Juin 1935

Ernest Leroux, Paris.

Le contenu de ce gros livre aurait pu faire facilement, semble-t-il, la matière de plusieurs volumes, et de trop fréquentes digressions rendent l’exposé assez difficile à suivre ; il y manque un fil conducteur, ou du moins, s’il y en a un, il n’apparaît pas clairement… Ce qui concerne les idées mêmes de Swedenborg, notamment sur les rapports de l’esprit et du corps et sur ce qu’il appelle le « limbe », a en tout cas un intérêt historique certain ; mais les arguments qu’on prétend en tirer contre le spiritisme sont plutôt faibles, et il ne peut guère en être autrement dès lors qu’on accorde aux spirites leur postulat fondamental, c’est-à-dire la possibilité d’une communication réelle avec les morts ; qu’il y ait tout avantage à s’abstenir de ces pratiques, ce n’est qu’une question tout à fait secondaire à côté de celle-là. Pour la réincarnation aussi, la discussion ne porte que sur des « à-côté » ; du reste, comme nous l’avons dit bien souvent, la démonstration de son impossibilité métaphysique est seule décisive. Pour le surplus, nous ne voulons certes pas entreprendre de discuter ici la façon dont Swedenborg envisage le « monde spirituel » ; il se peut que son langage trahisse parfois sa pensée ; mais une chose assez curieuse à constater, c’est qu’il s’accorde avec les spirites en ce qu’il ne veut y trouver que des êtres d’origine humaine, y compris les anges eux-mêmes : étrange limitation de la Possibilité universelle !

Rider and Co., London.

Ce récit d’un voyage dans l’Inde, et de rencontres avec des personnages de caractère fort varié, est intéressant et agréable à lire, quoique le ton, au début surtout, nous rappelle peut-être un peu trop que l’auteur est un journaliste de profession. Contrairement à ce qui a lieu trop souvent dans les ouvrages occidentaux de ce genre, les histoires de « phénomènes » n’y tiennent pas une place excessive ; l’auteur nous assure d’ailleurs que ce n’est pas là ce qui l’intéresse spécialement, et sans doute est-ce pour cette raison qu’il lui a été possible d’entrer en contact avec certaines choses d’un autre ordre, en dépit d’un « esprit critique » qui, poussé à un tel point, semble assez difficilement conciliable avec de profondes aspirations spirituelles. Il y a là quelque chose qui est assez curieux comme exemple de réactions spécifiquement occidentales, et même plus proprement anglo-saxonnes, en présence de l’Orient ; notamment, la difficulté d’admettre l’existence et la valeur d’une « activité non-agissante » est tout à fait caractéristique à cet égard. Ces résistances, avec les luttes et les hésitations qu’elles entraînent, durent jusqu’au jour où elles sont enfin vaincues par l’influence du mystérieux personnage qu’on surnomme le « Maharishee » ; les pages consacrées à ce dernier sont certainement les plus remarquables de tout le livre, que nous ne pouvons songer à résumer, mais qui vaut sûrement mieux, dans son ensemble, que beaucoup d’autres ouvrages d’allure plus prétentieuse, et qui ne peut que contribuer à éveiller chez ses lecteurs une sympathie pour la spiritualité orientale, et peut-être, chez quelques-uns d’entre eux, un intérêt d’ordre plus profond.

Luzac and Co., London.

