Les Vampires de la Turquie
Les
Deunmés(*)

Sous la première de ces rubriques, nous lisons l’article suivant dans la très intéressante livraison de décembre 1912 du Mècheroutiette, dont toutes les lignes seraient aujourd’hui à reproduire en raison de la haute actualité qu’elles renferment. Eu égard au naturalisme trop peu voilé qui a inspiré le collaborateur du général Chérif Pacha, nous sommes obligés de remplacer certains passages des Vampires de la Turquie par des points de suspension.

« Si l’on demande, en ce moment, à un occidental quels sont les pires ennemis des Turcs, il répondra sans hésiter : ce sont les Bulgares. Les pires ennemis des Turcs ne sont ni les Bulgares, ni les Grecs, ni aucun élément chrétien, mais les deunmés. Qu’est ce que les deunmés ? Littéralement, ce mot signifie : converti. L’éminent orientaliste Rebi Abram Danon, directeur du séminaire israélite de Constantinople, et le grand ironiste français Pierre Mille, oui, Pierre Mille lui-même, se sont occupés jadis de ces descendants de Sabetaï Lévi, qui voulut, au seizième siècle, se faire passer pour le Messie et dut se convertir à l’islamisme, avec tous ses adeptes, pour échapper à la pendaison à laquelle l’avaient condamné les tribunaux de Constantinople. N’allez pas croire pour cela que les deunmés soient de vrais musulmans. Ils ne sont pas non plus juifs. Sous des dehors musulmans ils pratiquent, en cachette, un culte à part, une espèce de judaïsme… tel qu’il devra être pratiqué après que le Messie sera arrivé.

« Les deunmés forment quatre sectes – des quatre disciples du faux Messie – dont l’une, la secte de Djavid bey, m’a affirmé un deunmé, sacrifie à Cythère une fois par an

Aussi les deunmés – à de rares exceptions près – passent pour des gens vils et abjects. Étant en apparence musulmans, les deunmés non seulement ont le turc comme langue, mais ils connaissent tous les secrets de leurs prétendus coreligionnaires auxquels ils cachent soigneusement leur vie intime. Les deunmés ne se marient pas avec des musulmans et même les diverses sectes ne convolent pas entre elles. Doués d’une intelligence supérieure à celle des vrais Turcs, étant plus instruits qu’eux, les deunmés occupaient les meilleures places de l’administration.

« Sous Abdul Hamid, les deunmés n’avaient qu’un rêve : celui de voir le partage de l’Empire ottoman afin de rompre en visière avec les musulmans. Par suite des mariages consanguins, les deunmés, dont le nombre total ne dépasse pas douze cents familles – ce qui fait une moyenne de trois cents familles par secte – ont le sang très appauvri et souffrent de toutes les maladies, ce qui les oblige à aller se soigner en Occident. Leur premier geste, en franchissant la frontière turque, était de lancer par terre et de piétiner le fez pour arborer à sa place un beau chapeau. Cette vilenie était toujours accompagnée de grossières insultes à l’adresse des Turcs, ces barbares… ces pelés, ces tondus, etc.

« Ce n’est pas seulement aux Turcs qu’ils en ont. Les deunmés haïssent tout le monde. Quand ils sont avec des Turcs, ils médisent du juif et inversement. À un Bulgare ils disent du mal du Grec et du Turc ; à un Grec ils disent du mal du Bulgare et du Turc et ainsi de suite, mais c’est le Turc qui revient toujours comme un leit-motiv, qui forme leur delenda carthago. En parlant, les deunmés ont l’air papelard, le geste onctueux et enveloppant, le sourire stéréotypé sur les lèvres. Ils croient ainsi tromper tout le monde, mais tout le monde sait ce que vaut le deunmé et accueille ses avances avec les plus extrêmes réserves.

« Quand la révolution ottomane éclata, on crut que l’heure dernière des deunmés avait sonné. En effet, les principaux membres du comité : Dr Nazim, Talaat et Rahmi, pour ne citer que ceux-là, songeaient à faire exiler les notables deunmés en Asie Mineure. Mais les misérables durent leur salut à deux circonstances : ils avaient d’abord Djavid, un des leurs, au sein du comité et ils se mirent à flagorner les unionistes de la façon la plus abjecte. Dans toutes les manifestations, dans toutes les réunions, dans tous les meetings, les deunmés qui hier encore appelaient de tous leurs vœux la mort des Turcs, sortaient bannières déployées, musique en tête, criant à tue-tête par les rues et sur les places publiques : Vive le Comité ! Vive l’Union et Progrès ! Vive la Constitution ! et un tas d’autres flagorneries. Peu à peu non seulement ils surent éviter tout danger d’exil ou de molestation, mais les deunmés prirent pied dans le comité, s’installèrent en maîtres dans toutes les sections, prenant là aussi, grâce à la supériorité de leur culture, les rênes de l’administration intérieure. Ce fut, pour le comité, et, hélas ! pour toute la Turquie, le commencement de la série noire.

« Devenus les mauvais génies du comité, les deunmés commencèrent à donner à celui-ci les plus mauvais conseils. Ce furent les deunmés qui provoquèrent la loi du service militaire des non-musulmans, espérant ainsi diminuer les taxes d’exonération qu’ils payent eux-mêmes, car ils ne font jamais le service actif, ou voir les autres aussi acquitter cette taxe. Ce furent les deunmés qui conseillèrent le boycottage dans un esprit de lucre. Grâce au boycottage, les gros négociants deunmés écoulèrent des stocks formidables de marchandises… autrichiennes qu’ils firent passer pour des marchandises anglaises ou françaises. C’est ainsi que les Caracasch, les Baldji, les Ipekdji et tant d’autres deunmés volèrent des millions aux pauvres citoyens ottomans. Par leurs manigances les deunmés contribuèrent à élargir le fossé creusé entre les Turcs et les autres nationalités ottomanes. Ce furent les deunmés qui firent commettre à la Turquie la faute lourde de l’expulsion des Italiens et ce dans le but inavouable d’évincer quelques concurrents. Bref ce sont les deunmés qui attirèrent toutes les calamités qui se sont abattues sur l’Empire ottoman durant les dernières quatre années. Pendant que le pays s’effondrait, les deunmés thésaurisaient. Ils forment aujourd’hui la classe la plus riche de l’Empire.

« Combien le comité Union et Progrès eût été bien inspiré s’il avait mis en pratique son rêve d’exiler les notables deunmés dans les vilayets de l’Asie Mineure ! Une foule de catastrophes économiques et politiques auraient été alors épargnées. Mais la parole charmeresse de ce serpent à sonnettes qu’est Djavid a su empêcher toute mesure coercitive contre ceux de sa race qui est bien la race que tous les ottomans ont le plus grand droit de maudire, car c’est une race pourrie, une race dissolvante, qui a poussé le comité aux pires excès et mené la patrie ottomane à deux doigts de sa perte.

« Comme on le voit, les plus grands ennemis des Turcs ce sont les deunmés, ces êtres vils, rapaces, haïssant tout le monde et n’ayant qu’un but dans la vie : amasser de l’or. Que la Turquie veille sur ces vampires !… »