M. Nicoullaud récidive…(*)

M. Nicoullaud exhale encore sa mauvaise humeur contre nous dans la Revue Internationale des Sociétés Secrètes du 5 mars 1914 (Index occultiste, article Antimaçonnerie occulte, pp. 502-503). La raison en est que, dans notre réponse à M. Bord, nous avons fait allusion, en des termes qui lui ont déplu, aux « quelques romans » dont il est l’auteur. Il nous fait remarquer qu’« il n’a écrit que deux romans : L’Expiatrice et Zoé la Théosophe à Lourdes ». C’est peut-être déjà trop, surtout lorsqu’il s’agit de romans « à clef », extrêmement malveillants pour certaines personnes et pour certaines institutions vis-à-vis desquelles un « écrivain catholique » se croit d’ordinaire tenu à plus d’égards, ou tout au moins à plus de ménagements.

Pour que l’on puisse juger de l’esprit qui anime ces deux ouvrages, nous allons reproduire in extenso les notices qui leur ont été consacrées par M. Dujols (Bibliothèque des Sciences Ésotériques, avril 1912, pp. 39-40), dont M. Nicoullaud ne pourra sans doute pas récuser le témoignage, puisqu’il l’a lui-même appelé « le plus fin joaillier des bibliophiles occultistes » (Bibliographie maçonnique du F/ Peeters-Baertsoen, p. 365, dans la Revue du 5 janvier 1914).

« 229. Nicoullaud (Charles). L’Expiatrice. Paris, 1909. – M. Ch. Nicoullaud n’est pas une physionomie inconnue des amis de l’Occulte. Qui n’a au moins entendu parler du savant Manuel d’Astrologie sphérique et judiciaire de Fomalhaut ? Les deux ne font qu’un, et le personnage est vraiment curieux à étudier dans son double avatar. Ici, l’astrologue s’efface devant le mystique, car, sous la forme attrayante du roman, l’Expiatrice est une œuvre de haute mysticité. C’est même plus, si, comme il nous semble, on peut lire la piquante autobiographie de l’auteur sous le personnage avenant de Pierre Valmary. Maintenant, la mystique de M. Nicoullaud est-elle de l’école teutonique, ou de l’école espagnole ? L’écrivain ne dissimule point sa sympathie pour cette dernière. Saint Jean de la Croix, en effet, est un très grand maître, et prisé même de ceux qui, par suite d’essoufflement, comme cet excellent Père Guissin, ne sont pas en état de tenter la rude escalade du Carmel. Toutefois, avec le guide de M. Nicoullaud, on peut, tout au moins, suivre l’ascèse des yeux. Et ce rôle de simple “voyeur” est loin d’être banal. En dehors de l’héroïne, qui a la blancheur et le parfum du lis, on rencontre, dans le champ de la lorgnette, un certain Père Jésuite qui ne se roule pas précisément dans les épines, et une demoiselle Heltrude de Bois-Loudun dont la piété ardente aurait joliment besoin de l’éteignoir du… sacristain. Il paraît que ce n’est pas une charge, mais bien une photographie d’après nature. L’auteur le dit, ou, si l’on veut, le laisse entendre. Or, en sa qualité de catholique pratiquant, il doit être bien renseigné. Tout de même, on croyait que, le F/ Eugène Sue avait dit tout le mal possible des Jésuites. Eh bien, non, il restait, paraît-il, encore quelque chose, puisque M. Nicoullaud a jugé nécessaire d’ajouter ce mordant codicille au Juif Errant !

