Mme H.-P. Blavatsky
et la
Maçonnerie(*)

Nous avons parlé récemment, à propos de la mort du F/ John Yarker, de la réception de Mme Blavatsky dans le Rite de Memphis (27e année, no 25, p. 298). Il nous paraît intéressant de reproduire l’article que publia à cette occasion, dans son numéro du 7 juillet 1890, la revue théosophique Le Lotus Bleu, alors dirigée par Jean Matthéus, pseudonyme d’Arthur Arnould, président de la branche théosophique française Hermès(1). Mme Blavatsky avait le titre de Rédacteur en Chef de cette revue.

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LE MAILLET DU MAÎTRE
Aperçus sur la Mythologie Scandinave

Nous lisons dans le Theosophist que bien des gens, parmi les profanes, se figurent qu’une femme ne peut être franc-maçon(2), et, cependant, le Temple de Memphis, rite écossais-anglais(3), a conféré à notre Rédacteur en Chef un de ses plus hauts grades, pour son admirable ouvrage Isis Dévoilée, qui nous fait remonter jusqu’aux sources des spéculations de la philosophie maçonnique.

C’est pour faire bien connaître et comprendre ces origines spéculatives, que Le Lotus Bleu se propose de publier une série d’articles sur la Franc-Maçonnerie et les emblèmes de son symbolisme.

Pour commencer, nous empruntons, toujours au Theosophist, un exposé sur le Maillet du Maître ou le Marteau de Thor, ou la Croix, d’après une brochure fort intéressante de M. Gould(4), adressée à l’Université de Massachusetts.

Nous faisons suivre cet exposé d’une étude, extraite d’Isis Dévoilée, qui complétera notre connaissance du Dieu Thor, et nous terminerons par quelques mots sur le recueil des vieux chants scandinaves.

Le Maillet du M/

L’auteur de la brochure dont nous venons de parler nous prouve que la figure géométrique de la croix a un passé des plus lointains, et nous montre, en même temps, que le maillet du M/ tire son origine du marteau de Thor, la plus puissante des divinités scandinaves.

Le marteau de Thor est un des emblèmes du sceau de la Société Théosophique(5). On dit que c’est la plus vieille forme de croix que l’on ait jusqu’à présent retrouvée.

Mme Blavatsky, dans La Croix et le Feu, nous fait voir que, dans la croix, ce symbole de la génération(6), le point de rencontre est le Soleil Central, ou déité du Kosmos, comme l’appellent les Kabbalistes(7).

« Le point d’intersection est l’image du point de rencontre des forces opposées : la force centripète et la force centrifuge, qui poussent les planètes dans leur orbite, et leur font tracer une grande croix à travers le parcours du champ zodiacal(8).

« Ces deux terribles forces, bien que leur existence et leur pouvoir soient encore hypothétiques et imaginaires, conservent l’harmonie et régularisent le mouvement constant de l’univers(9).

« Les quatre branches du Swastika figurent la révolution de la terre sur son axe. »

M. Gould, laissant de côté les mouvements planétaires et autres aspects cosmologiques, dont le signe crucial est l’image, ne s’en occupe qu’au point de vue de son symbolisme philosophique et maçonnique : le maillet du M/

Il prend le marteau de Thor et s’attache à donner la signification, l’explication, des signes spéciaux de force, de jugement, de détermination du pouvoir, de puissance et d’esprit de finalité, dont il est l’attribut, manié par le Dieu, ou tenu par le Maître.

Voici la légende du Miolner, ou marteau, que nous donne tout d’abord M. Gould :

« Loki, une des divinités du Nord, fit le pari avec un gnome ou nain, que jamais il n’arriverait, malgré son adresse, à forger des outils pouvant se comparer à ceux qu’avec une merveilleuse intelligence de la mécanique, avaient fait d’autres gnomes ses confrères.

« Les conditions du pari débattues, le gnome les accepta et se mit à sa forge, travaillant de la tête et des bras.

« Au bout d’un certain temps, et parmi beaucoup d’autres outils de sa fabrication, il fit sortir du feu de sa forge un marteau qu’on appela le Miolner.

« Tous les outils confectionnés par les gnomes furent apportés à Asgard, demeure secrète des divinités, et mis sous les yeux des trois principaux Dieux : Odin, Thor et Freyr, choisis comme arbitres chargés de prononcer en dernier ressort sur la valeur relative de chacun des instruments présentés.

« Après les expériences, les essais les plus minutieux, et en ayant délibéré de la manière la plus approfondie, le divin jury, à l’unanimité, déclara le marteau supérieur à tous autres outils.

« Quelle aide, quelle force pour l’homme, que cet instrument de la plus grande simplicité ! Il frappe avec précision n’importe quel objet sur lequel on le dirige, et, quelque rude que puisse être le coup, jamais la main qui manie l’instrument ne ressent aucun mal.

« Aussi, vu les qualités, les capacités particulières, caractéristiques de Thor, on lui offrit, séance tenante, le marteau comme emblème, et on lui consacra le Miolner. »

Thor, selon les Eddas, dont nous reparlerons plus loin, était la plus puissante divinité du Nord, et, quand il apparaissait avec le terrible « ceinturon des mille exploits, ou prouesses » (le Mejinjardir), et le marteau en main, il était vraiment ce Tout-Puissant à qui rien ne résiste, à la voix duquel tout tremble(10).

C’est en souvenir du culte de Thor, le Feu, l’électricité, qu’on sonnait les cloches pendant l’orage.

L’emblème du Dieu, le marteau frappant l’airain, devait, espérait-on, rendre propice la terrible divinité et l’adoucir.

Le signe de la croix, que bien des gens encore font sur eux, en entendant le tonnerre, n’a pas d’autre origine : conjurer le danger en s’appliquant la figure du marteau, de la croix, attribut de Thor, le Tonnant.

C’est encore par la même raison que les cloches sont marquées du Filfot (Swastika), la croix.

Dans la brochure mentionnée précédemment, nous trouvons une explication de la triade ou des trois piliers symboliques de la Franc-Maçonnerie, la 8e triade du Séphiroth (sic) : Sagesse, Beauté, Force(11).

Pour revenir au signe de la croix, rappelons la croix ansée des Égyptiens.

Cette croix est aussi, avec le Swastika, un des symboles dont se compose le sceau de notre Société Théosophique.

Ce sceau représente le cercle du monde avec la croix astronomique le traversant de son rapide tournoiement ; il représente encore, dans l’échelle des nombres, le carré parfait de la mathématique pythagoricienne.

Comme signification occulte, bien interprétée par Cornélius Agrippa, le point central est le Feu, la chaleur ; le rayon perpendiculaire représente l’élément mâle ou l’Esprit, le rayon horizontal, l’élément femelle ou la Matière.

(À suivre.)

J. L. (M. S. T.)