Bibliographie(*)

Bref Exposé de la Doctrine gnostique,

par S.-I. Esclarmonde (Sophia). — Librairie Fernand Drubay, 53 bis, quai des Grands-Augustins, Paris (VIe). Prix : 0 fr. 75.

Dès le début de cet exposé, dans lequel sont résumés très clairement, et en quelques pages, les principaux points de la doctrine gnostique, l’auteur établit une distinction précise entre la Gnose et le Gnosticisme, « deux termes qu’on emploie trop souvent fort indifféremment, et qui ont pourtant chacun une signification toute spéciale ».

« La Gnose (Gnosis), connaissance ou science primordiale, c’est l’intelligence des choses divines, c’est l’enseignement reçu aux premiers âges du monde, alors que l’humanité terrestre était encore tout imprégnée de la Lumière créatrice ; c’est ce que la tradition a pieusement transmis et jalousement défendu dans les livres sacrés des Indes et de la Chine, dans le mystère des initiations de l’antiquité, au fond des monastères du Thibet, des temples de l’Égypte, de la Chaldée et de la Grèce (Éleusis)…

« La Gnose se réclamait déjà d’une haute antiquité au temps où parut le plus ancien livre du monde, le Yiking, dicté par Fohi, le Mage-Empereur, 57 siècles avant l’ère chrétienne.

« Laotseu en tira un corps de doctrine, et Confucius un système de morale ; le Bouddha y puisa ses préceptes 600 ans avant Jésus-Christ, et notre Sauveur lui-même l’a transmise tout entière à ceux de ses disciples qu’il jugea aptes à la recevoir, notamment à Jean l’Évangéliste. Mahomet en a imprégné le Coran dans son enseignement ésotérique ; et depuis – pour ne parler que de notre Occident, – on la retrouve illuminant les ténèbres du Moyen Âge, jaillissant en rapides éclairs des disputes théologiques des grands réformateurs, comme des savants écrits d’obscurs religieux. Elle a eu ses apôtres et ses martyrs dans tous les cultes. Elle n’appartient à aucune confession religieuse. Elle est la source de toutes les religions…

« Autre chose est ce qu’on entend par le Gnosticisme, dont l’origine ne remonte qu’aux premiers siècles de notre ère…

« C’est du iie siècle de notre ère que date l’existence réelle de l’hérésie gnostique, se séparant résolument des Chrétiens orthodoxes pour fonder un culte exotérique dissident, sur des données purement ésotériques.

« Or, ce qui était inévitable dans ce domaine contingent qui est le leur, arriva bientôt : la division s’accentua tant sur la forme que sur le fond même de l’enseignement, sans néanmoins en perdre de vue les dogmes les plus élevés. »

Qu’on nous permette, ici une simple réflexion : l’erreur de ces anciens Gnostiques, très bien caractérisée dans ces dernières lignes, ne se retrouve-t-elle pas précisément, avec les mêmes conséquences, chez certains de leurs continuateurs actuels ? Pourquoi donc restent-ils, eux aussi, dans ce « domaine contingent », et jusqu’à quel point leurs restaurations d’un culte extérieur se rattachent-elles à la Gnose pure, suivant la notion qui en est donnée dans les extraits précédents ? S’ils s’en tenaient exclusivement à la haute spéculation métaphysique, la déclaration suivante nous paraîtrait plus pleinement justifiée :

« L’Église Gnostique n’impose aucun dogme et ne se met non plus en contradiction avec aucun, puisqu’elle ne se place pas au même point de vue que les religions exotériques, avec lesquelles elle ne peut conséquemment pas entrer en lutte ni en concurrence. »

Après ces notions préliminaires, l’auteur développe successivement les principaux points du credo gnostique extérieur(1) : le Principe Universel (art. 1-2), le Démiurge ou la Création (art. 3-4), la Rédemption (art. 5-6-7). Nous citerons également quelques passages de ces commentaires :

« Pour donner une idée sensible de l’Être Divin, sans courir le risque de le défigurer, il faudrait s’en tenir au graphique des Jaunes, inventé par Fohi. Mais cela ne satisfait pas notre entendement occidental…

« L’Être-Non-Être (car cette dualité seule nous permet d’exprimer le grand arcane de l’Univers), est représenté par le zéro et non par le un. Le un est le zéro manifesté, déjà manifesté. Notre entendement ne peut comprendre un que par son rapport avec deux ; donc, poser un, c’est admettre la série des nombres(2)

« Le Non-Être, que nos enseignements déclarent (par insuffisance d’une expression plus juste) supérieur à l’Être, est en fait le Zéro, l’Abîme insondable, le grand Ineffable.

