Janvier 1936

The Shanti-Sadan Publishing Committee, London.

L’auteur déclare que les idées formulées dans ce petit livre lui sont venues en méditant les enseignements de Lao-Tseu ; on n’y trouve cependant, à vrai dire, rien qui soit d’inspiration spécifiquement taoïste, mais plutôt l’esquisse élémentaire d’une méthode « préparatoire » qui pourrait s’appliquer indépendamment de toute forme traditionnelle définie. Les prescriptions d’un caractère « moral » et « dévotionnel » y tiennent une place peut-être excessive, alors que ce qui se rapporte à la connaissance, et qui devrait être l’essentiel, se réduit à assez peu de chose. Il y a aussi, au point de départ, une notion de la « spiritualité » qui nous paraît plutôt vague et insuffisante ; mais où nous ne pouvons qu’approuver entièrement l’auteur, c’est quand il déclare que « les phénomènes psychiques » ne doivent pas être associés avec la « vie spirituelle », rappelant que Tulsidas, dans son Râmâyana, demande à être préservé de la tentation des prétendus « pouvoirs », et que Shankarâchârya avertit qu’ils ne constituent qu’un piège auquel il est difficile d’échapper.

Desclée de Brouwer et Cie, Paris.

Que Dante, vu par un certain côté de son œuvre, puisse apparaître comme théologien, cela n’est pas contestable, et cet aspect mérite d’être situé à sa place légitime parmi les autres ; mais encore faudrait-il bien se garder de vouloir tout y ramener, et nous craignons que cette tendance ne soit quelque peu celle du R. P. Mandonnet, d’autant plus qu’il déclare, tout au début de son livre, regretter d’une façon générale l’absence, dans l’étude de Dante, de « vues systématiques »… que peut-être la nature même du sujet ne saurait comporter. Nous ne pouvons nous défendre d’un certain étonnement en voyant affirmer que « Dante a poussé l’esprit de système au delà de l’invraisemblable », alors qu’au contraire, et fort heureusement, il nous en paraît tout à fait indemne, ou encore que « l’art de Dante, par un de ses éléments fondamentaux, le symbolisme, est un art de mystificateur », alors que, s’il est vrai qu’« il fournit à chaque instant et intentionnellement l’occasion d’égarer le lecteur », ce n’est sans doute pas sans de très sérieuses raisons, dont nous avons assez parlé en d’autres occasions pour nous dispenser d’y revenir présentement. Quant à l’opinion qui consiste à faire de Dante un « thomiste », il semble qu’elle ait toujours été assez répandue parmi ses commentateurs, surtout ecclésiastiques ; on pourrait y objecter que, si Dante adopte en effet assez souvent le langage de saint Thomas, c’est peut-être aussi pour « égarer le lecteur », du moins dans une certaine mesure ; il lui arrive d’ailleurs d’employer également le langage de saint Augustin ou d’autres, suivant qu’il y trouve quelque avantage, et c’est bien, en tout cas, la preuve qu’il n’est point « systématique ». Quoi qu’il en soit, la principale « nouveauté » de cet ouvrage réside probablement dans l’assertion que Dante fut clerc ; assurément, la chose en elle-même n’a rien d’impossible, mais, même si on l’admet, il ne faudrait pas s’en exagérer l’importance, qui se réduirait en somme à celle d’études lui ayant fourni certains moyens d’expression qui autrement auraient pu lui faire défaut, car, franchement, nous ne voyons pas trop quelle autre influence une simple formation scolaire aurait bien pu avoir sur un esprit comme celui-là… Du reste, l’argumentation destinée à justifier cette assertion, et qui se base surtout sur une certaine interprétation de la Vita Nova, ne nous paraît pas très convaincante : tout cela, qui est évidemment d’une ambiguïté voulue, peut signifier bien autre chose, et nous ne voyons pas du tout pourquoi, pour l’expliquer, on ne pourrait « procéder que de deux façons, philosophiquement et théologiquement », comme si toute réalité se réduisait à ces deux seuls points de vue. Aussi avions-nous déjà l’impression que quelque confusion pouvait bien se trouver au fond de toute cette argumentation, avant d’arriver à la fin, qui nous en a apporté la preuve la plus éclatante, car, citant cette phrase : « Et ce doute est impossible à résoudre pour qui ne serait pas au même degré fidèle d’Amour ; et à ceux qui le sont, paraît clairement ce qui pourrait résoudre ces paroles incertaines », l’auteur ajoute : « Dante fait appel à un clerc pour dévoiler le secret dissimulé de sa propre cléricature » : ainsi, il a tout simplement confondu initiation et cléricature ! À part cette très grave méprise, il y a certains points sur lesquels il a entièrement raison, notamment en ce qui concerne les « dames » de Dante, qui sont bien, comme il le dit, « de purs symboles », encore que, il est à peine besoin de le dire, il en ignore entièrement la portée ésotérique. Il expose aussi, sur l’usage symbolique des nombres, des considérations intéressantes, mais qui ne vont jamais très loin ni très profondément ; et pourquoi vouloir que ce symbolisme soit « d’origine théologique » ? Certes, les théologiens peuvent, tout comme d’autres, s’en servir dans leur domaine, et ils l’ont fait effectivement, mais ce n’est là qu’une application particulière et assez limitée ; et, quand Dante la dépassait, il n’avait point besoin pour cela de « se créer une théorie personnelle », mais seulement de faire appel à des sources traditionnelles d’un autre ordre… Les interprétations proposées donnent trop souvent une étrange impression d’exclusivité et de « rapetissement » ; et il semble que ce qu’elles laissent en dehors soit précisément toujours ce qui permettrait d’aller au fond des choses : le véritable symbolisme n’est ni la « métaphore », ni l’« allégorie », et il n’est nullement « d’ordre humain » ; c’est bien la « science sacrée » que Dante a constamment en vue, mais elle ne se confond point pour lui purement et simplement avec la théologie ; l’idée du « voyage » eut un sens initiatique profond bien avant de recevoir une acception théologique ; la conception des sphères célestes est tout autre chose qu’une « fiction poétique » ; et nous pourrions continuer presque indéfiniment à citer des exemples de ce genre. Il est très vrai que « c’est se faire illusion que de ne voir de Dante que le côté superficiel et tout extérieur, c’est-à-dire le côté littéraire au sens ordinaire du mot » ; mais n’en voir en outre que le côté théologique, n’est-ce pas s’arrêter encore à quelque chose d’extérieur, à une seconde « écorce » pour ainsi dire ? Et, s’il est exact que des connaissances théologiques peuvent aider à comprendre Dante jusqu’à un certain point, des connaissances d’ordre ésotérique et initiatique, même incomplètes, permettraient certainement de le comprendre beaucoup mieux encore ; mais on peut être un « thomiste » très compétent, ce que le R. P. Mandonnet est incontestablement, et ne pas même soupçonner l’existence de ces choses, qui pourtant tinrent une si grande place dans tout le moyen âge.