Francmaçonnerie
et Sociétés Secrètes
(suite)
V(*)

Russie. – « À l’époque où les sociétés politiques s’organisaient en Pologne, il s’en formait également dans l’empire russe. Quelques jeunes officiers qui avaient fait les dernières guerres et avaient eu occasion d’être agrégés aux sociétés politiques allemandes et d’apprécier les avantages du régime constitutionnel appliqué parmi nous, s’occupèrent, à leur retour en Russie, en 1816, à naturaliser dans leur patrie l’institution des sociétés secrètes, afin d’arriver plus tard, par leur secours, à modifier dans un sens populaire la constitution et les lois de l’État. Cependant leur dessein ne reçut son exécution qu’en 1817. En cette année, ils instituèrent l’union du salut ou l’association des vrais et fidèles enfants de la patrie, qui eut pour principaux chefs les colonels Alexandre Mouravieff, Pestel et Troubecki, le capitaine Nikita Mouravieff et deux autres officiers appelés Serge Troubecki et Yakouchkine. Elle se divisait en trois classes : les frères, les hommes et les boïars. Les anciens, ou directeurs de la société, étaient choisis parmi les membres de ce dernier grade. Les réceptions étaient accompagnées de cérémonies solennelles empruntées à la franc-maçonnerie. Avant d’être initiés, les candidats s’engageaient par serment à garder le secret sur tout ce qui leur serait confié, lors même que leurs opinions et leurs vues ne s’accorderaient pas avec celles de la société. À leur admission, ils prêtaient un second serment, et juraient de concourir de tous leurs moyens à l’accomplissement du but de l’union et de se soumettre constamment aux décisions du conseil suprême des boïars.

« Dans le moment même où l’union du salut se constituait, le général-major Michel Orloff, le comte Mamonoff et le conseiller d’état Nicolas Tourguéneff jetaient les fondements d’une autre agrégation sous le titre de société des chevaliers russes. Celle-ci eut d’abord pour objet de mettre un terme aux concussions et autres abus qui s’étaient glissés dans l’administration intérieure de l’empire ; mais, bientôt après, le bruit ayant couru que l’empereur Alexandre avait le projet de rétablir la Pologne dans ses anciennes limites et dans son indépendance, projet qu’on attribuait aux suggestions des sociétés secrètes polonaises, les chevaliers russes se proposèrent de mettre obstacle à la réalisation de ce dessein présumé. Les deux sociétés eurent des conférences à l’effet, soit de se fondre en une seule, soit de travailler de concert à l’accomplissement de leurs vues respectives ; mais ces pourparlers n’eurent aucun résultat, et les chevaliers russes ne tardèrent pas à se dissoudre.

« De son côté, l’union du salut ne faisait aucun progrès. Son organisation était généralement critiquée. On voulut la modeler sur le tugend-bund allemand ; mais cette proposition n’eut pas de suite : on préféra refondre les statuts, modifier le but de la société. Ces changements furent opérés, et l’association changea son titre en celui d’union du bien public. L’objet qu’elle se proposa, à partir de ce moment, était tout patriotique. “Il n’a, disait-elle, rien de contraire aux vues du gouvernement, lequel, malgré sa puissante influence, a besoin du concours des particuliers.” Elle voulait “servir d’auxiliaire au gouvernement pour faire le bien.” Elle déclarait que, “sans cacher ses intentions aux citoyens dignes de s’y associer, elle poursuivait néanmoins en secret ses travaux, pour les soustraire aux interprétations de la malveillance et de la haine”. Les membres étaient divisés en quatre sections ou branches. La première avait pour mission de surveiller tous les établissements charitables, d’en dénoncer les abus et d’y apporter des améliorations. Les membres de la seconde section s’occupaient de l’éducation de la jeunesse ; l’inspection de toutes les écoles leur était confiée. La troisième section portait son attention particulière sur la marche des tribunaux. La quatrième avait dans ses attributions l’étude de l’économie politique, et elle devait s’opposer à l’établissement des monopoles. Il n’y avait point de cérémonies spéciales pour les initiations. Le récipiendaire remettait seulement une déclaration écrite d’adhésion au but de la société, et plus tard cette déclaration était brûlée à son insu. Chaque membre devait verser dans une caisse commune la vingt-cinquième partie de son revenu annuel, et obéir aux lois de l’union. Toute la société était gouvernée par un comité appelé direction centrale.

