Symbolisme maçonnique
et Théosophie(*)
L’article du Lotus Bleu sur Le Maillet du Maître(1), que nous avons reproduit(2) à propos des attaches maçonniques de Mme Blavatsky, était présenté comme le premier d’une série au cours de laquelle devaient être traités divers points du symbolisme maçonnique. Cependant, les articles ainsi annoncés ne parurent pas ; peut-être une telle publication fut-elle considérée comme inopportune ou même imprudente, soit à l’égard d’une certaine partie de la clientèle théosophique, soit à quelque autre point de vue.
Nous avons pourtant trouvé dans cette revue, à une date plus récente (5e année, no 4 : juin 1894), un court article sur Le Pélican ; seulement, celui-ci y est présenté uniquement comme un emblème religieux. Or, s’il est cela en effet, on sait qu’il est en même temps, dans la Maçonnerie, un des principaux symboles du grade de Rose-Croix. C’est à ce titre que nous reproduisons ci-dessous cet article, en y joignant, comme pour le précédent, quelques annotations.
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Le Pélican, emblème religieux
Dans les églises, parmi les emblèmes que l’on voit, comme ceux de l’agneau, de la colombe, du dragon et du serpent, dont la signification est bien connue, on en rencontre un, le pélican, dont le sens ésotérique échappe à beaucoup.
Sculpté sur les chaises, brodé sur les chasubles, tissé dans les nappes d’autel, ou gravé en relief sur la couverture des missels, un pélican distribue la nourriture à six pélicaneaux(3) placés au-dessous de lui, dans leur nid. Ces petits affamés sont rangés, tantôt sur une même ligne, à se toucher, ou bien séparément, trois à droite, trois à gauche, ou encore posés, deux au milieu du nid et quatre sur le bord, devant leur mère qui se perce la poitrine, avec son bec, pour les nourrir des lambeaux de sa propre chair, ou qui tient, à son bec, un poisson au-dessus d’eux. Chaque artiste a varié sa composition, suivant le caprice de son imagination, sans respecter le dessin primitif qui a dû exister(4).
Pour les prêtres, le pélican nourrissant ses petits est le symbole de l’institution de l’Eucharistie par J.-C. : « Prenez et mangez, ceci est mon corps qui sera livré pour vous. » Cette interprétation est incomplète(5), parce qu’elle n’explique pas pourquoi cet oiseau, qui est disgracieux, avec son gros bec et l’énorme poche qui pend au-dessous, a été choisi pour représenter J.-C., dans le sacrement que les Catholiques considèrent comme le plus saint, à la place, par exemple, du beau cygne blanc(6) ou de tout autre oiseau élégant dans sa forme et son plumage. Elle ne dit pas non plus pourquoi la couvée, qui accompagne la mère, se compose de six petits, formant ainsi, avec elle, le nombre 7, qui doit avoir sa raison d’être.
Nous inspirant des articles que Mme Blavatsky a écrits sur la symbologie (sic) et le mystère du langage (Doctrine Secrète, vol. I, pp. 303, 310, 379), nous allons essayer d’interpréter plus complètement le symbole du pélican(7).
Avant tout, il fait naître en nous l’idée de sacrifice, par celle de nourriture distribuée à d’autres êtres, et, comme la vie des petits dépend de la subsistance reçue de leur mère, nous ressentons par là l’effet de la solidarité(8). Il nous fait voir ainsi que tous les êtres participent les uns des autres (sic), qu’ils sont liés par la solidarité, et que le sacrifice de chacun d’eux profite à tous les autres. D’où cet aspect moral de l’enseignement théosophique : qu’il faut constamment travailler les uns pour les autres ; renoncer à soi, en pensée, aussi bien qu’en action ; s’immoler pour autrui ; en un mot, pratiquer l’altruisme. « Celui qui ne pratique pas l’altruisme ; celui qui n’est pas prêt à partager son dernier morceau avec plus faible ou plus pauvre que lui ; celui qui néglige d’aider l’homme, son frère, n’est pas théosophe. »
Le pélican résume bien tous ces sentiments, car on sait qu’il aime à vivre en société et ne manque jamais de se réunir à ses voisins, pour pratiquer la pêche en commun. Sa femelle offre aussi l’exemple le plus admirable de l’amour maternel, car, dès qu’on lui enlève ses petits, elle se met à leur recherche et leur apporte à manger, pendant leur captivité ! Elle les nourrit en dégorgeant devant eux les poissons contenus dans sa poche, et comme, pour vider cette poche, elle est obligée de presser son bec contre sa poitrine, la croyance populaire lui a attribué l’habitude de se percer la poitrine, pour alimenter ses petits. C’est là, peut-être, l’origine de son nom, qui vient du grec pelekaô, percer, tailler, d’où pelekus, hache(9), nom qui par soi (sic) peut symboliser le sacrifice et l’immolation de soi.
