Octobre 1932

Reproduction modernisée du texte de 1605, avec introduction et notes de J. Evola (G. Laterza e Figli, Bari).

Ce traité hermétique, tout en étant loin d’être réellement aussi explicite et dépouillé d’énigmes que l’auteur veut bien le dire, est sans doute un de ceux qui montrent le plus nettement que le « Grand Œuvre », qu’il représente symboliquement comme la conquête de l’« Arbre de Vie », ne doit point être entendu au sens matériel que les pseudo-alchimistes ont voulu lui donner ; le véritable hermétisme y est à chaque instant opposé à ses déformations ou à ses contrefaçons. Certains des procédés d’explication qui y sont employés sont vraiment curieux, notamment celui qui consiste, pour interpréter un mot, à le décomposer en lettres ou en syllabes qui seront le commencement d’autant d’autres mots dont l’ensemble formera une définition ; ce procédé peut sembler ici un pur artifice, mais il imite celui qui est en usage pour certaines langues sacrées. L’introduction et les notes sont aussi dignes d’intérêt mais appellent parfois quelques réserves : M. Evola a été visiblement séduit par l’assimilation de l’hermétisme à la « magie », entendue ici en un sens très éloigné de celui qu’elle a d’ordinaire, et par celle de l’Adepte au « Héros », où il a cru trouver quelque chose de semblable à ses propres conceptions, ce qui l’a entraîné à des interprétations quelque peu tendancieuses ; et, d’autre part, il est à regretter qu’il n’ait pas insisté plus qu’il ne l’a fait sur ce qui se rapporte au « Centre du Monde », et qui nous paraît tout à fait essentiel, étant en quelque sorte la clef de tout le reste. Enfin, au lieu de « moderniser » le texte comme on a cru devoir le faire, peut être eût-il mieux valu le reproduire tel quel, quitte à expliquer les mots ou les tournures dont l’archaïsme pouvait rendre la compréhension difficile.

Fratelli Bocca, Torino.

Ce petit volume nous apparaît comme un des meilleurs de l’auteur, qui a fait œuvre fort utile en y montrant le masque et le visage du « néo-spiritualisme », c’est-à-dire ce pour quoi il se donne et ce qu’il est réellement. Il passe en revue diverses formes de ce « néo-spiritualisme » et des conceptions qui lui sont plus ou moins étroitement apparentées : spiritisme et « recherches psychiques », psychanalyse, théosophisme, anthroposophie steinérienne, « néo-mysticisme » de Krishnamurti, etc. Il s’attache surtout à montrer les dangers d’ordre psychique inhérents à tous ces « mouvements », aussi peu « spirituels » que possible en réalité, plus qu’à faire ressortir la fausseté des théories qui y sont présentées ; il est d’ailleurs, sur les points essentiels, presque entièrement d’accord avec ce que nous avons écrit sur ce sujet, ainsi qu’il le signale lui-même. Nous craignons seulement que la façon dont il met à part certaines écoles « magiques » ne soit pas tout à fait justifiée ; et il nous semble aussi qu’il fait preuve, à l’égard de Steiner, d’une indulgence d’ailleurs relative, mais qu’il ne nous est guère possible de partager. D’autre part, un des derniers chapitres contient, sur la signification ésotérique du Catholicisme, des considérations que nous sommes d’autant plus heureux de signaler que, jusqu’ici, l’attitude de l’auteur semblait plutôt indiquer quelque méconnaissance d’une forme traditionnelle dont la valeur est tout à fait indépendante de ce que peuvent penser ou dire ses représentants actuels ; et, s’il plaît à ceux-ci de dénier à leur propre doctrine tout sens supérieur à la « lettre » la plus grossière, ce n’est point là une raison pour leur faire écho.

Éditions de la Revue mondiale, Paris.

