Août-septembre 1932

Traduit du hollandais par Mme Félicia Barbier (Éditions du Monde Nouveau).

La première traduction française de ce petit livre était épuisée depuis longtemps ; nous sommes heureux de signaler l’apparition d’une nouvelle traduction, car, sous son apparence simple et sans prétentions « érudites », il est certainement une des meilleures choses qui aient été écrites en Occident sur le Taoïsme. Le sous-titre : « fantaisie inspirée par la philosophie de Lao-tsz’ », risque peut-être de lui faire quelque tort ; l’auteur l’explique par certaines observations qui lui ont été adressées, mais dont il nous semble qu’il n’était point obligé de tenir compte, étant donnée surtout la médiocre estime en laquelle il tient, à très juste raison, les opinions des sinologues plus ou moins « officiels ». « Je ne me suis attaché, dit-il, qu’à conserver, pure, l’essence de la sagesse de Lao-tsz’… L’œuvre de Lao-tsz’ n’est pas un traité de philosophie… Ce que Lao-tsz’ nous apporte, ce ne sont ni des formes, ni des matérialisations ; ce sont des essences. Mon étude en est imprégnée ; elle n’en est point la traduction. » L’ouvrage est divisé en trois chapitres, où sont exposées sous la forme d’entretiens avec un vieux sage, d’abord l’idée même du « Tao », puis des applications particulières à « l’Art » et à « l’Amour » ; de ces deux derniers sujets, Lao-tseu lui-même n’a jamais parlé, mais l’adaptation, pour être un peu spéciale peut-être, n’en est pas moins légitime, puisque toutes choses découlent essentiellement du Principe universel. Dans le premier chapitre, quelques développements sont inspirés ou même partiellement traduits de Tchoang-tseu, dont le commentaire est certainement celui qui éclaire le mieux les formules si concises et si synthétiques de Lao-tseu. L’auteur pense avec raison qu’il est impossible de traduire exactement le terme « Tao » ; mais peut-être n’y a-t-il pas tant d’inconvénients qu’il paraît le croire à le rendre par « Voie », qui est le sens littéral, à la condition de bien faire remarquer que ce n’est là qu’une désignation toute symbolique, et que d’ailleurs il ne saurait en être autrement, quelque mot que l’on prenne, puisqu’il s’agit de ce qui en réalité ne peut être nommé. Où nous approuvons entièrement M. Borel, c’est quand il proteste contre l’interprétation que les sinologues donnent du terme « Wu Wei », qu’ils regardent comme un équivalent d’« inaction » ou d’« inertie », alors que « c’est exactement le contraire qu’il faut y voir » ; on pourra d’ailleurs se reporter à ce que nous disons d’autre part sur ce sujet(*). Nous citerons seulement ce passage, qui nous paraît bien caractériser l’esprit du livre : « Lorsque tu sauras être Wu Wei, Non-Agissant, au sens ordinaire et humain du terme, tu seras vraiment, et tu accompliras ton cycle vital avec la même absence d’effort que l’onde mouvante à nos pieds. Rien ne troublera plus ta quiétude. Ton sommeil sera sans rêves, et ce qui entrera dans le champ de ta conscience ne te causera aucun souci. Tu verras tout en Tao, tu seras un avec tout ce qui existe, et la nature entière te sera proche comme une amie, comme ton propre moi. Acceptant sans t’émouvoir les passages de la nuit au jour, de la vie au trépas, porté par le rythme éternel, tu entreras en Tao où rien ne change jamais, où tu retourneras aussi pur que tu en es sorti. » Mais nous ne saurions trop engager à lire le livre en entier ; et il se lit d’ailleurs fort agréablement, sans que cela ôte rien à sa valeur de pensée.