Dans les poissons dont cet oiseau se nourrit et emplit sa poche, les Catholiques peuvent voir le corps de J.-C. reçu dans la communion, car le poisson en est l’emblème, comme l’indique son nom grec Ichthus, anagramme de Iésous Christos Théou Uïos Sôter (J.-C., Fils de Dieu, Sauveur)(10). L’artiste qui représente le pélican, avec un poisson au bec, rend bien cette pensée.
Un autre aspect de l’emblème qui nous occupe est celui de la reproduction et de la circulation de la vie, fidèlement exprimées par la mère et ses petits(11). C’est en effet la Nature qui est notre mère et qui nous donne la nourriture ; c’est elle qui vivifie tout, jusqu’aux plus infimes parties de l’être ; c’est elle qui, dans son évolution universelle, enrichit tout des bienfaits de la vie et permet à l’atome de devenir un monde, à l’homme de devenir un dieu, conformément à la loi indéfinie du progrès(12).
Le Catholique y verra encore la perfection du Monde, dans l’ouvrage mystique des six jours. L’occultiste y trouvera : la substance primordiale se différentiant (sic) en les sept prakritis ou natures, sous l’impulsion manvântarique, autrement dit, les sept périodes d’évolution comprises dans un manvântara et les sept états différents de la matière ; la source unique d’énergie ou Fohat(13), à la fois un et sept, cause nouménale des phénomènes de l’électricité, du magnétisme, du son, de la lumière, du calorique et de cohésion(14). Il y verra le Kosmos, dans sa forme objective, provenant de la différenciation de ses sept éléments constitutifs, c’est-à-dire l’Évolution et la formation finale des sept éléments primitifs(15).
Les petits placés sous leur mère, deux au milieu du nid et quatre sur le bord, représentant les sept principes de l’être humain, composés du quaternaire inférieur et de la triade supérieure, la mère ou Âtmâ les dominant et les pénétrant. Ou bien encore ils nous indiquent les trois akâsiques (sic) supérieurs(16) et les quatre éléments inférieurs : feu, air, eau, terre, non pas tels qu’ils se montrent à nous présentement, mais sous des états de matière inconnus de la chimie moderne.
Le choix du pélican, qui est un oiseau aquatique, prouve que cet emblème est ancien et date des premiers temps de l’Église. On rencontre, en effet, parmi les symboles de toutes les religions, comme l’a fait observer Mme Blavatsky, soit un oiseau aquatique, comme l’ibis, la grue, le cygne, l’oie, le pélican ; soit un animal amphibie, comme le crocodile, la grenouille ; soit une plante aquatique, comme le lys d’eau, le nénuphar, le lotus. Plantes ou animaux symbolisent le double élément de l’air et de l’eau. Or, l’air représente l’Esprit prototype ou la Force(17), et l’eau la Matière primordiale ou Substance métaphysique(18), qui forment la Duade cosmique, l’Unité à double aspect, le Dieu androgyne, le Logos âme et le Logos créateur, de la plupart des religions.
Comme il y avait, parmi les Pères de l’Église et les premiers Papes, des Initiés versés dans les sciences occultes et possédant la clef du langage des Hiérophantes, ce sont eux qui ont composé le symbole du pélican(19).
Nous ferons remarquer, en terminant, que l’oiseau femelle typifie également l’âme de l’Univers, regardée comme l’Intelligence du Créateur par tous les peuples, qui l’appelaient la Mère. C’est la Métis ou Sophia (Sagesse femelle, Logos femelle) des Gnostiques, la Séphira (sic) (première émanation de l’Infini)(20) des Juifs, la Saravasti (sic) (fille de Brahmâ, déesse de la Parole)(21) ou Vâch (personnification mystique du Verbe) des Hindous, le Saint-Esprit (principe femelle)(22) des Chrétiens. (Doctrine Secrète, vol. I, p. 353.)
E. P. N.