« 230. Nicoullaud (Charles). Zoé la Théosophe à Lourdes. Étude de psychologie mystique. Paris, 1911. – Il y avait tout lieu de croire que le R. P. Dagobert Guissin, Mlle Heltrude de Bois-Loudun, et tutti quanti, ne se seraient jamais relevés du rude coup de boutoir porté contre eux dans l’Expiatrice ; mais, suivant un mot célèbre, il est des morts qu’il faut qu’on tue, et M. Nicoullaud n’y va pas pour rire, puisqu’il faut en finir. Or, entre temps, une certaine Flavienne d’Hérectine – un nom prédestiné et pas trop mal trouvé, dans l’espèce – s’inspirant de l’Écriture, qui recommande de ne pas mettre le pied sur la mèche qui fume encore, rallume à son cœur de braise vive le flambeau vacillant de la pauvre Heltrude, tandis que ce bon Père Guissin souffle dessus avec un pieux zèle, pour activer la flamme. Il se rencontre que Mme Flavienne d’Hérectine est cette singulière Supérieure d’un ordre érotico-mystique qui défraya, il y a quelques années, la chronique scandaleuse de Paris. On se rappelle même qu’après un procès retentissant, où le poivre et le sel ne furent pas ménagés, tout s’éteignit soudain, comme si l’on avait noyé cette fournaise rouge sous une douche abondante. Mais les apparences sont trompeuses, et les volcans assoupis ont parfois des réveils terribles. Voila comment l’auteur nous introduit dans les coulisses de ce qu’il est convenu d’appeler le grand monde, et la lorgnette a fort à faire. Ce n’est rien de le dire, il faut le voir ! Cependant, la pauvre Expiatrice continue l’ascension douloureuse du Carmel ; elle connaît les deux nuits obscures de l’âme de saint Jean de la Croix, et, arrivée enfin au sommet, goûte aux joies célestes de l’extase et des divins stigmates. Il ne fallait rien moins que cette vision pure pour effacer les ombres sataniques qui avaient souillé les lentilles de nos jumelles, si tant est qu’il n’en reste plus rien sur le cristal essuyé. Mais la Théosophie, Lourdes, que devient tout cela au milieu de ces péripéties affriolantes ? La Théosophie – ainsi le voulaient la thèse et les opinions de l’auteur – a été vaincue par Lourdes, nécessairement ; mais plutôt par concession sentimentale que par mise en œuvre de la raison. Et cependant, l’écrivain mystique était de taille à ne pas reculer devant une tâche sans doute plus ardue. Mais peut-être aussi la Théosophie n’est-elle intervenue là que pour servir de pompon au livre, car c’est à peu près la seule personne qui s’en tire sans trop de mal. En résumé, M. Ch. Nicoullaud a voulu, dans une série de volumes – espérons que celui-ci ne sera pas le dernier – nous montrer la bonne et la mauvaise mystique : la blanche et la noire. Or, les circonstances veulent, dans ces aventures, que la noire soit représentée par les Jésuites. Je ne sais comment le Père Barbier prendra la chose, mais il pourrait bien y voir encore quelque nouvelle infiltration maçonnique ; et alors, comme il a le bras long – il va de Paris jusqu’à Rome – M. Nicoullaud – astrologue avéré, mystique audacieux – n’aura pas trop, pour se blanchir, des 96 pages de sa Revue Internationale des Sociétés Secrètes. »

Que doit-on penser d’ouvrages susceptibles de donner lieu à des appréciations comme celles-là ? Il se dégage incontestablement de ces romans une impression pénible et malsaine ; l’auteur a beau y avoir fait un grand étalage d’« érudition », et même de « haute mysticité », il est bien vrai qu’il restera toujours quelque chose des « ombres sataniques » qu’il a imprudemment évoquées.

Il est permis, d’autre part, de se demander pourquoi la Théosophie seule « s’en tire sans trop de mal » ; il est pourtant bien aisé, en réalité, de montrer toute l’inconsistance de cette prétendue doctrine. M. Nicoullaud la croit peut-être plus redoutable qu’elle n’est, et il lui accorde une importance exagérée au détriment de certaines autres plus sérieuses, alors que, par exemple, il pense s’en tirer avec quelques plaisanteries faciles pour réfuter Swedenborg, qui, malgré certaines extravagances au moins apparentes, méritait beaucoup mieux que cela.

