Notice sur les diverses Sociétés Secrètes Anglaises
qui sont rattachées à la Maçonnerie Anglaise
ANGLETERRE(*)

Les Frères de Lumière (Fratres Lucis)

Cet Ordre se compose d’une série de degrés, et possède un rituel inspiré par les anciennes religions du monde et particulièrement de l’Inde, avec des traits empruntés à l’Égypte, à la Grèce et à Rome.

Le rituel est actuellement eu cours de révision par MM. T. H. Pattinson et le Dr B. E. Edwards. La rédaction primitive était de Maurice Vidal Portman, orientaliste, occultiste et homme politique (juif sans doute, d’après son nom) qui, en 1876, faisait partie de la suite du défunt Lord Lytton, alors vice-roi des Indes. (Est-ce par une simple coïncidence que ce nom de Lytton, celui du célèbre auteur de Zanoni, se retrouve si souvent mêlé à l’histoire de l’occultisme ? On sait que c’est chez une personne appartenant à la même famille qu’Éliphas Lévi fit la fameuse évocation qu’il décrit dans son Dogme et Rituel de la Haute Magie.)

Pendant son séjour en Orient, le F/ Portman s’était familiarisé avec la littérature, les traditions et les observances rituelles des Hindous, des Jaïns, des Bouddhistes et des Musulmans. Enfin, au cours des quelques années pendant lesquelles il fut gouverneur des îles Andaman, il avait recueilli un grand nombre de traditions et de formules magiques fournies par les indigènes et les habitants de plusieurs autres régions asiatiques.

Le centre actuel de l’Ordre est Bradford, dans le Yorkshire.

(Revue Internationale des Sociétés Secrètes, no du 15 novembre 1912, pp. 1107-1108.)

Cet Ordre ne doit pas être confondu avec celui des Sept Frères (Sat Bhai), dont nous parlons ci-dessous, ni, malgré la ressemblance des noms, avec la F. T. L. (Fraternitas Thesauri Lucis, Fraternité du Trésor de Lumière), centre rosicrucien d’origine vraisemblablement américaine.

Les Sept Frères (Sat Bhai)

Cette Société fut introduite en Angleterre, vers 1875, par des officiers de l’armée des Indes. Elle emploie une série de titres, de mots de passe et de devises symboliques empruntées à la tradition et à la langue hindoues.

Le Secrétaire actuel pour Londres est le F/ A. Cadbury Jones, 8, Golden Square.

(Revue Internationale des Sociétés Secrètes, no du 15 novembre 1912, p. 1108.)

On trouve de curieux renseignements sur ce sujet dans le roman du F/ Rudyard Kipling intitulé Kim, qu’on peut regarder, pour une bonne partie, comme l’autobiographie de l’auteur dans la première partie de sa vie. Ce livre est fort intéressant à lire à ce point de vue, surtout quand on connaît quelque peu les événements auxquels il fait allusion.

Suivant ce que nous y voyons (p. 245 de la traduction française, édition du Mercure de France, 1907), l’ancienne société nommée Sat Bhai, et dont les membres s’appellent aussi Fils du Charme, est « hindi et tantric ». « On suppose dans le public que c’est une société éteinte, mais j’ai établi par des notes qu’elle est encore existante », dit Babu Hurree, qui ajoute aussitôt : « Vous comprenez que c’est tout de mon invention ». Ce qu’on comprend fort bien, en effet, c’est que, si même il existe encore des membres authentiques de l’ancienne société, ils ne peuvent avoir aucun rapport avec celle qui fut soi-disant reconstituée par des Anglais et des gens que nous qualifierons seulement d’« anglophiles », pour éviter de leur appliquer une épithète plus dure, et dont les pareils se trouvent aussi dans les rangs de la Société Théosophique. Nous signalons seulement, bien entendu, une certaine similitude entre les éléments dont se composent ces deux organisations, sans prétendre pour cela les rattacher l’une à l’autre par une filiation plus ou moins indirecte ; et pourtant, à l’examen de certains détails, en étudiant de plus près certains procédés et certaines manières d’agir qui se retrouvent toujours les mêmes, on serait presque tenté de croire à une origine commune.