Cet ouvrage, malgré l’incontestable intérêt de certaines des considérations qui s’y rencontrent, laisse dans son ensemble une impression quelque peu mêlée ; cela peut tenir pour une certaine part à l’emploi plutôt fâcheux qui y est fait du mot « introspection », terme de psychologie profane qui ne peut ici que prêter à équivoque ; mais, surtout, on se demande constamment en quel sens l’auteur entend au juste le mot « mystique », et même si, au fond, c’est bien vraiment de mystique qu’il s’agit. En fait, il semble qu’il s’agisse plutôt d’« ascèse », car il y a là l’exposé d’une tentative d’effort méthodique qui n’est guère compatible avec le mysticisme proprement dit ; mais, d’autre part, le caractère spécifique de cette ascèse même est assez peu nettement déterminé ; elle ne saurait, en tout cas, être regardée comme d’ordre initiatique, car elle n’implique le rattachement à aucune tradition, alors que ce rattachement est une condition essentielle de toute initiation, ainsi que nous l’exposons dans l’article qu’on aura lu d’autre part(*). Cette ambiguïté, qui n’est pas sans causer un certain malaise, se double d’un manque de rigueur dans la terminologie, où n’apparaît que trop l’indépendance de l’auteur à l’égard des doctrines traditionnelles, et qui est peut-être ce qui lui est le plus incontestablement commun avec les mystiques de toute catégorie. À côté de ces défauts que nous ne pouvions passer sous silence, ce qui est de beaucoup le plus remarquable dans ce livre, ce sont les considérations qui se rapportent aux rôles respectifs du « cœur » et du « cerveau », ou de ce qu’ils représentent, ainsi qu’au « sens vertical » et au « sens horizontal » dans le développement intérieur de l’être, considérations qui rejoignent le symbolisme traditionnel, tel que nous l’avons exposé dans Le Symbolisme de la Croix ; nous avons d’ailleurs, il y a quelques années, signalé cette intéressante concordance dans un de nos articles de Regnabit(**), le chapitre dont il s’agit ayant alors paru séparément dans la revue Vers l’Unité. L’auteur a joint, comme appendices à son ouvrage, la reproduction de deux opuscules déjà anciens ; l’un d’eux contient un essai de « rationalisation » du miracle, interprété « biologiquement », qui n’est certes pas ce à quoi nous donnerions le plus volontiers notre assentiment.

Éditions Adyar, Paris.

C’est un exposé des phases diverses par lesquelles est passé Krishnamurti depuis les débuts de sa « mission » ; exposé enthousiaste, mais néanmoins fidèle, car il est fait pour la plus grande partie au moyen des textes mêmes, de sorte qu’on peut s’y référer comme à un recueil de « documents », sans aucunement partager les appréciations de l’auteur. Krishnamurti a eu au moins, dans sa vie, un geste fort sympathique, lorsque pour affirmer son indépendance, il prononça la dissolution de l’« Ordre de l’Étoile » ; et, pour échapper ainsi à l’emprise de ses « éducateurs », il lui fallut assurément une assez belle force de caractère ; mais, cette considération toute « personnelle » étant mise à part, que représente-t-il au juste, et que prétend-il apporter ? Il serait bien difficile de le dire, en présence d’un « enseignement » qui n’en est pas un, qui est quelque chose de tout « négatif », plus vague et plus fuyant encore que l’insaisissable philosophie de M. Bergson, avec laquelle il a d’ailleurs quelque ressemblance par son exaltation de la « vie ». On pourra sans doute nous dire que Krishnamurti est incapable d’exprimer par les mots l’état auquel il est parvenu, et nous voulons bien l’admettre ; mais qu’on n’aille pas jusqu’à assurer que cet état est vraiment la « Libération », au sens hindou du mot, ce qui est excessif, et d’ailleurs inconciliable avec un semblable attachement à la « vie ». S’il en était ainsi, cela se sentirait à travers les formules les plus imparfaites et les plus inadéquates, et cela laisserait autre chose qu’une assez pénible impression d’inconsistance, de vide, et disons le mot, de néant.