici le dernier rang ; les trois planètes suivantes, Jupiter, Mars et le Soleil, correspondent, dans leur ordre astrologique, aux trois lettres centrales prises dans l’ordre alphabétique ; Vénus et Mercure correspondent respectivement à la seconde lettre et à l’avant-dernière ; enfin, la Lune occupe le premier rang, de sorte que les deux planètes extrêmes, Saturne et la Lune, sont placées aux deux extrémités de la série des lettres planétaires.

Quant aux lettres zodiacales, leur ordre alphabétique correspond à l’ordre naturel des signes auxquels elles se rapportent.

En additionnant les valeurs numériques des lettres constitutives, d’après l’Archéomètre (A = 1, S = 60, Th = 400), on trouve 461, ou DVA (en remplaçant les chiffres par les lettres correspondantes), en sanscrit Dêva, divinité ; 4 + 6 + 1 = 11, qui est le nombre de la Force(18). Les valeurs numériques des lettres planétaires additionnées (B = 2, G = 3, D = 4, C = 20, N = 50, Ts = 90, Sh = 300) donnent 469, ou DVT, en sanscrit Dêvata, déité ; 4 + 6 + 9 = 19, 1 + 9 = 10 = י, le principe. De même, les valeurs numériques des lettres zodiacales (H = 5, V = 6, Z = 7, H’ = 8 (19), T = 9, I = 10, L = 30, M = 40, Ô = 70, Ph = 80, K = 100, R = 200) donnent 565, ou הוה, Vie absolue, équivalant au sanscrit Jîva, la Vie universelle ; l’ensemble des lettres planétaires et des lettres zodiacales, considérées de cette façon, donne donc יהוה, et ainsi elles sont toutes contenues en principe dans le Tétragramme(20). En additionnant les valeurs des 22 lettres, on a : 461 + 469 + 565 = 1495, ou ADTE, en sanscrit Aditî(21), indivisible vie ; d’ailleurs, 1 + 4 + 9 + 5 = 19, 1 + 9 = 10, car l’alphabet tout entier est contenu en potentialité dans י, le principe(22).

De ce qui précède, il ressort donc que les lettres mères ou constitutives correspondent à l’idée de Divinité, les lettres planétaires à l’idée de Principe, et en particulier de Principe actif, et enfin les lettres zodiacales à celle de milieu vital dans lequel s’exerce l’action du Principe.

On remarquera que, sur les 22 lettres constituant l’alphabet watan, il n’y en a que 19 qui figurent dans l’Archéomètre(23), 12 zodiacales, ou simples, et 7 planétaires, ou doubles(24) ; il en manque donc 3, qui sont justement les trois lettres mères ou constitutives :  (A),  (S), et  (Th), dont nous avons maintenant à étudier la formation.

Si l’on sectionne, suivant le diamètre horizontal, la figure circulaire constituant l’ensemble de l’Archéomètre, de façon à la partager en deux demi-cercles, et si l’on fait ensuite accomplir au demi-cercle supérieur une rotation autour de la tangente à l’extrémité droite du diamètre horizontal (parallèle à l’axe vertical de la figure), de façon à lui faire occuper par rapport à celle-ci une position symétrique de sa position primitive(25), on obtient une figure synthétique représentant l’ensemble des lettres  (A),  (S), et  (Th) ; (A) est formé par le diamètre horizontal, (S) par les points centraux, et (Th) par le développement de la circonférence. La réunion de ces trois lettres forme le mot ASoTh, ainsi que nous l’avons déjà dit précédemment.

La lettre (A) représente l’unité, (S) le binaire, et (Th) la multiplicité. Dans le monde envisagé par rapport à nous, l’unité correspond à l’esprit, la multiplicité à la matière, et le terme intermédiaire ou équilibrant est la vie ; par suite, l’ensemble de ces trois lettres peut être regardé comme représentant l’Univers divisé en trois plans : spirituel(26), astral(27), et matériel(28).

À un point de vue plus universel, et en même temps plus métaphysique, on peut dire que le premier terme correspond au Principe divin, subsistant en soi et par soi, indépendamment de toute action et de toute manifestation ; le second terme représente l’action du Principe, qui produira toutes les manifestations en s’exerçant sur la Passivité universelle (principe féminin), qui contient toutes les possibilités(29), et qui est figurée par le troisième terme. Si l’on applique ceci à un être, le premier terme est le principe spirituel, le Soi (Âtmâ) ; le second est l’être en tant qu’il se manifeste (Jîvâtmâ) ; enfin, le troisième est le milieu dans lequel se produisent les manifestations de l’être, ou l’ensemble des cycles ou stades à travers lesquels évoluent ces manifestations. On peut regarder par conséquent l’ensemble des deux premières lettres, As, comme désignant l’être indépendamment de son milieu, tandis que Asoth, à ce point de vue, désignera l’être situé dans le milieu où s’accomplit son évolution.

