INDE
L’Académie Indienne de
Science(*)

Nous lisons dans La Vie Mystérieuse (no du 10 septembre 1913) sous le titre : « Une nouvelle distinction honorifique décernée à M. Maurice de Rusnack » :

« Il existe aux Indes une réunion de savants très versés dans la connaissance de toutes les sciences psychiques ; ils ont formé une Académie où ils ne reçoivent que les personnages du monde entier qui ont voué leur vie à la diffusion de ces sciences et ont fait preuve de valeur.

« Le Président de cette Association vient d’envoyer, en témoignage de son dévouement à la cause (sic), le diplôme de membre à vie et le droit de joindre à son nom le titre de “Membre de l’Académie Indienne des Sciences” (sic) à M. Maurice de Rusnack, directeur de La Vie Mystérieuse ».

Ensuite vient le fac-similé en réduction de ce diplôme ; remarquons que le nom du titulaire, la date et la signature du Président sont seuls manuscrits, et que le texte n’est qu’une formule imprimée.

Voici la traduction qui est donnée de ce texte, à laquelle nous avons joint, entre parenthèses, les rectifications qu’il faut y apporter pour la rendre conforme à l’original :

« Qu’il soit connu à tous (« à tous » n’est pas dans le texte) que M. Maurice de Rusnack, Esq., est en particulière estime parmi les membres de notre Académie (le texte dit simplement : « a été admis dans notre Fraternité de Fellows », c’est-à-dire de Membres titulaires), et qu’en vertu de ce privilège, il a désormais le droit (textuellement : « et qu’il a désormais tout droit et privilège ») d’ajouter à son nom le titre de F. I. A. Sc. (« Fellow of Indian Academy of Science », Membre de l’Académie Indienne de la Science).

« En témoignage de quoi nous lui avons délivré le présent diplôme.

« Le 14 juillet 1913.

« Le Président,
« Dr K. T. Ramasami (D. Sc., Ph. D.). »

Et la rédaction de La Vie Mystérieuse ajoute :

« Nos lecteurs seront heureux d’apprendre la nouvelle distinction honorifique accordée à M. de Rusnack. Ils verront en outre par cela combien La Vie Mystérieuse est estimée à l’étranger et combien elle rencontre de sympathies à travers le monde, lue et appréciée qu’elle est, aussi bien en Amérique, en Afrique, en Chine, qu’au Japon et aux Indes, berceau de presque toutes les sciences du mystère. »

Les termes dans lesquels est présentée cette information sensationnelle (?) sont empreints d’une exagération qu’on pourrait croire méridionale… ou belge. Voici ce qu’il faut savoir pour réduire l’événement à ses justes proportions.

D’abord, un diplôme identique (sauf le nom et la date, bien entendu), est expédié par le Président de l’Académie Indienne de Science au directeur, voire même à l’éditeur (au sens français du mot) ou au gérant de toute revue qui accepte de faire échange, à titre gracieux, avec l’organe de cette Association. Cet organe est une revue mensuelle intitulée Self-Culture (Culture Personnelle), et « consacrée aux Sciences et aux Philosophies Physiques, Mentales, Morales, Psychiques, Spirituelles et Occultes » (textuel), qui se publie au siège de la soi-disant Académie, c’est-à-dire, comme l’indique l’en-tête du diplôme, à Kizhanattam, District de Tinnevelly, Inde Méridionale.

L’envoi de ce diplôme est accompagné d’une lettre dans le genre de celle-ci :

« Cher ami et collaborateur (ceci s’adresse à quelqu’un avec qui on veut entrer en relations pour la première fois),

« Recevez nos meilleurs compliments et le salut fraternel des Membres de l’Académie indienne de Science, et veuillez trouver ci-inclus le Diplôme vous conférant le Degré de Fellow de l’I. A. Sc., que nous nous faisons un plaisir de vous offrir en témoignage de la sympathie que nous inspire votre louable effort pour la propagation des Sciences Spirituelles et Occultes, objet que notre Académie a également en vue.

« Nous vous prions de bien vouloir nous en accuser réception bientôt et nous tendre une main secourable, autant qu’il vous sera possible, pour favoriser les intérêts de l’Académie Indienne de Science.

« Avec les meilleurs souhaits pour votre santé, nous sommes vôtres en Vérité (sic). »

Naturellement, l’accueil qui est fait à cette « distinction honorifique » dépend du caractère de la revue qu’on a ainsi voulu « honorer » dans la personne d’un de ses principaux collaborateurs. De plus, il peut arriver qu’une lettre (même insuffisamment affranchie) se trompe parfois de destination.

Maintenant, jusqu’à quel point cette Académie a-t-elle droit à se dire Indienne ? quels sont les Hindous qui composent la fameuse « réunion de savants » dont parle La Vie Mystérieuse ? La revue Self-Culture va nous renseigner à ce sujet.

À part le Dr K. T. Ramasami, directeur, le comité de rédaction comprend (au titre d’Associate Editors) les personnages suivants : le Dr J. M. Peebles, à Los Angeles, Californie ; le Professeur (?) J. Millot Severn, ancien Président de la British Phrenological Association, à Brighton, Angleterre ; le Dr Norris C. Sprigg, de Denver, Colorado ; le Dr James Coates, à Roothesay, Écosse ; le Dr T. M. Nair. Ce dernier seul est un Hindou du Sud, établi dans la Haute Birmanie ; il ne faut pas le confondre, d’ailleurs, avec l’honorable Dr J. M. Nair, de Madras, dont il a été question ailleurs (La France Antimaçonnique, 27e année, no 34, p. 401 : Procès Théosophiques [article de Louis Dasté]).

