Francmaçonnerie
et Sociétés Secrètes
(suite)
X(*)

Druides (Complément)

Bélisama répondait à la Minerve des Romains(1) ; César se borne à en dire qu’elle enseignait les arts et les travaux ; observation superficielle, ce qui n’étonne guère dans ce théologien sceptique. À s’en tenir aux inscriptions connues et à l’étymologie de ce nom, Bélisama, parèdre de Bélénos, se confondait plutôt avec la Sulis britannique, ou d’autres déités favorables au bien-être des hommes et personnifiées aussi dans les eaux ou dans le soleil.

Camoul (Camoulos) était le Mars celtique, d’après des inscriptions positives(2), et la racine de ce nom, en irlandais kam, kama, puissant, courageux. C’était l’un des grands dieux nationaux du peuple le plus belliqueux de l’ancien monde. Il faut bien en convenir, en voyant le grand nombre de noms dans la composition desquels entre celui de Camoul, noms de chefs, de femmes, de villes, de peuplades, de contrées, Camulogène, Camma, Camilla, Camulognata, Andecamulenses, Camulossesa, Camulodunum.

À mesure que nous avançons dans cette étude de la religion gauloise, ce sujet devient à la fois plus curieux et plus épineux. César parle d’un cinquième grand Dieu gaulois, qu’il nomme Dis Pater, c’est-à-dire, Pluton, et qui était, d’après le contexte même, le dieu des enfers, le dieu des ténèbres et du temps, considéré comme créateur(3). On se rappelle que, d’après la doctrine des druides, au centre même d’Abred, le monde où nous sommes, s’ouvrait un souterrain immense, où s’agitaient, au milieu des ténèbres, les germes de tous les êtres qui devaient venir dans Abred ou y revenir. C’est à peu près ce que le gaulois cisalpin, Virgile, encore tout plein des instincts celtiques, a décrit avec tant d’élévation, dans le sixième livre de l’Énéide, avec cette différence que, dans l’épopée virgilienne, les âmes retombent toujours, pour en sortir toujours, au bout de mille ans, dans cette région inférieure ; tandis que pour les druides, les âmes seules des coupables y retombaient, pour tenter un nouvel apprentissage de la vie dans Abred et que les âmes des hommes justes et courageux montaient dans Gwingfyd, sans perdre la mémoire et sans craindre de retomber dans cet Annwn. Or, c’est de cet Annwn, c’est de cette région inférieure, qu’était souverain ce dieu inconnu, mystérieux, ce Dis Pater des Celtes, avec les attributs de créateur, comme Dieu de tous les êtres en germes. Voilà pourquoi les druides disaient aux Gaulois qu’ils descendaient tous de Dis Pater. Mais quel était le nom celtique de ce Dieu ? Ce qui rend la réponse assez difficile, c’est que tout ce qui le concernait se rapportait à la partie la plus occulte de l’enseignement ésotérique des druides, révélée seulement à des initiés, à des adeptes. César fait entendre, qu’à cet égard, les Celtes s’en rapportaient à leurs prêtres, en acceptant cette sorte de mystère sans oser l’approfondir. Il est évident qu’ils n’avaient pas même dit le nom de ce dieu à César. Mais, on peut le croire, ce dieu inconnu était le seul qui avait été apporté, et sans transformation, par les Celtes, de leur première patrie où il était adoré par les pâtres aryas, sous le nom d’Yama. Au moyen âge, ce dieu des ténèbres, du temps et de la création, est appelé Duw, prononciation celtique de la première syllabe de Dis dans Dis Pater, Duw, qui veut aussi dire dieu en gaélique. Bien plus, tous les Gaulois étaient appelés Duwnes ou Dubnes, c’est-à-dire, enfants et adorateurs du Pluton celtique. Enfin, ce mot de Dubnes n’était pas seulement gaélique, il était celte, en usage du temps même de Vercingétorix, où on le retrouve, par exemple, dans le nom de l’un de ses compagnons d’armes, Dubnorix, qui signifie chef des Dubnes, ou enfants de Pluton.

