Le F/ John Yarker
33e, 90e, 97e, VIIe
etc.(*)

Ayant consacré, il y a quelque temps, une notice nécrologique au F/ John Yarker (voir La France Antimaçonnique, 27e année, no 25, p. 298), nous pensions ne pas y revenir ; mais il nous est tombé sous les yeux un article de la revue maçonnique italienne Acacia (no de juin-juillet 1913), qui contient des renseignements trop curieux pour que nous n’en donnions pas ici la traduction in extenso, en respectant le style autant que possible.

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« Un autre anneau de la Chaîne d’Or a abandonné notre monde pour la Loi Éternelle (sic), laissant un souvenir exquis et un profond regret. John Yarker, comme tant d’autres de notre Art Royal, avait un caractère intègre et carré (tetragono), et fuyait la basse adulation et les faciles condescendances. Cette sympathique revue (sic) a annoncé que peu de FF/ accompagnèrent au cimetière « the greatest master of the greatest art » (le plus grand maître du plus grand art) ; ce fait est éloquent et prouve que l’Œuvre Maçonnique est loin d’avoir accompli dans le monde anglais ce travail de culture (dissodamento) des cerveaux qui semble avoir été tracé – en traits bien pâles – dans les premières Constitutions d’Anderson, et que les affirmations de tolérance en matière religieuse sont encore des hypocrisies au-delà de la Manche. Nous voulons parler ici de l’Homme (sic) et de son œuvre, apporter le tribut de notre hommage fraternel, envoyer un salut fraternel à l’ami de Mazzini et de Garibaldi, et aussi corriger quelques petites erreurs qui circulent encore sur son compte.

« John Yarker fut initié à 21 ans, le 25 octobre 1854, au premier grade, et, au bout de trois mois, il fut « exalté » (sic) au grade de Maître Maçon(1). En 1855, il entra dans la Mark Masonry, et, l’année suivante, dans le Royal Arch et dans la Chevalerie Templière. Il dirigea une Loge de Mark, fut Commandeur de la Love and Friendship Preceptory (1861), Grand Connétable de l’Ordre du Temple en Angleterre (1864), charge des plus honorables (onorevolissima) ; en 1869, il fut admis dans l’Ordre du Temple de Paris(2), descendant (?!) de celui qui fut étouffé (soffocato) en 1307-1310. Il commença de bonne heure à s’occuper d’études maçonniques, et les Notes on the Temple and Hospital, and the Jerusalem Encampment (Manchester, 1869) furent le commencement d’une longue série d’articles, de volumes et d’écrits divers, dont plusieurs sont encore inédits. Les félicitations qui lui furent envoyées (pour ce premier travail) par le Grand Conclave Provincial des Chevaliers Templiers à Manchester, lui portèrent chance.

« Sa vie se passa entre sa profession et ses recherches, et les revues maçonniques et analogues (affini) recherchèrent sa collaboration. Cet Homme (sic) ne recopie pas, mais cherche et médite ; Il (sic) trace un nouveau tableau des théories symboliques et historiques et, vers 1870, sa carrière d’étudiant (studioso) étant décidée, se fait initier dans tous les Ordres, fouille (fruga) dans tous les mouvements, donne une grande impulsion. “Nous avons dépensé beaucoup de temps et d’argent – écrivait-il en 1873 à S. A. le Prince de Galles (plus tard Édouard VII), Grand-Maître des Templiers Anglais – pour donner à cet Ordre (du Temple) la puissance qu’il a aujourd’hui.” Mais ses préférences furent pour le Rite Ancien et Primitif de Memphis en 33-90 degrés, et la fidélité qu’il garda à ce Rite jusqu’à sa mort le fit sortir de la Mark Masonry et des Templiers Anglais (reconstitution moderne), qui, unis à d’autres Maçons, lui firent une guerre sourde par l’isolement, très probablement parce que, dans le Manifeste du Rite Ancien et Primitif laissé (sic) par lui, il était dit quels sont les vrais principes maçonniques, et que tous les Maîtres Maçons ont en matière maçonnique le même droit de liberté de conscience qu’en matière religieuse. John Yarker et ses amis comprenaient la Maçonnerie comme un facteur de progrès, et non comme une pédante répétition de cérémonies incomprises et de banquets. L’étude des symboles, des légendes et des allégories, pour les Maçons du Rite Ancien et Primitif, n’est pas un sport et un passe-temps intellectuel, mais une gymnastique qui sert au Maçon qui a découvert le Secret (sic), pour améliorer et lui-même et le monde-profane. Il est logique que ces idées n’aient pas convenu à la triple alliance formée, en 1871, par un « ridicule » traité entre la Grande Loge des Mark Master Masons, le Grand Conclave des Chevaliers Templiers Anglais, et le Suprême Conseil 33e du Rite Écossais Ancien et Accepté de Charleston, organismes composés de gens respectables, mais aimant trop à vivre tranquilles et très philistins (sic). Admettre et répandre (l’opinion) que la Maçonnerie est plus qu’un simple lien ésotérique entre les divers cultes religieux, et que le Maçon Initié est Prêtre de toutes les Religions (sic) parce qu’il voit l’Unité dans la Multiplicité, c’est faire œuvre d’hérésiarque. Le fait de manquer de bienveillance à l’égard des différents « Rites contradictoires » et de fustiger les marchands de colifichets (fronzoli) et de chiffres (c’est-à-dire de grades) (cf. sa Speculative Freemasonry, 1872), ne plut pas à tous. Ne pas reconnaître les documents faux, le grand mensonge de l’Ordre, – comme dit Findel, – rire de la signature de Frédéric II « effacée par l’eau de mer », détruire la légende, créée par Anderson, des quatre Loges opératives survivantes de Londres, qui, en 1717, auraient constitué la Grande Loge d’Angleterre, apporter en somme des pierres taillées et cubiques et non des blocs informes à la Doctrine et à l’Histoire de notre Ordre, tout cela est encore incompréhensible dans certains milieux maçonniques, et le Freemason de Londres, dont John Yarker fut jadis un collaborateur assidu, le définit comme « un esprit maussade (burbero) et difficilement conciliant ». Pour nous autres Italiens, au contraire, cela le rend encore plus sympathique.

