Juillet 1932
- Olivier Leroy. — Les Hommes Salamandres.
Desclée de Brouwer et Cie.
Le titre de ce petit livre, qui peut sembler assez étrange, est expliqué par le sous-titre : « recherches et réflexions sur l’incombustibilité du corps humain ». L’auteur expose des faits de cet ordre qui se rattachent à des catégories fort diverses, depuis les saints jusqu’aux médiums, en se limitant d’ailleurs à ceux qui sont garantis par des témoignages sérieux. Quant aux explications possibles, il se montre fort prudent, et, tout en réservant la part du surnaturel dans certains cas, il semble voir surtout dans l’invulnérabilité de l’homme, d’une façon générale, une marque de sa nature spéciale, quelque chose qui « lui fait, plus que l’intelligence, une place à part » dans le monde. « L’homme seul, dit-il en terminant, aspire à ces paradoxes : ne plus peser, être insensible au feu, et l’on voit par instants la matière obligée de se plier en bougonnant à ses caprices. »
- G. Dandoy, S. J. — L’Ontologie du Vêdânta.
Traduit de l’anglais par Louis-Marcel Gauthier, Desclée de Brouwer et Cie.
Nous avions entendu parler du P. Dandoy, qui dirige à Calcutta la revue Light of the East, comme ayant étudié les doctrines hindoues avec sympathie et en dehors des habituels préjugés des orientalistes ; aussi nous attendions-nous à trouver dans son livre un exposé vraiment compréhensif d’un aspect du Vêdânta, mais nous devons dire que nous avons été quelque peu déçu. Ce n’est pas qu’il n’y ait, à côté de certaines erreurs et confusions, des vues intéressantes, quoique parfois exprimées avec une terminologie contestable ; mais, dans l’ensemble, le point de vue de l’auteur est déformé par une intention de controverse. Le fait même de se limiter à l’ontologie (et encore aurait-il fallu ne pas y faire rentrer de force des choses qui en réalité dépassent ce domaine) ne peut s’expliquer que par la volonté d’établir une comparaison avec la scolastique, qui effectivement ne va pas plus loin ; et, à ce propos, nous devons faire une remarque : si nous avons écrit, comme le traducteur le rappelle dans sa préface, que le langage scolastique est « le moins inadéquat de tous ceux que l’Occident met à notre disposition » pour traduire certaines idées orientales, nous n’avons nullement voulu dire par là qu’il soit parfaitement adéquat, et, en tout cas, il ne s’applique plus au delà d’un certain point où s’arrêtent les correspondances qu’on peut légitimement établir. Le P. Dandoy discute comme s’il s’agissait simplement de philosophie et de théologie, et, bien qu’il avoue assez explicitement son embarras à « réfuter » le Vêdânta, il est entendu qu’il doit conclure à l’avantage de la scolastique. Pourtant, comme il ne peut passer sous silence l’existence de la « réalisation », il écrit lui-même que, « puisque c’est une intuition directe et indépendante, elle n’est pas affectée par des limitations d’essence philosophique et n’a pas à résoudre de difficultés d’ordre philosophique » ; cette seule phrase devrait suffire à couper court à toute discussion et à en montrer l’inanité. Chose curieuse, M. Maritain, dans des commentaires placés à la fin du volume, reconnaît pour sa part que « la plus profonde signification du Vêdânta n’est pas philosophique, rationnelle ou spéculative » ; rien n’est plus vrai, mais n’est-ce pas là réduire à néant toute la thèse de l’auteur ? M. Maritain, lui, attribue au Vêdânta une valeur essentiellement « pragmatiste », ce qui est un mot au moins malheureux quand il s’agit de l’ordre purement spirituel, qui n’a rien à voir avec l’action, et une signification « religieuse et mystique », confusion qui n’est guère moins grave que celle qui consiste à en faire une philosophie : c’est toujours la même incapacité à sortir des points de vue occidentaux… Mais il y a encore autre chose : M. Maritain déclare que « ce serait une duperie (sic) de prendre, comme nous le proposent certains des plus zélés interprètes occidentaux de l’hindouisme, la pensée vêdântine pour le pur type de la métaphysique par excellence ». Nous ne croyons pas qu’aucun « interprète occidental » ait jamais dit cela ; en revanche, nous avons dit nous-même quelque chose de ce genre, mais en donnant au mot « métaphysique » un tout autre sens que M. Maritain, qui n’y voit que « spéculation pure » et, au fond, simple philosophie. Nous avons expliqué maintes fois que la métaphysique vraie est essentiellement « supra-rationnelle », et que, au sens originel qui est ici le seul dont nous tenions compte, « métaphysique » est en somme synonyme de « surnaturel » ; mais « surnaturel » ne veut pas nécessairement dire « mystique », n’en déplaise à M. Maritain. Si nous insistons