Pour en revenir à la question principale, notre contradicteur pourrait assurément nous objecter qu’« antijésuitisme » n’est pas forcément synonyme d’« anticléricalisme ». Soit ; mais, puisqu’il semble nous mettre au défi de lui « citer une phrase anticléricale tirée de ses ouvrages », en voici une que nous extrayons de Zoé la Théosophe à Lourdes (p. 204), et qui est très nette à ce point de vue : « Et s’il fallait faire le départ dans le Lourdes, tel qu’il est sorti de la main des hommes, il faudrait laisser aux autorités ecclésiastiques, aux évêques, aux Peyramale, aux Sempé et aux grandiloquents Lasserre et Cie leurs monuments, leurs constructions, leur luxe criard, leurs romans historiques ; et donner à l’humble Bernadette le souffle de charité qui, seul, préserve Lourdes. »

Ici, ce n’est pas aux Jésuites que s’en prend M. Nicoullaud, c’est bien « aux évêques » et « aux autorités ecclésiastiques » ; après cela, lorsqu’il déclare, comme il le fait si volontiers, que « les vrais mystiques restent toujours soumis aux directions de l’Église », ne devrait-il pas, pour être conséquent avec lui-même, leur faire presque un reproche de ce manque d’indépendance, ou tout au moins le regretter ? Les choses iraient si bien, à Lourdes, si Bernadette avait consenti à se charger elle-même de toute l’organisation, en priant les « autorités ecclésiastiques » de ne pas se mêler de ses affaires !… Quant à ce que M. Nicoullaud appelle les « romans historiques » de Lasserre, nous pourrions bien, à ce propos, lui dire à notre tour : « Quand on porte une accusation comme celle-là sur un écrivain catholique », ou tout aussi bien sur n’importe quel écrivain réputé sérieux, quelles que soient ses opinions, « on se doit à soi-même de l’appuyer d’un texte », et même de plusieurs.

Maintenant, si notre « adversaire » y tient encore, nous pourrons citer plusieurs autres passages de ses romans, qui suffiront à édifier pleinement nos lecteurs sur la mentalité assez spéciale de cet « écrivain catholique »… et « réaliste ». Cette mentalité se trahit jusque dans son livre récent sur L’Initiation Maçonnique, dont il nous a fait un grief de n’avoir pas parlé en son temps ; pourtant, il valait mieux pour lui qu’il en fût ainsi, étant donnée la critique que, en toute sincérité, nous aurions été obligé d’en faire.

Nous sommes amené aussi, par ces considérations, à nous demander si ce n’est pas en raison de leur « réalisme », vraiment excessif parfois, que M. Nicoullaud accueille certaines fantaisies pseudo-kabbalistiques, quelque peu déplacées dans une revue qui se respecte, comme celle que nous voyons précisément s’étaler, durant 30 pages, dans ce même numéro du 5 mars. Il y a longtemps que nous sommes fixés sur la valeur de ce genre de travaux, car nous en connaissons fort bien l’origine et l’inspiration, peut-être mieux que ne les connaît M. Nicoullaud lui-même ; et nous ne désespérons pas de voir apparaître un de ces jours, commenté selon toutes les règles de l’« initiation verbale » et « littérale », le fabuleux « Gennaïth-Menngog de Rabbi Éliézer Hakabir » !

Il y aurait assurément beaucoup à dire… et à redire sur tout cela ; mais pourtant, nous ne tenons pas à nous y étendre outre mesure, car nous ne sommes pas disposé à laisser dévier entièrement le débat sur ce terrain « personnel » où notre contradicteur semble vouloir le porter de préférence. Nous n’avions même pas l’intention de revenir sur son « antijésuitisme », s’il ne nous y avait provoqué ; seulement, puisque c’est lui qui nous force à préciser, tant pis si ce qu’il appelle une « légende bouffonne » en reçoit un accroissement de vitalité. Ceci dit, il faut que M. Nicoullaud sache bien que sa personnalité, tout comme celle de M. Bord, n’a pas assez d’importance à nos yeux pour absorber les questions de « principes » qui ont donné naissance à cette discussion ; et même, dût son amour-propre en souffrir, elle nous est, au fond, plutôt indifférente…