Ce « livre de Râma », écrit en hindi au xvie siècle de l’ère chrétienne, ne doit pas être confondu avec l’antique Râmâyana sanscrit de Vâlmiki ; bien qu’il soit dit avoir été inspiré à Tulsidas par Râma lui-même, l’appellation de « Bible de l’Inde » est assez impropre, car, évidemment, elle s’appliquerait beaucoup mieux au Vêda. Dans ce livre, la voie de bhakti est surtout préconisée, ainsi qu’il convient d’ailleurs dans un écrit qui s’adresse au plus grand nombre ; cependant, l’enseignement en est incontestablement « non-dualiste » et indique nettement l’« Identité Suprême » comme le but ultime de toute « réalisation ». La traduction ne comporte que des extraits, mais choisis de façon à donner l’essentiel au point de vue doctrinal ; les notes qui l’accompagnent sont généralement claires, bien que l’on puisse y relever quelques confusions, notamment en ce qui concerne les périodes cycliques. Il est regrettable, d’autre part, qu’on ait voulu traduire tous les termes, même ceux qui, n’ayant pas d’équivalent réel dans les langues occidentales, devraient être conservés tels quels en y joignant une explication ; il en résulte parfois d’assez étranges assimilations : faut-il faire remarquer, par exemple, que la Trimûrti est tout à fait autre chose que la « Sainte Trinité » ?

Traduit de l’anglais par Grace Gassette et Georges Barbarin (Éditions du Prieuré, Bazainville, Seine-et-Oise).

Ce livre est présenté comme « révélation des secrets thibétains » ; l’auteur fait suivre son nom de plusieurs lignes de titres universitaires et médicaux, au bout desquels viennent ceux de « Yogi Kushog du Thibet Septentrional et Cinquième Maître de la Grande Loge Blanche de l’Himalaya » ; et, par surcroît, nous apprenons, au cours du volume, qu’il a reçu du « Grand Couvent Lama » (sic) « le plus haut des titres, celui de Chevalier Commandeur d’Asie, qui est égal à celui de Comte dans le Royaume-Uni » ! Tout cela est certes fort imposant, un peu trop même pour inspirer confiance ; en fait, quand nous examinons le contenu de l’ouvrage de ce « Maître », nous n’y trouvons, hélas ! qu’hypnotisme, télépathie, phénomènes psychiques plus ou moins vulgaires, le tout exposé de façon fort occidentale ; dans tout cela pas le moindre « secret », thibétain ou autre, et bien entendu, pas un seul mot de doctrine… Ajoutons que le livre est fort mal composé : ce n’est guère qu’un amas d’anecdotes sans autre lien que celui d’une série de conversations soi-disant tenues au cours d’un voyage, et sans qu’on puisse même toujours savoir quel est celui des interlocuteurs qui a la parole. Il y a aussi là-dedans de grosses invraisemblances : que dire, par exemple, d’un personnage qui a « lu un ouvrage de Pythagore », ou encore d’un « Sage » qui se laisse hypnotiser par un serpent ? Certaines histoires, qui sont données comme des souvenirs personnels de l’auteur, nous produisent la fâcheuse impression d’avoir été déjà vues ailleurs : même dans le récit de voyage qui sert vaguement de cadre à tout cela, il y a bien des détails, y compris celui du messager estropié, qui nous rappellent un quelconque roman d’aventures anglais que nous avons lu dans notre enfance, et dont nous regrettons fort de ne pouvoir retrouver la référence, car il eût été curieux de pousser la comparaison plus loin que nos souvenirs ne nous le permettent. Il arrive du reste à l’auteur de se contredire : ainsi, oubliant sans doute qu’il a situé la scène dans une caverne, il y place ensuite, pour les besoins de ses « expériences », une cheminée surmontée d’une pendule ! Enfin, une allusion à la « chère vieille Angleterre », retrouvée « après de si longs mois passés dans la sauvagerie thibétaine », nous paraît bien trahir la véritable mentalité de ce prétendu initié oriental… Nous avions déjà, depuis quelques années, toute une série de mystifications dont le trait commun est d’être invariablement placées sous les auspices de la trop fameuse « Grande Loge Blanche » imaginée par les théosophistes ; il n’est pas douteux que nous devons maintenant en compter encore une de plus ; quels desseins peuvent bien se dissimuler au juste derrière tout cela ? Malheureusement, ces sortes de choses font toujours de trop nombreuses dupes : c’est pourquoi nous avons cru bon d’y insister plus qu’elles ne sembleraient peut-être le mériter en elles-mêmes : si leur intérêt est nul, leur danger, dans une époque comme la nôtre, n’est que trop réel.