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« La Speculative Freemasonry, publiée en 1872, ne s’occupait pas seulement de vérités historiques et de « Rites contradictoires » ; revue et augmentée en 1883, elle constituait déjà un plan pour les Arcane Schools, que le F/ William Tait, de Belfast (Irlande), édita en 1909. De 1881 à 1895, il dirigea, avec le F/ K. R. H. Mackenzie, 33e, IXe, la revue The Kneph, organe officiel du Rite Ancien et Primitif ; mais le Freemason, le Freemason’s Magazine, la Freemason’s Chronicle et l’Ars Quatuor Coronatorum donnèrent jusqu’à nos jours (sic), comme d’autres revues étrangères, l’hospitalité à de nombreux écrits de lui, tandis que les Rituels de divers Rites étaient revus et corrigés par lui, qu’il faisait imprimer les instructions pour les grades supérieurs, et publier deux traductions d’ouvrages d’un caractère ésotérique et occultiste. Il pouvait parler et écrire sur n’importe quelle tradition maçonnique ou initiatique, ayant parcouru tous les grades de toutes les écoles (?!). Membre du Collège de Bristol de la Societas Rosicruciana in Anglia(3), puis membre honoraire (IXe) de cette Association, il reçut également le 5e degré avec la Couronne de Kether(4) du Grand Ordre Lamaïste (?) de Lumière (Grand Lamaistic Order of Light, 1881-1883) ; il fut membre honoraire de la Société Théosophique (1879), Chef de la Maçonnerie Arabe (?) (Rite d’Ismaël), 7e des Grands Prêtres (Ordre des Chevaliers Templiers Prêtres, Manchester, 1868-1875), Maître honoraire de la Société Alchimique Italienne (1911), Docteur ès-Sciences Hermétiques (Paris, 1899) ; il eut deux patentes du 33e degré du Rite Écossais Ancien et Accepté régulier (?) (de 1871 à 1910) ; il fut Souverain Grand-Maître Absolu (90e) du Rite de Misraïm (depuis 1871), Grand Chancelier des Rites Confédérés de 1881 à 1883 sur le désir de notre Grand-Maître Giuseppe Garibaldi ; Grand-Maître honoraire ad vitam du Rite Philosophique Italien (1910) ; depuis 1876, Chef du Rite de Swedenborg pour l’Angleterre ; vers 1868, il réveilla les vieux grades d’York HRDM-KDSH (Heredom ou Harodim-Kadosh) ; il était Grand-Maître Maçon (VIIe) de la Maçonnerie Opérative ; le 11 novembre 1902, il fut élu Grand Hiérophante Impérial (97e) du Rite Ancien et Primitif ; et il faudrait citer encore les distinctions honorifiques profanes de divers Ordres de Chevalerie d’Angleterre, du Continent (européen) et de l’Asie (?)…

« Tous ces titres, chiffres (de grades) et épithètes étaient estimés par John Yarker à leur juste valeur, et rien de plus. Ce qui lui importait, c’était d’apporter toujours une nouvelle contribution à sa thèse, en évitant la monotonie des affirmations stéréotypées, et sans craindre d’adopter une nouvelle version des faits lorsqu’elle lui paraissait véridique. Dans les Arcane Schools, il a catalogué et rassemblé un énorme matériel qui est tout entier à récolter (sfruttare) pour qui en a la volonté. Nous n’y trouvons pas toute tracée la ligne de descendance que le Convent des Philalèthes de Paris cherchait vainement en 1785, mais, passant en revue les Mystères sacerdotaux, chevaleresques, ésotériques et corporatifs, dont il donne un compte-rendu exact en citant les sources, l’auteur montre tous les points communs entre les théories anciennes et celles qui ont cours dans la Franc-Maçonnerie Moderne, sans faiblesses absurdes ni fictions commodes ! Le Chef du plus aristocratique (par la pensée) de tous les Rites de Hauts Grades n’était ni orgueilleux, ni méprisant : il considérait les Hauts Grades comme une Fraternité de Maîtres (cf. un article de lui dans la Rivista Massonica de Rome, no de novembre 1912) désireux de découvrir le vrai, et la Maçonnerie comme une institution très utile pour atteindre ce but.