là-dessus, c’est que nous n’apercevons que trop clairement le parti que certains peuvent songer à tirer de la publication d’un livre comme celui-là : le P. Dandoy lui-même semble rêver de substituer dans l’Inde la scolastique au Vêdânta, car il écrit qu’« on ne supprime que ce que l’on remplace », ce qui est un aveu assez brutal ; mais il y a peut-être chez d’autres une intention plus subtile : pourquoi n’arriverait-on pas à « accommoder » le Vêdânta de telle façon que le thomisme puisse l’absorber comme il a absorbé l’aristotélisme ? Le cas est entièrement différent, car l’aristotélisme n’est après tout qu’une philosophie, et le Vêdânta est tout autre chose ; du reste, les doctrines orientales, d’une façon générale, sont telles qu’elles défient toute tentative d’annexion ou d’assimilation ; mais cela ne veut pas dire que certains ne puissent pas s’y essayer, et l’intérêt subit qu’ils manifestent pour ces doctrines n’est pas de nature à nous inspirer une confiance illimitée. D’ailleurs, voici qui ne justifie que trop ces soupçons : la R. I. S. S., dans son no du 1er avril dernier, a publié un éloge du livre du P. Dandoy, en prétendant expressément l’opposer à nos propres ouvrages ; elle ajoutait que ce livre « peut être consulté en confiance » parce qu’il est « l’œuvre d’un catholique », ce qui est une singulière garantie de compétence en ce qui concerne les doctrines hindoues (faudra-t-il, pour un exposé de doctrine catholique, accorder la préférence à un Brâhmane ?), « tout en étant écrit avec une impartialité à laquelle les pandits hindous eux-mêmes ont rendu hommage ». On a en effet pris soin de faire figurer dans la préface le témoignage d’un pandit ; malheureusement, cette approbation (dont la portée réelle est d’ailleurs bien réduite pour qui connaît les usages de la politesse orientale) se rapporte, non pas au livre du P. Dandoy, mais à un travail de son collègue le P. Johanns publié dans la revue Light of the East ! N’avons-nous pas dans tout cela quelques bonnes raisons de nous tenir sur une réserve teintée de quelque méfiance ? Et qu’on ne s’étonne pas que nous nous étendions davantage sur ces choses que sur ce qu’a écrit le P. Dandoy, qui personnellement n’y est sans doute pour rien : le livre n’a pas une très grande importance en lui-même, il a surtout celle que veulent lui donner ses « présentateurs ».
- Marcel Lallemand. — Notes sur l’Occultisme.
Éditions de la Nouvelle Équipe, Bruxelles.
Dans cette brochure, qui est la reproduction d’une étude parue d’abord dans la revue belge Nouvelle Équipe (janvier-mars 1932), l’auteur examine des questions d’ordre assez divers, mais que certains réunissent sous le vocable d’« occultisme », que d’ailleurs il n’accepte pas lui-même, comme il a soin de le faire remarquer dès le début. La première partie se rapporte aux phénomènes métapsychiques et donne un résumé de leur classification, ainsi que des différentes explications qui en ont été proposées, à l’intention des lecteurs peu au courant de ces questions ; mais ce qui vient ensuite est, pour nous, beaucoup plus digne d’intérêt. Il s’agit en effet de l’ésotérisme ; or, catholique et écrivant dans une revue catholique, M. Lallemand ne craint pas de montrer fort clairement combien il est loin de partager à cet égard les préjugés haineux de certains. Il précise que l’ésotérisme « ne doit nullement être confondu avec l’occultisme, qui n’en est le plus souvent qu’une déformation moderne », une véritable « caricature » ; il affirme « l’unité des doctrines traditionnelles », en insistant spécialement sur le symbolisme, qui « est totalement ignoré de la philosophie moderne, mais fut connu de toute l’antiquité, occidentale et orientale, des Pères de l’Église et des grands théologiens médiévaux ». Il proclame hautement l’existence de l’ésotérisme dans le Christianisme aussi bien que partout ailleurs ; et, parlant de l’attitude de ceux qui le nient, il dit : « C’est là une tendance aussi antitraditionnelle que le modernisme, et, à ce point de vue, la théologie n’a pas été à l’abri des influences qui, depuis la Renaissance, entraînèrent l’intellectualité de l’Occident vers les ténèbres. » On ne saurait mieux dire ; il y a d’ailleurs là des pages qui seraient à citer tout entières, et que nous recommandons tout particulièrement à l’attention de certains de nos adversaires… de même que nous signalons ce qui est dit du Voile d’Isis à ceux qui s’obstinent, avec la plus insigne mauvaise foi et en dépit de toute évidence, à le qualifier de « revue occultiste ». M. Lallemand, et aussi la revue qui a publié son étude, ont fait preuve d’un courage trop rare actuellement, et dont on ne saurait trop les féliciter.