« Dans la suite, le but que se proposait l’union du bien public se modifia considérablement dans l’esprit de beaucoup de ses membres ; il ne s’agit plus pour ceux-ci du simple redressement des abus et de l’introduction d’améliorations successives dans le régime intérieur du pays, mais de l’établissement de la forme républicaine. Seulement il fut résolu entre eux que si l’empereur Alexandre donnait de bonnes lois à la Russie, ils se soumettraient à leur exécution et renonceraient à réaliser leurs vues. Cependant de profondes dissidences ayant éclaté dans les rangs de la société, il fut déclaré, au mois de février 1821, que l’union du bien public était dissoute ; et les statuts et les autres documents furent livrés aux flammes. Mais ce n’était là qu’une dissolution apparente, du moins pour une grande partie des affiliés, qui pensaient que la définition trop vague du but de l’union avait nui à son action et à son développement, et qui d’ailleurs n’étaient point fâchés de trouver une occasion d’éloigner certaines personnes dont le zèle s’était refroidi ou qui ne se montraient point dociles à exécuter les décisions de la direction centrale. Cette majorité de l’union du bien public fonda, en conséquence, à la fin de 1822, une association nouvelle qui prit le titre d’union des boïars. Les adeptes furent partagés en deux classes : les adhérents et les croyants. Les derniers étaient seuls initiés aux desseins véritables de la société. Les autres étaient en quelque sorte des novices dont on étudiait les dispositions et qui n’étaient ensuite admis à la deuxième classe qu’avec une extrême réserve. Cette société arrêta un projet de constitution pour la Russie. La forme monarchique y était conservée ; mais l’empereur n’avait qu’une autorité très limitée, semblable à celle qu’exerce le président des États-Unis d’Amérique ; et les provinces de l’empire formaient des États indépendants unis entre eux par un lien fédératif. Il paraîtrait néanmoins que cette constitution était transitoire, et qu’on se proposait d’établir effectivement un gouvernement républicain. Cette tendance conduisit les associés à examiner ce qu’ils feraient de l’empereur quand la république serait établie, et la conclusion fut qu’il faudrait lui donner la mort. Quoiqu’il y eut quelques dissidences d’opinions sur ce point, on finit cependant par ramener les opposants, et l’union des boïars dégénéra en une véritable conjuration.

« Ceci se passait en 1824. À cette époque, on apprit l’existence de la Société patriotique polonaise. On résolut de se mettre en rapport avec elle, afin de parvenir plus facilement, par le concours et l’assistance réciproque des deux sociétés, à l’accomplissement des projets qu’on avait formés. Il y eut en effet des pourparlers entre le Russe Bestoujeff Rumine et le Polonais Krzyzanowski. Les conditions du pacte furent facilement arrêtées. L’union des boïars s’engagea à reconnaître l’indépendance de la Pologne, et à lui restituer celles des provinces détachées de ce royaume où l’esprit de nationalité n’était pas encore détruit. De son côté, la société polonaise promettait de s’opposer par tous les moyens à ce que le grand-duc Constantin se rendît en Russie quand la Révolution y éclaterait, d’opérer un soulèvement simultané, et d’établir un gouvernement républicain en Pologne. Toutefois ces relations entre les deux sociétés ne paraissent pas avoir eu d’autres suites, les concessions faites aux Polonais ayant soulevé de vives oppositions parmi les membres de l’association moscovite.

« Sur ces entrefaites, l’union des boïars fut mise en rapport avec une autre agrégation russe appelée les Slaves réunis, qui avait été fondée en 1823 par le sous-lieutenant d’artillerie Borissoff. Celle-ci avait pour but de réunir tous les peuples d’origine slave par un lien fédératif et sous un même régime républicain, sans porter d’ailleurs obstacle à leur indépendance respective. Cette société n’était pas nombreuse, et les membres qui la composaient, recrutés dans les rangs inférieurs de l’armée, étaient dépourvus d’influence ; aussi la décida-t-on facilement à se fondre dans l’union des boïars.

