Mai 1928

É. de Boccard.

Le titre de cet ouvrage nous avait tout d’abord favorablement impressionné, parce qu’il contenait le mot de « transmigration » et non celui de « réincarnation », et aussi parce qu’il faisait supposer que les conceptions modernes avaient été entièrement laissées de côté. Malheureusement, nous n’avons pas tardé à nous apercevoir que la question était étudiée en réalité, non point « dans les Livres sacrés de l’Inde ancienne », mais tout simplement dans les interprétations qu’en ont données les orientalistes, ce qui est entièrement différent. De plus, peut-être à cause de l’insuffisance du mot « âme », qui peut désigner à peu près indifféremment tout ce qui n’est pas « corps », c’est-à-dire des choses aussi diverses que possible, l’auteur confond constamment la « transmigration », ou les changements d’états d’un être, avec la « métempsychose », qui n’est que le passage de certains éléments psychiques inférieurs d’un être à un autre, et aussi avec la « réincarnation » imaginée par les Occidentaux modernes, et qui serait le retour à un même état. Il est curieux de noter que ce terme de « réincarnation » ne s’est introduit dans les traductions de textes orientaux que depuis qu’il a été répandu par le spiritisme et le théosophisme ; et nous pouvons affirmer, que, s’il se trouve dans ces textes certaines expressions qui, prises à la lettre, semblent se prêter à une telle interprétation, elles n’ont qu’une valeur purement symbolique, tout comme celles qui, dans l’exposé des théories cycliques, représentent un enchaînement causal par l’image d’une succession temporelle. Signalons encore, dans ce livre, l’abus de la « méthode historique » chère aux universitaires : on part de l’idée préconçue qu’il s’agit de quelque chose d’assimilable à de simples théories philosophiques, d’une doctrine qui a dû se former et se développer progressivement, et on envisage toutes les hypothèses possibles quant à son origine, sauf celle d’une « révélation » ou d’une « inspiration » supra-humaine ; ce n’est certes pas par hasard que la seule solution qu’on écarte ainsi de parti pris se trouve être précisément la seule qui soit conforme à l’orthodoxie traditionnelle. Au milieu de tout cela, il y a pourtant quelques vues justes, comme l’affirmation du caractère purement monothéiste de la doctrine hindoue ; mais, l’auteur a grand tort de croire que le rapport de la connaissance « suprême » et de la connaissance « non-suprême » peut être assimilé à celui de l’ésotérisme et de l’exotérisme, aussi bien que d’accepter pour le mot Upanishad une interprétation qui ne repose que sur la seule autorité de Max Müller et qu’aucun Hindou n’a jamais admise ; si nous voulions entrer dans le détail, combien d’autres critiques de ce genre ne trouverions-nous pas à formuler !