Les Celtes, au rapport de César, avaient six grandes divinités ; nous venons de rendre à cinq d’entre elles leurs noms gaulois. Il ne reste plus, comme grand dieu, d’une part, dans César, que Mercure, et, d’autre part, chez les Celtes, que Teutatès. Donc, le Teutatès gaulois répondait au Mercure romain. Pour être amenée par une voie différente, on ne connaît pas d’inscriptions authentiques à Mercure-Teutatès, cette conclusion n’est pas moins sûre que les précédentes. César représente Mercure comme la principale divinité des Gaulois, ce que font aussi pour Teutatès les documents de la même époque et des âges suivants. Cette supériorité est marquée aussi par le nom de Teutatès qui, en gaélique, veut dire Père du peuple. Les Phéniciens qui, dès la plus haute antiquité, faisaient un commerce régulier avec les Cassitérides, ou îles de Bretagne, ces Phéniciens qui laissaient ainsi que leur plus célèbre colonie, Carthage, des traces de leur religion dans de simples escales, comme l’île de Sein, avaient, à plus forte raison, établi dans l’île de Prydain ou de Bretagne, le culte de leur grand dieu « du commerce, des voyages et des routes », Thot ou Teut. Or, ce sont précisément les attributions que César reconnaît à Mercure(4), et qu’on retrouve dans les inscriptions. Peuple agriculteur et guerrier, mais non commerçant, les Gaulois auraient-ils eu d’eux-mêmes la pensée de créer et de mettre, dans les derniers temps, au-dessus de leurs autres dieux, un dieu du commerce, surtout avec ce nom général de Père du peuple ? Il leur était donc venu de l’île de Prydain, avec laquelle ils étaient en rapports constants, fraternels, comme, plus tard, les dieux romains leur vinrent d’Italie. On voit ainsi pourquoi les jeunes gens, qui voulaient approfondir les doctrines druidiques, se rendaient dans le principal collège de cette île. C’est là qu’avait été découvert (reperta), le mot de César est très juste, c’est de là qu’était parti le culte de Teutatès, la plus récente et, à ce moment, la plus vivante transformation du Druidisme.

Ne laissons pas se refermer cette sorte d’ouverture faite dans le nébuleux Gwynfyd, ou ciel celtique, sans y regarder un instant aussi le dieu Ogmios, dont César n’a pas parlé, parce qu’il le confondait avec Hercule, simple demi-dieu aux yeux des Romains. C’était en effet Hercule, mais encore ici l’Hercule tyrien, autre symbole du génie phénicien en Occident, et qui avait fondé tant de villes chez les Celtes, depuis Nîmes primitivement au bord de la mer, jusqu’à la fameuse Alise, au centre de la Gaule. Sans doute, Ogmios était, avant tout, un dieu des voyages maritimes, et c’est pour cela que Lucien, après en avoir achevé la description, ajoute qu’il avait l’air d’un « vieux marin » ; mais c’était surtout le dieu de l’intelligence, Logos, le dieu de l’instruction et de l’éloquence. De là ces brillantes petites chaînes d’or et d’ambres, « pareilles, disait un druide à Lucien, pareilles aux plus beaux bracelets », et qui partaient de sa langue pour aller s’attacher ensuite aux oreilles de ses auditeurs. De là l’empressement de ceux-ci à le suivre, trop heureux de leur esclavage et tout épris de cette parole divine et harmonieuse. Allégorie ingénieuse, qu’on ne retrouve que dans la religion gauloise, et qui rappelle ce mot célèbre du vieux Caton : « Les Gaulois savent deux choses, bien se battre et parler finement ». Ce dieu Ogmios avait inventé l’Ogham, ou alphabet gaélique, formé au moyen de brindilles, ou branches d’arbres et de plantes arrangées de manière à former des lettres(5). Ici, qui ne se rappelle que les Phéniciens portèrent, en effet, l’écriture sur tous les rivages où ils établirent des comptoirs, depuis Cadmus, époux de la déesse Harmonie, et qui fit connaître aux Grecs les seize lettres cadméennes, jusqu’à Ogmios, qui enseigna l’écriture aux Celtes de Prydain, quoique la vieille tradition des Druides s’y opposât sur le continent. On sait que, dans l’histoire des nations, l’écriture, d’abord simple moyen de régulariser les transactions commerciales, devient peu à peu un procédé oratoire et littéraire. De même que Tarann et Ésus représentaient deux attributs bien distincts du dieu suprême, de même, d’après les habitudes théologiques des anciens patriarches de l’Arye et des druides, Teutatès et Ogmios étaient, avec des différences de temps ou de pays, deux attributs d’une même divinité. Ce n’étaient pas seulement les habitants de Prydain, c’étaient tous les Gaulois qui donnaient à cet Hercule civilisateur le nom d’Ogmios le Savant(6).

(À suivre.)