Octobre 1933

Firmin-Didot et Cie, Paris.

Ce petit livre, écrit malheureusement en un style difficile et sans aucune division du commencement à la fin, contient des vues très justes, à côté d’autres qui sont plus contestables. Contre ceux qui prétendent que la connaissance de l’histoire ne sert à rien ou qu’elle est même nuisible, l’auteur affirme qu’il y a lieu de tirer du passé des leçons pour l’avenir, que d’ailleurs c’est l’histoire qui, par la continuité des générations, nous a faits ce que nous sommes, que le passé vit en nous-même malgré nous et que nous ne pouvons lui échapper ; et il pense que c’est l’ignorance de l’histoire qui fait accepter beaucoup d’erreurs anciennes reparaissant sous des formes nouvelles et souvent aggravées. Ce n’est certes pas nous qui méconnaîtrons l’opportunité d’un plaidoyer en faveur de la « tradition », encore que ce mot ait ici un sens assez différent de celui où nous l’entendons ; mais nous craignons qu’il n’y ait quelque contradiction à vouloir ménager en même temps certaines conceptions nettement antitraditionnelles ; et, pour se proposer de concilier « tradition et progrès », il faut tout d’abord croire au « progrès »… D’autre part, on peut se demander jusqu’à quel point l’histoire telle qu’on l’enseigne coïncide avec l’histoire vraie, celle qu’il faudrait connaître ; et, sans parler de trop de falsifications conscientes ou inconscientes qui dénaturent les faits eux-mêmes, nous avons bien des raisons de penser que ce qu’on appelle aujourd’hui la « méthode historique », avec son respect exclusif du « document » écrit, a été inventé précisément pour empêcher de remonter aux véritables causes, qui ne sauraient être atteintes de cette façon. De plus, nous n’avons guère confiance dans les diverses constructions hypothétiques de « philosophie de l’histoire » qui sont ici passées en revue ; ce dont la connaissance serait vraiment profitable est quelque chose de beaucoup moins « profane » ; mais c’est justement cela qu’il a fallu cacher pour pouvoir amener le monde moderne au point où il en est, et, là-dessus, les « dirigeants » apparents, « aveugles conducteurs d’aveugles », n’en savent guère plus long que la masse qu’ils mènent en lui transmettant des suggestions dont ils sont eux-mêmes les premières dupes. En reprenant le sujet à ce point de vue, on risquerait, comme on le voit, d’être entraîné bien loin, et peut-être l’entreprise ne serait-elle pas sans quelque danger ; et pourtant n’est-ce pas par là seulement que pourrait être dénoué ce que M. André Lebey appelle le « drame moderne » ?

Nouvelles Éditions Latines, Paris.

Dans ce roman qui se présente comme « une sorte de réplique à l’Élue du Dragon », de fantastique mémoire, l’ancien rédacteur de la R. I. S. S. a voulu montrer certains dessous vrais ou supposés de la politique contemporaine ; mais là n’est pas, à notre avis, le côté le plus intéressant de son livre. On sera sans doute tenté d’y voir un « roman à clef », en quoi on n’aura pas entièrement tort ; pourtant, il serait probablement vain de vouloir mettre un nom sur chacun des personnages, car, dans le principal d’entre eux, le général de Bierne, nous avons reconnu bien des traits visiblement empruntés à la figure de Mgr Jouin, à côté d’autres qui, non moins évidemment, ne conviennent nullement à celui-ci ; il faut donc admettre que nous sommes en présence de personnages « composites ». Quoi qu’il en soit, on trouve là un édifiant récit d’intrigues qui ont dû se passer très réellement autour de la R. I. S. S. ; et, par moments, on a l’impression que l’auteur a voulu ainsi se venger d’avoir été évincé de certains milieux ; les documents d’Aleister Crowley, les interventions d’agents secrets anglais et américains, l’espionnage dissimulé « sous le masque de l’ésotérisme », tout cela nous rappelle bien des choses… On voit aussi apparaître là-dedans une « voyante » (en fait, il y en a presque toujours en de semblables aventures) ; et, comme par hasard, les rôles les plus odieux sont attribués à des prêtres ! Quant à ce qui fait la trame de l’histoire, nous avouons que nous ne croyons guère à l’existence d’une société secrète dite des « Optimistes », qui aurait pour Grand-Maître M. Pierre Laval, et qui donnerait le mot d’ordre à tout le monde, y compris les plus hauts dignitaires de l’Église ; fantasmagorie à part, cela n’est pas beaucoup plus vraisemblable que la « Grande Loge des Illuminés », et il y a sûrement, pour répandre certaines suggestions à travers le monde, des moyens plus subtils ; et puis pourquoi faut-il que ce nom d’« Optimistes », par sa consonance tout au moins (et même si ce rapprochement n’est imputable qu’à la « malice des choses »), évoque de façon plutôt fâcheuse les « Optimates » de feu Léo Taxil ?

