L’Église Catholique Française(*)

[Portrait.] Sa Grandeur Mgr A.-H. MATHIEU
Archevêque de Londres, Comte de Landave
Métropolitain de Grande-Bretagne et d’Irlande
Évêque provisoire de l’Église Catholique Française

À la suite d’un conflit entre la municipalité et l’évêché sur le prix de location du presbytère, le culte avait été supprimé depuis le 1er janvier dernier dans la commune de Chevrières, arrondissement de Saint-Marcellin (Isère). Or, le 1er mars, les habitants de cette localité lisaient avec stupéfaction la lettre suivante, affichée à la porte de l’église par le maire, M. Hérenger :

ÉGLISE CATHOLIQUE FRANÇAISE Administration et bureaux :
Rue du Pré-aux-Clercs, Paris.

« Le 12 février 1914

« Monsieur le maire,

« Les journaux m’apprennent que votre commune se trouve privée de curé par suite du retrait du desservant, opéré par ordre de l’évêque catholique romain du diocèse.

« Comme les motifs qui ont provoqué ce retrait sont d’ordre purement administratif et que la municipalité qui a l’honneur de vous avoir à sa tête ne pliera probablement pas devant l’autorité religieuse du diocèse, j’ai le devoir de vous faire connaître qu’en dehors de l’Église Romaine, il en existe une autre en France, l’Église Catholique Française, qui sera heureuse de vous envoyer un prêtre pour remplacer celui qui vous a été enlevé…

« Nous sommes Français et non Romains, et, par cela même, nous voulons obéir aux lois de notre patrie et vivre en parfaite concorde avec le pouvoir civil.

« Si cette proposition vous intéresse, Monsieur le maire, je me ferai un plaisir de vous envoyer tous les renseignements dont vous pourriez avoir besoin.

« Dans l’espoir d’être honoré d’une croyance (?), je vous prie d’agréer, Monsieur le maire, l’hommage de mes sentiments respectueux (sic).

« A.-R. DE LIGNIÈRES,

Archevêque Gallican de Paris,
Métropolitain de France et des Colonies.
 »

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À la suite de cette manifestation, un habitant de Chevrières a écrit à la Liberté pour demander si ce Mgr de Lignières ne serait pas le successeur de Mgr Villatte, de joyeuse mémoire.

La lettre affichée à la porte de l’église de Chevrières indiquant la rue du Pré-aux-Clercs comme le siège du nouveau culte, sans préciser autrement l’adresse, un des rédacteurs du journal a fait une enquête auprès des concierges de cette rue.

« La rue du Pré-aux-Clercs a 18 numéros :

« — L’église catholique française, s’il vous plaît ?

« — Prenez la rue de l’Université, tournez à droite rue Bonaparte et vous trouverez l’église en face.

« — Oui, je trouverai l’église Saint-Germain-des-Prés. Mais ce n’est pas cette vieille église-là que je cherche, c’est une église toute neuve, une église dirigée par un archevêque gallican… Mgr de Lignières ?

« — Nous n’avons pas ça…

« Un peu plus loin :

« — Vous n’avez pas chez vous un archevêque gallican ?

« — Un quoi ?

« — Un métropolitain de France et des Colonies.

« — Ah! c’est le métro que vous cherchez ? Prenez la rue de l’Université ; vous tournez à gauche dans la rue Bonaparte, et vous…

« — Merci bien.

« À la fin de la tournée, nous recueillons un renseignement précieux.

« — Vous n’auriez pas dans votre immeuble un bureau de placement pour ecclésiastiques brouillés avec le Pape ?

« —Non, Monsieur, mais nous avons au troisième un professeur de tango. En trois leçons, Monsieur, il fera de vous un vrai artisse (sic)… Montez toujours, Monsieur, ça ne vous engage à rien…

« Notre correspondant de Chevrières nous demande si Mgr de Lignières est un type dans le genre de Mgr Villatte.

« Non… Nous croyons plutôt que c’est un type dans le genre d’Hégésippe Simon et que M. le maire a été berné. »

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Il paraît, pourtant, que cette conclusion était inexacte, car l’« Église Catholique Française » existe bien réellement et a son siège administratif 5, rue du Pré-aux-Clercs, où se trouve également la rédaction de son organe officiel, intitulé Le Réveil Catholique. Nous avons entre les mains le premier numéro de ce bulletin mensuel, daté du 15 mars 1914 ; d’après un avis qui y est inséré, on est prié de s’adresser, pour tous renseignements, à M. Eugène Gosset, secrétaire. Cela explique peut-être qu’on ait ignoré, à cette adresse, le nom de Mgr de Lignières, qui, d’ailleurs, semble avoir quelque peu anticipé en prenant les titres dont il fait suivre sa signature dans la lettre que nous avons reproduite ci-dessus, car il ne possède encore, en réalité, que celui de Vicaire Général.