Nous avons vu que c’est vers 1875, qui est également, on s’en souvient, la date de la fondation de la Société Théosophique, que le nouveau Sat Bhai fut introduit en Angleterre par des officiers de l’armée des Indes, parmi lesquels on devait vraisemblablement compter quelques-uns de ces « colonels sans régiment » (p. 158) qui rendent au gouvernement britannique des services si importants et si variés dans des emplois tels que ceux de chefs des services d’inspection ethnologique, topographique, etc., et aussi dans la Maçonnerie d’importation européenne (p. 152), où ils se rencontrent avec des FF/ Hindous tels que LL. AA. les Mahârâjas de Kapurthala et de Cooch-Behar(1), et que le F/ Durga Charan Banerjee, chef de la police indigène, qui fut, en 1910, Député Grand-Maître de la Grande Loge de District du Bengale.

[Portrait.] Le F/ S. A. Josatjit-Singh, Mahârâja de Kapurthala(2)

Remarquons à ce propos que J. C. Chatterjee, l’écrivain théosophiste bien connu(3), a été nommé récemment chef du service archéologique du Kashmir ; peut-être a-t-il, comme Babu Hurree, la louable ambition de devenir F. R. S. (pp. 232-233). N’oublions pas non plus que nous avons vu, à la tête de la Société Théosophique, un « colonel » quelque peu dans le genre de ceux dont nous venons de parler. Il est vrai que celui-là était américain ; mais H.-P. Blavatsky n’était-elle pas devenue, elle aussi, « citoyenne américaine »… après avoir été « garibaldienne » ? et pourtant, si le gouvernement anglais a fait, comme l’affirment des gens bien informés, les frais de ses voyages au Thibet ou dans l’Himâlaya, son origine russe et la rivalité de l’Angleterre et de la Russie (voir pp. 317 et suivantes) précisément dans ces régions donnent à penser que ces déplacements n’avaient pas pour but exclusif d’aller à la recherche des inaccessibles Mahâtmâs. En supposant même que ceux-ci eussent existé réellement, ils risquaient fort de n’avoir à jouer, en bien des circonstances, qu’un rôle à peu près analogue à celui du vieux Lama rouge dont Kim fut le chéla.

Nous avons de bonnes raisons de croire que, maintenant comme alors, « le Grand Jeu jamais ne s’arrête d’un bout à l’autre de l’Inde » (p. 234), particulièrement entre Adyar et Bénarès, et que, dans cette dernière cité, il ne se joue pas seulement autour du temple jaïn des Tirthankers. Quoi qu’il en soit, signalons encore le singulier procédé d’éducation, ou d’initiation si l’on veut, qui consiste à essayer de « faire voir des choses » (pp. 204-207 et 230) ; on sait combien Mme Blavatsky a usé de cette méthode à l’égard de ses disciples, sans doute pour voir, elle aussi, « s’il y avait des pailles dans les joyaux » ; et, certes, elle a dû en trouver abondamment, à en juger par les récits que nous pouvons lire dans les ouvrages de Sinnett, Le Monde Occulte et Le Bouddhisme Ésotérique. Il serait curieux de savoir si M. Leadbeater a tenté les mêmes expériences sur son pupille Alcyone ; s’il l’a fait, n’aurait-il pas réussi, pas plus que le « médecin des perles » avec Kim ? on pourrait le supposer, d’après les hautes destinées qui sont prédites au jeune initié,… à moins que l’on n’entende lui faire jouer qu’un simple rôle de parade, ce qui, après tout, est bien possible aussi.

Dans bien des sociétés plus ou moins ésotériques, il y a, en effet, initiés et initiés ; il en serait ainsi notamment dans le Sat Bhai rénové, à en croire le F/ Rudyard Kipling, qui en donne les signes de reconnaissance et les mots de passe (en les transformant sans doute), avec les différences secrètes permettant de distinguer les membres des deux catégories (pp. 244-246). Il y a même une remarquable analogie entre la turquoise des Fils du Charme et le fameux anneau des 33es / ; et, assurément, tout cela peut paraître digne de quelque réflexion.

(À suivre.)