Imprimerie Centrale de la Bourse, Paris.

« Le monde dans lequel nous nous mouvons est beaucoup plus truqué qu’un décor de théâtre » : rien n’est plus vrai, mais l’est-il exactement de la façon que prétend l’auteur de ce livre ? Sa thèse est qu’il existe un certain « secret monétaire », qui serait selon lui la véritable « pierre philosophale », et qui serait détenu à la fois par deux groupes d’« initiés », l’un anglais et l’autre juif, luttant entre eux pour la domination occulte du monde, tout en s’entendant occasionnellement contre des tiers ; et ce secret serait celui de la Maçonnerie, laquelle ne serait qu’un instrument créé par le groupe anglais pour assurer son influence dans tous les pays. Il y a là des idées qui, à première vue, rappellent étrangement celles qui furent exposées jadis dans les publications du Hiéron de Paray-le-Monial et les ouvrages de Francis André (Mme Bessonnet-Favre) ; et ce rapprochement se poursuit sur des points plus particuliers, à travers beaucoup de considérations historiques ou soi-disant telles : rôle attribué aux Templiers d’une part, à Jeanne d’Arc de l’autre, prétendu « celtisme » représenté par la race « française » (?), et ainsi de suite. Il y a pourtant une différence essentielle : c’est que ce livre, loin d’être d’esprit catholique, est assez nettement irréligieux ; non seulement l’auteur, emporté par son antijudaïsme, nie furieusement l’inspiration divine de la Bible (qui, dit-il, « n’est nullement un livre religieux dans le sens que les Français attachent à ce mot »… comme s’il devait y avoir une conception spécifiquement « française » de la religion !), mais on sent très bien qu’au fond toute religion n’est pour lui qu’une chose purement humaine… et politique. Par ailleurs, il envisage froidement l’hypothèse où le rôle joué jusqu’ici par la Maçonnerie serait confié à l’Église catholique, grâce à la « domestication du Pape » (sic) ; et même, à l’entendre, cette hypothèse serait déjà en partie réalisée : ne dénonce-t-il pas en effet la canonisation de Jeanne d’Arc, qui a à ses yeux le tort de lui enlever « son caractère d’héroïne nationale », comme « une manœuvre menée avec le concours odieux des chefs officiels de l’Église catholique, passés progressivement au service des maîtres occultes de l’Angleterre » ? Mais laissons cela, et, sans nous attarder à relever les trop nombreuses fantaisies pseudo-historiques dont l’ouvrage est rempli, venons-en à l’essentiel : d’abord, l’auteur n’a évidemment pas la moindre notion de ce qu’est l’initiation ; et, si les « hauts initiés » (qu’il se représente comme formant un « comité supérieur », sans doute à la façon des administrateurs d’une société financière) n’avaient d’autres préoccupations que celles qu’il leur prête, ils seraient tout simplement les derniers des profanes. Ensuite, le prétendu « secret », tel qu’il l’expose, est, il le reconnaît lui-même, d’une simplicité enfantine ; s’il en était ainsi, comment ce « secret » aurait-il pu être si bien gardé, et comment beaucoup d’autres, à toutes les époques, ne l’auraient-ils pas découvert tout aussi bien que lui ? Il ne s’agit, en fait, que d’une loi élémentaire concernant les changes ; l’auteur en trace même un graphique dans lequel, chose amusante, il veut trouver l’explication du « triangle équilatéral entrelacé d’un compas » (?) qu’il croit être « l’emblème de la Maçonnerie » (laquelle, notons-le en passant, ne fut point « fondée par Ashmole en 1646 ») ; voilà du moins qui est peu banal comme symbolisme ! Nous sommes fort loin de contester qu’il existe, ou qu’il ait existé, une « science monétaire » traditionnelle, et que cette science ait des secrets ; mais ceux-ci, encore qu’ils n’aient rien à voir avec la « pierre philosophale », sont d’une