D’autre part, il est bon de dire que ce n’est point rue du Pré-aux-Clercs que se célèbre le culte, mais à l’« église Jeanne-d’Arc », 18, passage Élysée des Beaux-Arts, (tous les dimanches : messe de communion à 8 heures ; messe paroissiale à 10 heures ; vêpres et salut : en hiver, à 3 heures ; en été, à 5 heures). « L’Église Catholique Française est placée sous le patronage et la sauvegarde de notre Héroïne Nationale, la Bienheureuse Jeanne d’Arc. »

Nous venons de dire que cette nouvelle Église n’a encore à sa tête qu’un Vicaire Général ; aussi est-elle placée provisoirement sous le contrôle de Mgr Arnold-Henri Mathieu, comte de Landave de Thomastown, archevêque vieux-catholique de Londres, dont nous donnons plus haut le portrait. Il est permis de se demander si c’est parce que ces « Catholiques » sont « Français et non Romains » qu’ils se sont ainsi placés sous l’autorité d’un Anglais ! Quoi qu’il en soit, ce Mgr Mathieu a été consacré, le 28 avril 1908, par Mgr Gérard Gul, archevêque janséniste d’Utrecht. Pour établir la « succession apostolique » de celui-ci, Le Réveil Catholique énumère toute la lignée des archevêques et évêques jansénistes hollandais, dont le premier, Mgr Pierre-Jean Meindaerts, fut consacré, en 1739, par Mgr Dominique-Marie Varlet, évêque d’Ascaton « in partibus », lui-même consacré par Mgr Jacques Goyon de Matignon, évêque de Meaux. De celui-ci, on remonte à Mgr Jacques-Bénigne Bossuet, son prédécesseur, puis à Mgr Charles-Maurice Le Tellier, fils du Grand Chancelier de France et archevêque de Reims, puis enfin à S. E. le Cardinal Antoine Barberini, neveu du Pape Urbain VIII. Pour des gens qui refusent de reconnaître l’autorité du Pape, cette dernière référence, figurant ainsi en tête de toute leur « hiérarchie apostolique », est plutôt singulière et manque quelque peu de logique !

Pour compléter ces renseignements, nous ajouterons, d’après nos informations personnelles, que Mgr Mathieu doit venir prochainement à Paris pour consacrer, comme archevêque gallican, le Vicaire Général actuel, Mgr René, vidame de Lignières (d’où viennent donc les titres nobiliaires dont se décorent les dignitaires de cette Église ?), auquel il a déjà « confié des pouvoirs très étendus ». En outre, M. J. Bricaud (toujours lui !) sera consacré évêque régionnaire de l’Est, et M. Giraud (ex-frère lai de la Trappe), du Sud-Ouest ; ces deux derniers appartenaient précédemment à l’« Église Orthodoxe Latine », qui semble devoir fusionner ainsi avec la nouvelle organisation. Lorsque celle-ci sera complète, elle comprendra neuf diocèses, « correspondant aux neuf grandes Régions naturelles et historiques » (?).

« Les Évêques Catholiques Français, lisons-nous encore dans Le Réveil Catholique, sont des surveillants investis des pouvoirs spirituels spéciaux attachés à l’épiscopat dans les Églises Catholiques indépendantes. Le Gouvernement général et supérieur de l’Église Catholique Française appartient à l’Assemblée du Clergé et des Fidèles, représentée, en dehors des Conciles Nationaux, par une délégation permanente formant un Synode, composé de Clercs et de Laïques. »

Voici maintenant pour ce qui concerne le dogme et la liturgie : « Les Catholiques Français reconnaissent les Saintes Écritures comme étant la parole de Dieu… Nous recevons les trois Symboles des Apôtres, de Nicée et de Saint Athanase… Nous omettons la clause « Filioque » dans le Credo de Nicée, comme elle est omise dans le Credo des Églises Catholiques Orientales. Nous acceptons les sept Conciles reconnus œcuméniques par l’Église Universelle (Nicée, 325 ; Constantinople, 381 ; Éphèse, 431 ; Chalcédoine, 451 ; Constantinople, 552 ; Constantinople, 680 ; Nicée, 787). Nous acceptons pareillement les articles du Concile de Trente et du Concile de Bethléem en ce qui concerne seulement les explications données au sujet des sept Sacrements… Nous suivons scrupuleusement, dans l’administration des Sacrements, le rituel de l’Église Latine. Dans la consécration des Évêques et dans l’ordination des Prêtres, nous nous servons du Pontifical Romain. Nous employons le latin comme langue liturgique. Nos cérémonies et nos vêtements sacerdotaux sont ceux de l’Église Catholique d’Occident. » Enfin, les « Catholiques Français » admettent le mariage des prêtres ; ils reconnaissent cependant les Ordres religieux.

En somme, il s’agit d’une nouvelle tentative schismatique, qui n’est pas la suite de celle de Mgr Villatte, mais qui, vraisemblablement, n’aura guère plus de vitalité et échouera tout aussi lamentablement.