« Les conjurés avaient tout préparé pour une insurrection, lorsque les révélations du capitaine Mayboroda mirent le gouvernement sur les traces du complot. Pestel, chef de la société dans le sud de la Russie, fut arrêté. Cet événement, qui répandit l’inquiétude parmi les affiliés, leur fit suspendre l’exécution de leurs projets. La mort de l’empereur Alexandre, arrivée en 1825, contribua encore à paralyser leur action. Cependant ils ne tardèrent pas à se rassurer, et ils songèrent sérieusement à mener à fin leur entreprise. Les conférences se multiplièrent, et le jour de l’insurrection fut fixé au 14 décembre. Le signal en fut donné par le refus que firent les matelots de la flotte, à l’instigation de leurs officiers, de prêter serment de fidélité au nouvel empereur. Ces officiers furent arrêtés. Quelques-uns des conjurés tentèrent de les délivrer à force ouverte. Un d’entre eux s’écria : “Soldats, entendez-vous ces décharges ? Ce sont vos camarades que l’on massacre”. À ces mots, le bataillon entier sortit de la caserne et se joignit au régiment de Moscou, et à celui des grenadiers du corps, qui étaient aussi en pleine révolte. La lutte était engagée ; des deux parts, le sang coula ; mais bientôt les insurgés, abandonnés de leurs chefs, qui avaient reconnu trop tard l’impossibilité du succès, se virent réduits à mettre bas les armes. La plupart des conspirateurs furent arrêtés et livrés aux tribunaux. Trente-six furent condamnés à mort ; les autres, à l’emprisonnement ou à l’exil en Sibérie.

« Il ne paraît pas cependant que cette catastrophe ait tout à fait découragé les membres de l’union des boïars qui purent se soustraire au châtiment. Dans le cours de 1838, une société secrète, évidemment formée des débris de celle-là, fut découverte à Moscou, et neuf de ses membres, appartenant à la noblesse, soupçonnés d’en être les chefs, se virent condamnés à servir dans l’armée russe en qualité de simples soldats. Le prince Galitzin, gouverneur général de Moscou, fut obligé de résigner ses fonctions, pour n’avoir pas dénoncé cette association, dont il connaissait l’existence. »

Italie. – « L’auteur de l’histoire de l’assassinat de Gustave III, roi de Suède, prétend qu’il s’était établi, à Rome, en 1788, une société secrète qui prenait le titre de Tribunal du Ciel ; mais il n’appuie son assertion d’aucune preuve, et nos recherches à cet égard ont été sans résultat. La première association secrète politique qu’on voit apparaître en Italie est celle des Carbonari ou charbonniers. Elle fut fondée, vers 1807, par M. Briot, conseiller d’état à Naples, sur le plan du compagnonnage des charbonniers dont nous avons parlé dans notre chapitre précédent. L’objet primitif de cette association était purement philanthropique ; mais la reine Caroline d’Autriche, qui, après son expulsion du trône de Naples, s’était réfugiée en Sicile sous la protection des Anglais, parvint à faire adopter par beaucoup de membres de la carbonara un but exclusivement politique, tendant au rétablissement de sa dynastie. En échange du secours qu’ils lui auraient prêté, elle leur promettait un gouvernement fondé sur une sage liberté. Les conjurés formèrent une section du carbonarisme, qui se donna spécialement la dénomination d’unionistes. Murat eut vent de cette conspiration, et, dans l’impossibilité de saisir les vrais coupables, il tenta de dissoudre la société tout entière. Sur ces entrefaites, quelques brigands ayant paru dans les Calabres, le général Menès fut envoyé pour les réduire ; mais il avait pour mission réelle de poursuivre les carbonari. Cet homme cruel, ne prenant conseil que de ses instincts sanguinaires, outrepassa de beaucoup les ordres rigoureux qu’il avait reçus. Il invitait à sa table les carbonari qu’il supposait partisans de l’ancien ordre des choses, et au dessert, il les faisait fusiller ou attacher nus et enduits de miel aux arbres de la route, pour qu’ils périssent lentement par les piqûres des mouches. Lorsque les carbonari virent que ces atrocités restaient impunies, ils se rallièrent tous au projet de renversement que nourrissaient les unionistes, et Murat eut en eux les plus implacables ennemis. Vainement essaya-t-il plus tard de les rallier à sa cause par une protection éclatante ; il les avait trop profondément blessés ; et ils ne se servirent de l’appui qu’ils recevaient de lui que pour travailler plus efficacement à sa ruine.