M. Nicoullaud écrit encore, à propos de notre réponse à M. Bord : « Quant aux autres parties de l’article qui me concernent, j’attendrai pour en parler que le “Sphinx” se soit expliqué, s’il juge à propos de le faire, sur ma réponse du 5 février dernier. » C’est ce que nous avons fait dans la France Antimaçonnique du 12 février, de sorte que, maintenant, c’est à nous d’attendre que notre « adversaire » en ait pris connaissance. « Il pourra, à l’avenir, s’éviter la peine » de parler de notre « méthode de maître d’école » (!), puisque, là-dessus aussi, nous lui avons répondu ; mais, bien entendu, ce ne sont pas ses observations « charitables » (?) qui nous feront changer cette « méthode ». Nous continuerons donc à « mettre des sic », non pas « à tout bout de champ », mais partout où bon nous semblera, comme c’est notre droit incontestable, et sans avoir à lui en demander la permission. Il peut être bien assuré, d’ailleurs, que ce ne sera jamais « hors de propos », car, lorsque nous mettons un sic, nous savons fort bien pourquoi nous le mettons ; si M. Nicoullaud ne le voit pas, c’est malheureux pour lui. Pourtant, il est des cas où nous devons lui reconnaître une excuse : par exemple, s’il a vu que des auteurs tels que Papus parlaient de Séphiroths, il a bien pu s’imaginer que cette duplication du pluriel devait cacher quelque chose de « profondément initiatique » ; et, somme toute, cette illusion est pardonnable de la part de quelqu’un qui croit trouver une « initiation »… jusque chez les spirites ! Seulement, si M. Nicoullaud avait constaté comme nous qu’il y a, parmi les occultistes, d’illustres « docteurs en Kabbale » qui ne connaissent même pas l’alphabet hébraïque, il serait peut-être moins prompt à s’enthousiasmer pour leurs fautes d’orthographe. Et il en est assurément d’autres qui, pour n’être pas occultistes, ne sont pas davantage à l’abri de ces petites mésaventures ; il est bien facile d’affirmer que l’on connaît à fond « le Zohar et le Talmud de la Kabbale juive » (?!), mais il serait peut-être quelquefois plus difficile d’en donner des preuves suffisantes.

M. Nicoullaud termine en disant que nous sommes « trop savant pour que personne songe jamais à nous attribuer la paternité de ce qu’il écrit ». Nous ne comprenons pas trop ce qu’il a voulu dire, car nous avons l’habitude de placer entre guillemets « les textes que nous reproduisons », et il nous semble que cela doit suffire pour qu’il ne vienne à personne l’idée de nous en « attribuer la paternité ». Certes, nous nous en voudrions d’être aussi « savant » que M. Nicoullaud ; mais, si nous sommes loin d’avoir cette prétention, nous pouvons tout de même avoir quelquefois celle de connaître certaines choses qu’il ignore, ce qui est tout différent.

En tout cas, il ne pourra pas dire de nous que « ce sont toujours les mêmes Claudio Jannet, Deschamps, Crétineau-Joly et Barruel qui se réincarnent (!) pour professer » dans nos articles. Il y a, comme nous l’avons dit, bien des points qu’ils ont pu traiter incomplètement ou laisser de côté, et auxquels il vaut mieux, par conséquent, s’attacher de préférence, plutôt que de « rééditer indéfiniment ces quatre évangélistes de l’antimaçonnerie », suivant l’heureuse (?) expression de M. Bord. D’autre part, s’il nous arrive de trouver dans un auteur maçonnique une relation de certains faits qui (à part les appréciations) concorde entièrement avec celle qu’en a donnée Barruel, nous y verrons une confirmation de la véracité de ce dernier, et, naturellement, nous nous en réjouirons. Ce à quoi nous n’aurions jamais pensé, en pareil cas, c’est à dire, comme l’a fait dernièrement M. Bord, que l’auteur maçonnique en question a parlé « d’après Barruel » ; vraiment, ce serait un peu ridicule pour quelqu’un qui avait la possibilité de remonter à des sources originales !

Puisque nous en sommes venu à parler de M. Bord, nous constaterons qu’il garde désormais, à notre égard, un silence dont il aurait bien dû ne jamais se départir. Nous n’avons qu’à le féliciter de cette nouvelle attitude, car elle est l’indice d’une prudence qui, chez lui, pourrait bien être un commencement de sagesse. Il aura sans doute compris qu’en s’imaginant sans cesse qu’on est entouré d’« adversaires » et en agissant en conséquence, on finit par s’en créer réellement ; voilà une vérité dont M. Nicoullaud pourrait également faire son profit.

Le Sphinx.