Janvier 1935

Gallimard, Paris.

Ce livre, comme ceux du même auteur qui ont été déjà traduits précédemment (L’Île magique et Les Secrets de la jungle), se distingue avantageusement des habituels « récits de voyageurs » ; sans doute est-ce parce que nous avons affaire ici à quelqu’un qui ne porte pas partout avec lui certaines idées préconçues, et qui, surtout, n’est nullement persuadé que les Occidentaux soient supérieurs à tous les autres peuples. Il y a bien parfois quelques naïvetés, de singuliers étonnements devant des choses très simples et très élémentaires ; mais cela même nous paraît être, en somme, une garantie de sincérité. — À la vérité, le titre est quelque peu trompeur car l’auteur n’a pas été en Arabie proprement dite, mais seulement dans les régions situées immédiatement au nord de celle-ci. Disons aussi, pour en finir tout de suite avec les critiques, que les mots arabes sont parfois bizarrement déformés, comme par quelqu’un qui essaierait de transcrire approximativement les sons qu’il entend sans se préoccuper d’une orthographe quelconque, et que quelques phrases citées sont traduites d’une façon plutôt fantaisiste. Enfin, nous avons pu faire une fois de plus une remarque curieuse : c’est que, dans les livres occidentaux destinés au « grand public », la shahâdah n’est pour ainsi dire jamais reproduite exactement ; est-ce purement accidentel, ou ne serait-on pas plutôt tenté de penser que quelque chose s’oppose à ce qu’elle puisse être prononcée par la masse des lecteurs hostiles ou simplement indifférents. — La première partie, qui est la plus longue, concerne la vie chez les Bédouins et est presque uniquement descriptive, ce qui ne veut certes pas dire qu’elle soit sans intérêt ; mais, dans les suivantes, il y a quelque chose de plus. L’une d’elles, où il est question des Derviches, contient notamment des propos d’un cheikh Mawlawi dont le sens est, sans aucun doute, fidèlement reproduit : ainsi, pour dissiper l’incompréhension que l’auteur manifeste à l’égard de certaines turuq, ce cheikh lui explique qu’« il n’y a pas pour aller à Dieu une voie unique, étroite et directe, mais un nombre infini de sentiers » ; il est dommage qu’il n’ait pas eu l’occasion de lui faire comprendre aussi que le soufisme n’a rien de commun avec le panthéisme ni avec l’hétérodoxie… Par contre, c’est bien de sectes hétérodoxes, et de plus passablement énigmatiques, qu’il s’agit dans les deux autres parties : les Druses et les Yézidis ; et, sur les uns et les autres, il y a là des informations intéressantes, sans d’ailleurs aucune prétention de tout faire connaître et de tout expliquer. En ce qui concerne les Druses, un point qui reste particulièrement obscur, c’est le culte qu’ils passent pour rendre à un « veau d’or » ou à une « tête de veau » ; il y a là quelque chose qui pourrait peut-être donner lieu à bien des rapprochements, dont l’auteur semble avoir seulement entrevu quelques-uns ; du moins a-t-il compris que symbolisme n’est pas idolâtrie… Quant aux Yézidis, on en aura une idée passablement différente de celle que donnait la conférence dont nous avons parlé dernièrement dans nos comptes rendus des revues (no de novembre) : ici, il n’est plus question de « Mazdéisme » à leur propos, et, sous ce rapport du moins, c’est sûrement plus exact ; mais l’« adoration du diable » pourrait susciter des discussions plus difficiles à trancher, et la vraie nature du Malak Tâwûs demeure encore un mystère. Ce qui est peut-être le plus digne d’intérêt, à l’insu de l’auteur qui, malgré ce qu’il a vu, se refuse à y croire, c’est ce qui concerne les « sept tours du diable », centres de projection des influences sataniques à travers le monde ; qu’une de ces tours soit située chez les Yézidis, cela ne prouve d’ailleurs point que ceux-ci soient eux-mêmes des « satanistes », mais seulement que, comme beaucoup de sectes hétérodoxes, ils peuvent être utilisés pour faciliter l’action de forces qu’ils ignorent. Il est significatif, à cet égard, que les prêtres réguliers yézidis s’abstiennent d’aller accomplir des rites quelconques dans cette tour, tandis que des sortes de magiciens errants viennent souvent y passer plusieurs jours ; que représentent au juste ces derniers personnages ? En tout cas, il n’est point nécessaire que la tour soit habitée d’une façon permanente, si elle n’est autre chose que le support tangible et « localisé » d’un des centres de la « contre-initiation », auxquels président les awliyâ es-Shaytân ; et ceux-ci, par la constitution de ces sept centres, prétendent s’opposer à l’influence des sept Aqtâb ou « Pôles » terrestres subordonnés au « Pôle » suprême, bien que cette opposition ne puisse d’ailleurs être qu’illusoire, le domaine spirituel étant nécessairement fermé à la « contre-initiation ».

British-American Press, Chatou.