« Ferdinand remonta sur le trône de Naples, en 1815 ; mais loin de donner satisfaction aux besoins de liberté que Caroline avait fait naître parmi les carbonari, il poursuivit leur société avec le plus grand acharnement, comme professant et propageant des principes révolutionnaires. Toutes les Vendite, ou loges, furent fermées ; leurs papiers, livrés aux flammes ; et beaucoup de leurs membres plongés dans les cachots. Au lieu d’anéantir la carbonara, ces rigueurs lui imprimèrent, au contraire, une nouvelle activité ; elle se grossit de tous les mécontents dont les actes du gouvernement augmentaient chaque jour le nombre ; au mois de mars 1820, les personnes inscrites s’élevaient, dans moins de la moitié de l’Italie, à six cent quarante-deux mille, et l’armée qui avait de nombreux griefs, entrait dans ce chiffre pour une notable partie. Il ne fallait qu’une étincelle pour embraser tout le royaume ; elle partit de Nola, le 2 juillet 1820. Cinq jours après, le carbonarisme avait opéré la révolution de Naples, et la constitution des Cortès était devenue celle du pays. Le drapeau national avait les trois couleurs de l’association : le noir, qui représente le charbon éteint ; le rouge, qui fait allusion au charbon allumé ; et le bleu de ciel, qui désigne la flamme.

« Une révolution semblable s’accomplissait vers le même temps dans le Piémont, par le concours d’une autre société secrète en relation avec le carbonarisme, qui était désignée sous le nom d’association des Sublimes Maîtres Parfaits. Cette société, qu’on prétend avoir été instituée en 1818, et avoir succédé à celles des Adelphes, des Italiens libres, des Amis de l’Union et des Frères Écossais, dont on retrouve des traces, dès 1816, était partagée en deux grades : le Maître Sublime ou Maçon Parfait, et le Sublime Élu. Les réunions partielles prenaient les dénominations d’églises et de synodes, et dépendaient d’un comité central qu’on appelait le Grand-Firmament.

« On connaît l’issue de ces deux mouvements politiques. Effrayés de la puissance des sociétés secrètes, les gouvernements italiens s’attachèrent, par tous les moyens, à les extirper du sol de la Péninsule. Ils rendirent contre elles les édits les plus rigoureux et remplirent les prisons de ceux de leurs membres qu’on parvint à saisir. Toutes ces mesures furent impuissantes ; les associations continuèrent de subsister ; et, après les événements de juillet 1830, on les voit faire de nouveaux efforts pour assurer la liberté de l’Italie. Vaincues dans ce dernier combat, mais non détruites, elles ont depuis, à diverses époques, donné encore signe de vie. »

France. – « Un écrivain(1) plus spirituel que véridique a publié, au commencement de 1815, l’histoire d’une société secrète qui aurait existé, sous l’empire, dans les rangs de l’armée française, aurait eu pour dénomination les Philadelphes, et pour chef, un officier appelé Jacques-Joseph Oudet. Tout ce que l’auteur rapporte de cette prétendue société est inventé à plaisir, et son livre n’est qu’une ingénieuse mystification. Des agents provocateurs ont essayé, après les Cent-Jours, sur plusieurs points de la France, notamment dans les départements méridionaux, de réaliser cette société imaginaire, mais tous les officiers qu’ils voulurent embaucher eurent assez de bon sens pour ne point se laisser prendre à ce piège.

« À la même époque, s’établissait une association qui avait pour titre les Francs régénérés. Elle se composait d’ultra-royalistes, avait son siège à Paris et se réunissait rue du Gros-Chenet, à la galerie Lebrun. Ses ramifications s’étendaient dans tous les départements. Quoiqu’on dît de ses membres qu’ils étaient plus royalistes que le roi, ce n’étaient au fond que des ambitieux qui s’étaient engagés à se pousser réciproquement aux emplois publics, sous le prétexte avoué de servir plus efficacement les intérêts du trône et ceux de l’autel. Il faut rendre cette justice au gouvernement de la Restauration qu’il se hâta de dissoudre cette société, formée d’ailleurs, en presque totalité, d’hommes absolument incapables.