Cela fait donc, avec le directeur, deux Hindous contre quatre Anglo-Saxons (Anglais et Américains) ; parmi les autres membres de l’Académie dont la revue nous fait connaître les noms, la proportion sera-t-elle plus forte ?

L’Académie, qui admet les femmes au même titre que les hommes, comprend deux Degrés, c’est-à-dire deux catégories de membres : des Membres titulaires (Fellows) et des Membres associés (Associate Members).

Parmi, les Fellows, nous relevons les noms suivants : Dr R. Swinburne Clymer, directeur de The Egyptian, à Richland Center, Pennsylvanie ; H. S. Le Valley, directeur du Telepsychist, à Kankakee, Illinois ; Mrs. M. E. Williams, présidente de l’École de Science et de Philosophie Psychiques, à New-York ; James L. Macbeth Bain, à Londres ; Mrs. Louise Alden, directrice de The Great Center, à Chicago, Illinois ; J. J. Morse, directeur de The Two Worlds, à Manchester, Angleterre ; Henri Proctor, à Londres ; le Rév. B. F. Austin, directeur de Reason, à Rochester, New-York ; Mrs. M. G. Shine, à Richmond, Virginie ; Walter De Voe, à Cleveland, Ohio ; le Dr George W. Carey, à Los Angeles, Californie ; William E. Youngguist, phrénologiste, à Stockholm ; G. W. Kates, secrétaire de la National Spiritualist Association des États-Unis ; Mrs. Cadwallader, directrice du Progressive Thinker, à Chicago, Illinois ; Dr Orison Swett Marden ; Mrs. Mary E. Teats, à Chicago, Illinois ; Henry Harrison Brown, directeur de Now, à San-Francisco, Californie ; W. J. Colville, directeur de Mystic Light, à New-York ; Mrs. M. Klein.

Dans cette longue liste, il n’y a pas un seul Hindou (ou même Indien, dans le sens le plus général du mot). Par contre, il est vrai, il y en a quelques-uns, trois exactement, parmi les Associate Members (qui, croyons-nous, ne sont admis que temporairement, et non à vie comme les Fellows) : S. V. Venkâtaramayya, directeur du Vive Kodaya, à Seringapatam, Mysore ; Uppudi S. Surya Prakas Rao, vice-président de l’I. V. I. (?) d’Occultisme, à Vizagapatam ; V. D. Rangasami. Nous y voyons également : le Colonel W. J. B. Hassarde, à Kansas City, États-Unis (serait-ce encore un « Colonel sans régiment » ?) ; J. A. Biney, à Onitsha, Nigéria du Sud, Afrique Occidentale.

En somme, cette « réunion » se compose d’éléments bien dispersés ; mais, si elle pouvait « exister » quelque part, ce serait plutôt aux États-Unis qu’aux Indes. D’ailleurs, nous retrouverons certains de ces noms au cours de notre étude sur les Sociétés Secrètes américaines, mais il faut avouer que, comme « savants », ils sont assez peu connus.

La revue Self-Culture, tout imprégnée de l’influence protestante et spirite anglo-saxonne, est à peu près inconnue dans l’Inde ; naturellement, c’est surtout en Amérique qu’elle a des lecteurs. Elle contient des annonces pour des miroirs magiques, des « hypnoscopes », des appareils destinés à développer la « clairvoyance » et la « clairaudience », des cours de Yoga (?) et d’Initiation Aryenne (!) par correspondance, dans lesquels on enseigne « l’occultisme, le zoïsme(?), l’hypnotisme, le mesmérisme, la télépsychie », etc., toutes choses qui n’ont assurément rien d’hindou, mais qui obtiennent toujours un vif succès dans l’Extrême-Occident.

En outre, l’Académie a créé une Union pour la Culture Personnelle (Self-Culture Union), qui a pour objet de « favoriser le développement mental, psychique, occulte et spirituel de l’Humanité », ainsi qu’une Corporation des Guérisseurs Éclectiques (Eclectic Healers Guild), qui se propose de « conduire l’Humanité souffrante vers la Santé et le Bonheur ».

Mais ce n’est pas tout, et nous allons voir maintenant que les très rares Hindous qui se sont fourvoyés dans cette Association n’ont vraiment pas lieu de s’en glorifier.

Le no de décembre 1911 de Self-Culture porte sur sa couverture cette inscription : « Longue vie à notre Empereur-Roi Georges V et à notre Reine Marie », à l’occasion du Durbar de Delhi, et, sous la signature du directeur, nous y lisons ce qui suit (nous traduisons aussi littéralement que possible) :

« Le plus grand des événements heureux dans l’histoire de l’Empire Indien Britannique est marqué à la date du 12 décembre 1911, Jour du Durbar du Couronnement, à Delhi, de Leurs Majestés Impériales, l’Empereur-Roi Georges V et l’Impératrice-Reine Marie. Rappelons que Delhi fut, dès les temps les plus reculés, une Cité Impériale d’honneur (sic) sous les divers Empereurs indigènes. Et plus tard, les grands Durbars Britanniques de 1877 et de 1903, pour notre Impératrice-Reine Victoria la Bonne, et notre Empereur-Roi Édouard VII le Pacifique, respectivement, eurent bien plus de Grandeur Impériale (sic) et d’utilité, et contribuèrent largement à rapprocher les gouverneurs et les gouvernés, préparant ainsi la voie à la réforme et au brillant progrès, dans toutes les branches de la vie publique indienne.

(À suivre.)