« L’Être, le Un, c’est, dit Matgioi (La Voie Métaphysique), la Perfection.

« On compte deux Perfections : la Perfection active et la Perfection passive, Kien et Kouen des Mages d’Extrême-Orient.

La première, active, est génératrice et réservoir potentiel de toute activité ; mais elle n’agit point. Elle est et demeure en soi, sans manifestation possible. Elle est donc inintelligible à l’homme en l’état présent du composé humain.

« Lorsque cette Perfection s’est manifestée, elle a, sans cesser d’être elle-même, subi la modification qui la rend intelligible à l’esprit humain, et elle se dénomme alors la Perfection passive (Kouen)…

« Le Démiurge des vieux Gnostiques n’est pas l’effort des forces créatrices, comme d’aucuns l’ont cru ; c’est au contraire le symbole de la Limite, qui doit disparaître en même temps qu’elle…

« On appelle aussi le Démiurge : Prince de ce monde, Limite ou grande Illusion. Il n’est pas le courant des formes, car celui-ci est bénéfique : c’est la Voie, en ce qu’elle a d’humain ; mais il est la source des formes (ou des limites) dans lesquelles les êtres s’écoulent…

« La Perfection est bien la génératrice de ce courant formel – c’est son aspect passif – et l’humanité qui en émane, sortie de l’Infini, doit y rentrer (sans cependant qu’elle en soit jamais sortie au sens propre du mot), comme y rentreront toutes les formes visibles et invisibles de l’Univers, toutes divines dans leur essence, et ne se distinguant de leur Principe que par la nature et la qualité qui, par succession des modifications, précisent la forme, c’est-à-dire la limite rendue sensible…

« Le passage des êtres à travers les modifications de l’Univers est une ascension régulière continue, harmonique et bienfaisante, à laquelle la Perfection dont nous sommes, nous, d’infinitésimales parcelles et les émanations continues, ne pourrait pas faire que nous ne participions pas sans cesser elle-même d’être la Perfection.

« Pour l’homme individuel terrestre, la loi des renaissances n’est que l’effort continu de la personnalité, dégagée de l’individu, dans le mouvement ascensionnel général et libérateur qui l’emporte. L’individu s’agite sur le plan formel : la personnalité, poussée par le mouvement de la Voie, gravit une spirale ascensionnelle, dont chaque point est déterminatif d’un plan d’existence individuelle pouvant se modifier indéfiniment.

« Mais ce qu’il est important de bien préciser, c’est que la loi des renaissances n’a rien de commun avec la forme réincarnationniste que nous n’admettons point, en vertu de cette même loi d’évolution et d’harmonie qui s’oppose au passage répété ou renouvelé de l’individu sur un même plan…

« La mort n’est que le passage d’une modification dans une autre, une renaissance, la libération de parties étrangères à notre Soi, un pas de plus fait vers le but commun de toute existence. »

On voit que cet exposé donne, dans sa concision, une idée très nette des conceptions métaphysiques fondamentales de la Gnose ; c’était une tâche ardue que de les présenter en aussi peu de mots, et, à notre avis, l’auteur y a parfaitement réussi : c’est le meilleur éloge que l’on puisse faire de son travail.

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L’expression consciencieuse de cette vérité ne saurait nous empêcher de garder toutes nos convictions catholiques et de flétrir, comme elles ne le méritent que trop, les erreurs regrettables et séculaires des Gnostiques. Nous avons tenu à les montrer, en nous autorisant du meilleur guide que nous possédions sur cette matière délicate. C’est fait. Nous n’y reviendrons pas.

A. C. de la Rive.