Le symbole hiéroglyphique exprimé par le mot Asoth peut être figuré de la façon suivante :

et l’on a ainsi un symbole qui se retrouve jusqu’en Chine(30), ce qui montre encore que toutes les traditions, même les plus différentes en apparence, proviennent originellement d’une source commune.

C’est la figure de l’Œuf du Monde au sortir du chaos, ce que la Genèse décrit comme la séparation du jour et de la nuit, de la lumière et des ténèbres, séparation qui n’est d’ailleurs opérée qu’en principe, car le caractère binaire de ce symbole n’existe qu’en tant que nous le considérons comme tel, pour concevoir le Monde sous un aspect intelligible. Cette conception de l’Œuf du Monde (Brahmânda), que l’on retrouve au début de toutes les Cosmogonies, peut être envisagée par analogie avec la constitution de la cellule dans un organisme vivant, animal ou végétal. Une cellule comprend trois éléments principaux : un noyau, du protoplasma et une membrane ; on voit déjà par là que l’on pourrait faire correspondre le noyau à , le protoplasma à , et la membrane à , car l’unité est toujours ce qu’il y a de plus central, de plus intérieur, et l’apparence extérieure est la multiplicité. De plus, le noyau est formé par une modification ou une différenciation, une sorte de condensation du protoplasma environnant (condensation qui est indiquée par une plus grande réfringence), et il comprend un certain nombre de chromosomes constituant les éléments essentiels du filament nucléaire, qui se divise dans la karyokinèse (processus de la bipartition cellulaire) ; dans le protoplasma, au voisinage du noyau, existent deux sphères directrices ou centrosomes, qui correspondent exactement ici aux deux points de la lettre  ; ces deux sphères sont les centres de forces, ou, si l’on veut, les pôles de la cellule, analogues aux deux foyers de l’ellipse, et jouent un grand rôle dans la division cellulaire, rôle qui leur a valu leur nom de sphères directrices(31).

On doit retrouver les mêmes éléments dans le Monde, et en particulier dans un système solaire, qui est une cellule de l’Univers ; ici, le noyau devra être regardé comme formé par l’ensemble des planètes, le protoplasma est constitué par l’Éther interplanétaire, et la membrane est l’enveloppe zodiacale. Sous l’action des deux centres de forces correspondant aux deux sphères directrices, l’un visible et l’autre invisible (que l’on peut, si l’on veut, appeler symboliquement le soleil blanc et le soleil noir), l’Éther primordial homogène, תהוּ ובהוּ, invisible et sans forme, qui n’est encore qu’en puissance d’être, à l’état de pure possibilité, se différencie et s’organise suivant des lignes de force qui, théoriquement, sont des ellipses concentriques ayant pour foyers les deux centrosomes. Cette différenciation, qui est une condensation, produit la matière physique sous ses quatre états : radiant, gazeux, liquide et solide, qui sont les quatre éléments des anciens (Feu, Air, Eau et Terre) ; l’Éther lui-même, l’Âkâça des Hindous, est le cinquième élément, la Quintessence des alchimistes(32). La matière physique ainsi produite forme les planètes et leurs satellites, qui constituent alors comme autant de chromosomes restant séparés au lieu d’être réunis comme dans la cellule ; c’est pourquoi on peut dire, analogiquement, que leur ensemble constitue le noyau du système solaire.

L’Éther ou la Quintessence est donc l’élément primitif, l’unique corps simple dont tous les autres ne sont que des modifications ; c’est l’Éther qui, en se condensant à divers degrés, a produit successivement les quatre éléments physiques(33) ; mais il ne faut pas confondre cet Éther (ni à plus forte raison l’élément Air) avec ce que les alchimistes appellent Asoth, car, tandis que l’Éther n’est que le principe plastique du monde matériel, l’Asoth est le principe spirituel des Forces astrales, qui, envisagées collectivement, sont alors appelées Astaroth(34).

Il est bien entendu que cet exposé de la constitution d’un système solaire est tout théorique et schématique ; d’ailleurs, le processus réel de formation doit être différent dans chaque cas particulier, mais on y retrouve toujours les mêmes analogies, car la multiplicité des manifestations matérielles procède d’un principe unique.

Nous bornerons là, du moins pour le moment, ces remarques déjà longues sur le mot ASoTh et ses significations ; nous devrions maintenant étudier le symbolisme des différentes lettres planétaires et zodiacales de l’alphabet watan, mais il sera nécessaire d’exposer tout d’abord certaines autres considérations générales, qui, comme tout ce qui précède, se rapportent encore à l’Archéomètre envisagé dans son ensemble.

(À suivre.)