tout autre nature que ce que nous voyons ici ; bien plus, en répétant à satiété que la monnaie est chose purement « matérielle » et « quantitative », on va précisément dans le sens voulu par ceux que l’on croit viser, et qui sont en réalité les destructeurs de cette science traditionnelle aussi bien que de toute autre connaissance ayant le même caractère, puisque ce sont eux qui ont arraché de l’esprit moderne toute notion dépassant le domaine de la « matière » et de la « quantité ». Ceux-là, quoiqu’ils ne soient point des « initiés » (car c’est de la « contre-initiation » qu’ils relèvent) ne sont nullement dupes eux-mêmes de ce « matérialisme » qu’ils ont imposé au monde moderne, pour des fins qui sont tout autres qu’« économiques » ; et, quels que soient les instruments dont ils se servent suivant les circonstances, ils sont un peu plus difficiles à découvrir que ne le serait un « comité » ou un « groupe » quelconque d’Anglais ou de Juifs… Pour ce qui est de la véritable « science monétaire », nous dirons simplement ceci : si elle était d’ordre « matériel », il serait parfaitement incompréhensible que, tant qu’elle a eu une existence effective, les questions qui s’y rapportent n’aient point été laissées à la discrétion du pouvoir temporel (comment celui-ci aurait-il jamais pu être accusé d’« altérer les monnaies » s’il avait été souverain à cet égard ?), mais, au contraire, soumises au contrôle d’une autorité spirituelle (nous y avons fait allusion dans Autorité spirituelle et pouvoir temporel), contrôle qui s’affirmait par des marques dont on retrouve un dernier vestige incompris dans les inscriptions qui, il n’y a bien longtemps encore, figuraient sur la tranche des monnaies ; mais comment faire comprendre cela à quelqu’un qui pousse le « nationalisme » (encore une de ces suggestions destinées à la destruction systématique de tout esprit traditionnel) jusqu’à se livrer à un éloge dithyrambique de Philippe le Bel ? Au surplus, c’est une erreur de dire que les métaux « monétaires » n’ont pas par eux-mêmes de valeur propre ; et, si leur valeur est essentiellement symbolique (or et argent, Soleil et Lune), elle n’en est que plus réelle, car ce n’est que par le symbolisme que les choses de ce monde sont rattachées aux réalités supérieures. À ces objections fondamentales, nous devons ajouter quelques constatations plutôt étranges : le chapitre consacré à l’Intelligence Service est fort décevant, pour ne pas dire troublant, car, s’il s’y trouve des constructions ingénieuses, mais hypothétiques, notamment au sujet de l’affaire Dreyfus, il n’y est pas cité un seul fait précis et certain, alors qu’il n’en manque pourtant pas, même de notoriété publique, et qu’on n’aurait eu, à vrai dire, que l’embarras du choix… D’autre part, l’auteur renvoie à une étude qu’il a déjà consacrée précédemment à des questions connexes de celles qu’il traite ici ; comment se fait-il que ce farouche antimaçon ait fait paraître cette étude dans une publication dont les attaches maçonniques nous sont parfaitement connues ? Nous n’entendons pas en cela mettre en doute la bonne foi de quiconque, car nous ne savons que trop combien de gens sont « menés » sans s’en douter le moins du monde ; mais nous considérons que ce livre est encore de ceux qui sont plus propres à égarer l’opinion qu’à l’éclairer ; et, nous qui observons ces choses d’une façon fort désintéressée, nous ne pouvons nous empêcher de constater que les ouvrages de ce genre se multiplient actuellement dans des proportions anormales et assez inquiétantes… Quoi qu’il en soit, la meilleure preuve que l’auteur n’a point vraiment mis la main sur le « grand arcane » qu’il s’imagine dévoiler, c’est, tout simplement, que son volume a pu paraître sans encombre !