Ce gros volume, publié par les « Amis de Mgr Jouin », qui sont vraisemblablement les anciens collaborateurs de la R. I. S. S., contient les lettres adressées à l’abbé de Bessonies par Léo Taxil et par diverses personnes qui furent mêlées de près ou de loin à la singulière histoire que l’on sait ; on y trouvera également le fameux discours où Taxil fit l’aveu de sa « mystification », et les explications de l’éditeur des Mémoires de Diana Vaughan. À la vérité, « mystification » est bien vite dit, mais la question est plus complexe et n’est pas si facile à résoudre ; il semble bien qu’il y ait tout de même eu là autre chose, et que Taxil n’ait fait que mentir une fois de plus en déclarant avoir tout inventé de sa propre initiative. On trouve là-dedans un habile mélange de vrai et de faux, et il est exact que, comme il est dit dans l’avant-propos, « l’imposture n’existe qu’autant qu’elle est basée sur certaines côtés de la vérité propres à inspirer confiance » ; mais quel est au juste le « fond de vérité » contenu dans tout cela ? Qu’il y ait par le monde des « satanistes » et des « lucifériens », et même beaucoup plus qu’on ne le croit généralement, cela est incontestable ; mais ces choses n’ont rien à voir avec la Maçonnerie ; n’aurait-on pas, en imputant à celle-ci ce qui se trouve réellement ailleurs, eu précisément pour but de détourner l’attention et d’égarer les recherches ? S’il en est ainsi, qui peut avoir inspiré Taxil et ses collaborateurs connus, sinon des agents plus ou moins directs de cette « contre-initiation » dont relèvent toutes ces choses ténébreuses ? Il y a d’ailleurs dans tout cela une étrange atmosphère de « suggestion » ; on peut s’en rendre compte en voyant, par exemple, un homme d’une aussi incontestable bonne foi que M. de La Rive (nous l’avons assez connu pour en être certain) en arriver à traduire sans hésiter par « À notre Dieu Lucifer Très Saint et Infini Toujours » une « formule inédite » qui signifie tout simplement « Au nom de la Très Sainte et Indivisible Trinité » ! Nous ne pouvons pas songer à examiner ici tous les procédés de déformation employés dans les ouvrages taxiliens ; l’un des plus courants est celui qui consiste à se servir de termes existant véritablement, mais en leur attribuant un sens imaginaire : ainsi, il y eut bien un « Rite du Palladium », mais qui n’eut jamais rien de luciférien ; et les « Triangles », en Maçonnerie, ne sont point des « arrière-Loges », mais de simples Loges en formation, n’ayant pas encore le nombre de membres requis pour être « justes et parfaites » ; nous nous contenterons de citer ces deux mots comme exemples, en raison du rôle particulièrement important qu’ils jouèrent dans toute l’affaire. Quant à ce qu’on semble considérer, à tort ou à raison, comme le point central, c’est-à-dire l’existence de Diana Vaughan, l’énigme n’est guère éclaircie et ne le sera peut-être jamais : qu’une ou plusieurs personnes aient dû se présenter sous ce nom en diverses circonstances, cela est plus que probable ; mais comment pourrait-on espérer les identifier ? On a reproduit à la fin du volume, sous le titre Le Mystère de Léo Taxil et la vraie Diana Vaughan, les articles parus jadis sur ce sujet dans la R. I. S. S. et dont nous avons déjà parlé en leur temps ; il est assez curieux que la « preuve » nouvelle qu’on prétend y apporter soit en relation avec l’histoire des religieuses de Loigny, mais elle n’en est pas plus convaincante ; au fond, tout cela n’est pas très concluant, ni dans un sens ni dans l’autre… Maintenant, une question se pose, qui est peut-être d’un intérêt plus actuel que toutes les autres : pourquoi semble-t-on tenir tellement, d’un certain côté, à ressusciter cette vieille affaire ? C’est, explique-t-on, que « le Palladisme, mis en sommeil en 1897, pourrait-on dire, semble être sur le point de se réveiller » ; « légende peut-être, ajoute-t-on, mais reposant sur une base faite de théories et de faits reconnus » ; devons-nous nous attendre à assister à une tentative pour dégager enfin cette base réelle, ou seulement à voir la légende prendre, comme dans L’Élue du Dragon, une nouvelle forme non moins « mythique » que la première ? En tout cas, l’avant-propos mélange bizarrement les choses les plus diverses, mettant sur le même plan les plus vulgaires groupements « pseudo-initiatiques » et des organisations d’un caractère assurément beaucoup plus suspect, sans parler de quelques assertions de pure fantaisie, comme celle qui fait de Ram Mohun Roy « un disciple des Lamas du Thibet » et du Brahma-Samaj « un cercle d’occultisme oriental et de mystique fondé en Angleterre en 1830 » ! Mais la dernière pièce du recueil est la reproduction d’un article de la R. I. S. S. intitulé Les Missionnaires du Gnosticisme, et consacré en réalité à l’O. T. O. ; cet article, qui semble n’avoir aucun rapport avec tout le reste, n’en serait-il pas, au contraire, en quelque sorte la « clef » ? Nous nous bornons à poser ici un point d’interrogation ; si la question devait être résolue affirmativement, cela pourrait jeter un singulier jour sur bien des choses ; et sans doute n’en avons-nous pas encore fini avec toutes ces « diableries » !