« Une agrégation d’un tout autre genre, connue sous le nom de charbonnerie, s’organisa à Paris au commencement de 1821. Elle n’était point une branche du carbonarisme, dont elle avait cependant adopté le titre, les symboles et les pratiques ; elle n’en était qu’une imitation. Deux membres de la loge des “Amis de la Vérité”, MM. Joubert et Dugied, s’étaient rendus en Italie, après l’avortement de la conspiration du 19 août 1820, dans le but d’offrir leurs services au nouveau gouvernement napolitain. Là, ils avaient été reçus carbonari. Lorsque l’ancien gouvernement eut repris les rênes de l’État, ils revinrent à Paris, et proposèrent au conseil d’administration des “Amis de la Vérité” d’instituer une société politique sur les bases du carbonarisme. Leur projet fut accueilli, et la charbonnerie française prit naissance. Elle eut pour fondateurs MM. Buchez, Bazard, Flotard, Limpérani, Carriol, Joubert et Dugied. Elle commença ses opérations par la rédaction de ses statuts. Dans une déclaration qui les précédait, on lisait en substance que, « la force ne constituant pas le droit, et les Bourbons ayant été ramenés par l’étranger, les charbonniers s’associaient pour rendre à la nation Française le droit qu’elle a de choisir le gouvernement qui lui convient. » Suivait le plan de l’organisation de la charbonnerie. Un comité appelé haute vente la présidait. De ce comité, dépendaient directement des ventes centrales, dans lesquelles deux membres de la haute vente remplissaient les fonctions, l’un, de député, et correspondait avec la haute vente ; l’autre, de censeur, et contrôlait les opérations de la vente centrale. Des ventes particulières, fractionnement de chaque vente centrale, permettaient de multiplier le nombre des agrégations inférieures, sans attirer l’attention de l’autorité. Chacune de ces subdivisions de la société s’assemblait isolément, et tout au plus un des membres de l’une connaissait l’existence de l’autre. La peine de mort étaient portée contre tout charbonnier qui eût tenté de s’introduire dans une vente à laquelle il n’appartenait pas. Indépendamment de cette organisation purement civile, il y avait une organisation militaire, avec les subdivisions de légions, de cohortes, de centuries et de manipules. Tout charbonnier était tenu d’avoir en sa possession un fusil et cinquante cartouches, et devait être constamment prêt à obéir aux ordres de ses chefs inconnus. L’histoire de la charbonnerie a été publiée tant de fois et l’on sait assez qu’elle eut pour chef le général Lafayette, qu’elle a participé aux affaires de Colmar, de Semur, de Belfort, de la Rochelle, et à toutes les tentatives d’insurrection qui eurent lieu pendant les dernières années de la restauration, pour qu’il soit inutile de retracer ici les détails de sa coopération à ces événements.

« L’exécution des quatre sous-officiers de la Rochelle vint porter un rude coup à la charbonnerie française. D’un autre côté, le nombre des ventes s’était tellement accru que la haute vente en avait laissé échapper les fils et ne pouvait plus leur imprimer une direction. Il était résulté de là que toutes les opinions politiques hostiles à l’ordre de choses existant avaient trouvé accès dans la charbonnerie. Il y avait des ventes républicaines ; il y en avait de Bonapartistes et d’Orléanistes. Cette anarchie amena graduellement la dissolution de la société. Seulement, lorsque parurent les ordonnances de juillet 1830, les débris de la charbonnerie se rencontrèrent les armes à la main partout où il y avait à combattre, et contribuèrent puissamment au succès et à l’affermissement de la révolution.

« La fermentation qui suivit la victoire produisit l’établissement de la société des amis du peuple. Plus tard, cette société se fondit dans celle des droits de l’homme et du citoyen. L’existence de celle-ci fut d’abord publique ; mais les poursuites dont elle devint l’objet ne tardèrent pas à la transformer en société secrète. Une partie de ses membres les plus ardents, qui ne pouvaient se plier à la marche progressive adoptée par le reste des associés, avait déjà subi cette métamorphose, en se constituant sous le titre de société d’action. Les chevaliers de la fidélité, association secrète composée de légitimistes, tentèrent sans succès, vers cette époque, d’être admis à faire cause commune avec la société républicaine. Cependant celle-ci étendit ses ramifications dans les départements. À Lyon, il en sortit ou il se réunit d’autres sociétés secrètes d’ouvriers, telles que les mutuellistes, les ferrandiniers, les hommes libres, etc. Toutes ces associations coopérèrent, à Paris, à Lyon, et dans d’autres villes, à l’insurrection du mois d’avril 1834. De leurs débris, se formèrent, à Paris, la société des familles, et postérieurement celle des saisons, qui prit part aux événements des 12 et 13 mai 1839. Enfin, dans ces derniers temps, l’invasion des idées saint-simoniennes et fouriéristes, entées sur le républicanisme, donna naissance à d’autres sociétés secrètes qui ont pris les titres de communistes, de travailleurs égalitaires, etc. »

(À suivre.)