« Dans ces dernières années, il écrivit dans le Co-Mason de Londres et dans l’American Freemason d’Iowa (États-Unis), beaucoup d’articles sur la Maçonnerie Opérative, donnant des descriptions de cérémonies et montrant par des documents la légitime descendance de la « Société des Libres Maçons » (qui travaille à sept degrés). Son dernier article parut dans le Co-Mason de janvier dernier ; il traite de l’«  Ancien Rite d’York » en se basant sur un manuscrit qui lui appartenait et qui contient le Rituel en trois grades de ce système disparu, en faisant des comparaisons avec le régime opératif dont John Yarker était un des Chefs, et en notant les ressemblances avec le système de la Grande Loge d’Angleterre avant 1813. Un autre de ses sujets favoris, sur lequel il écrivit dans les deux dernières revues citées, était celui des « Relations de la Franc-Maçonnerie avec les Collegia de Rome » et nos fameux Maîtres Comacins. L’organisation des Collèges Romains était presque semblable à celle de la Maçonnerie Opérative actuelle, et ce furent certainement les Maîtres Comacins ou leurs descendants de nationalité française (cf. un article de moi dans la Rivista Massonica, no de mars 1912) qui portèrent la Maçonnerie Opérative en Grande-Bretagne. L’élément hébraïque, qui est seulement caractéristique des cérémonies commémoratives chez les « Opératifs », fut introduit vers le ive siècle de l’Ère Vulgaire, alors que les foyers du Gnosticisme judéo-chrétien étaient encore allumés ; et la légende d’Hiram (qui est représenté par le troisième Grand-Maître Maçon du viie degré d’une Loge Opérative) était et est une représentation sacrée servant de cérémonial à l’installation, qui a lieu chaque année, du troisième Grand-Maître. La partie chevaleresque et templière que nous trouvons dans les Hauts Grades n’est qu’une substitution, au Roi Salomon (premier Grand-Maître dans la section Square) et à Zorobabel (premier Grand-Maître dans la section Arch de la Maçonnerie Opérative), de Hugues des Payens (premier Grand-Maître des Templiers) et de Jacques de Molay (Grand-Maître des Templiers jusqu’en 1310), substitution dont les Stuarts se prévalurent assez, depuis 1688 et 1690, avec le Chapitre de Clermont (France), et qui fut ensuite maintenue ou amplifiée dans la rédaction des divers Rites dits « Écossais ».

« Le « grand maître du grand art » John Yarker est mort, et les Maçons anglais ne lui ont pas rendu ces grands honneurs que le Freemason même affirmait lui être dus. Il n’importe : son œuvre ne sera pas oubliée de qui est Libre et de Bonnes Mœurs (sic), et le temps viendra bientôt où sera reconnue officiellement la haute valeur d’un Homme (sic) qui ne chercha pas d’honneurs et ne propagea pas de mensonges. Nous, comme Italiens ennemis de tous les sectarismes et comme ses fidèles disciples, nous Lui (sic) envoyons, de ces colonnes gentiment hospitalières (sic), le triple salut fraternel et le Vivat initiatique.

Philalèthe, M. M. »

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Le signataire de cet article n’est autre que le F/ Pericle Maruzzi, fondateur de la Loge des Philalèthes, à l’Or/ de Ferrare, secrétaire général de la Société Alchimique Italienne, et rédacteur en chef de la revue Hermes, dirigée par le F/ Eduardo Frosini (Dr Hermès), Grand-Maître Général du Rite Philosophique Italien.

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Une question pour terminer : on a vu que le F/ John Yarker fut l’ami des FF/ Mazzini et Garibaldi, et que c’est sur le désir de ce dernier qu’il accepta l’office de Grand Chancelier des Rites Confédérés : ne serait-ce pas parmi les Garibaldiens qu’il fit la connaissance de Mme Blavatsky, future Princesse Couronnée de son Rite de Memphis et Misraïm ? À vrai dire, ce titre n’était guère approprié à la tenue de H. P. B., restée très… garibaldienne ; mais nous avons connu d’autres Princesses Couronnées qui savaient tout juste lire et à peine écrire, ceci littéralement et sans aucune allusion au sens symbolique ; à ce dernier point de vue, ce serait encore trop leur accorder, malgré l’assimilation de leur grade (d’Adoption) au 33e du Rite Écossais, dont le F/ John Yarker était censé posséder deux patentes régulières ! Que fait-on de laConvention de Lausanne ? L’affaire du F/ Saverio Fera et de son Suprême Conseil Écossais, reconnu régulier par la Conférence de Washington (octobre 1912), aurait-elle pour effet plutôt inattendu d’amener un rapprochement entre le Grand-Orient d’Italie et le Rite Philosophique Italien ?