Novembre 1936

Institut Français d’Archéologie Orientale, Le Caire.

Il est assurément bien difficile, et peut-être même tout à fait impossible actuellement, de savoir ce que fut en réalité l’ancienne tradition égyptienne, entièrement éteinte depuis tant de siècles ; aussi les diverses interprétations et reconstitutions tentées par les égyptologues sont-elles en grande partie hypothétiques, et d’ailleurs souvent contradictoires entre elles. Le présent ouvrage se distingue des habituels travaux égyptologiques par un louable souci de compréhension doctrinale, qui est généralement absent de ceux-ci, et aussi par la grande importance qui y est donnée fort justement au symbolisme, que les « officiels », pour leur part, tendent plutôt à nier ou à ignorer purement et simplement ; mais est-ce à dire que les vues qui y sont exposées soient moins hypothétiques que les autres ? Nous nous permettons d’en douter quelque peu, surtout en voyant qu’elles sont inspirées par une sorte de parti pris de trouver un parallélisme constant entre les traditions égyptienne et hébraïque, alors que, s’il est bien entendu que le fond est essentiellement le même partout, rien ne prouve que les deux formes dont il s’agit aient été véritablement si proches l’une de l’autre, la filiation directe que l’auteur paraît supposer entre elles, et que le titre même veut probablement suggérer, étant plus que contestable. Il résulte de là des assimilations plus ou moins forcées, et par exemple, nous nous demandons s’il est bien sûr que la doctrine égyptienne ait envisagé la manifestation universelle sous l’aspect de « création », qui paraît si exclusivement spécial à la tradition hébraïque et à celles qui s’y rattachent ; les témoignages des anciens, qui devaient mieux savoir que nous à quoi s’en tenir, ne l’indiquent aucunement ; et, sur ce point, notre méfiance s’accroît encore lorsque nous constatons que le même principe est qualifié tantôt de « Créateur », tantôt simplement de « Démiurge » ; entre ces deux rôles évidemment incompatibles, il faudrait au moins choisir… D’un autre côté, les considérations linguistiques appelleraient sans doute aussi bien des réserves, car il est bien entendu que la langue dans laquelle s’exprimait la tradition égyptienne ne nous est pas connue plus sûrement que cette tradition elle-même ; et il faut encore ajouter que certaines interprétations sont visiblement trop influencées par des conceptions occultistes. Malgré tout, cela ne veut pas dire que, dans ce volume dont la première partie est consacrée à l’Univers et la seconde à l’Homme, il n’y ait pas un assez grand nombre de remarques dignes d’intérêt, et dont une partie pourrait même être confirmée par des comparaisons avec les traditions orientales, que malheureusement l’auteur semble ignorer à peu près complètement, beaucoup mieux que par des références bibliques. Nous ne pouvons naturellement entrer ici dans le détail ; pour donner un exemple, nous signalerons seulement, dans cet ordre d’idées, ce qui concerne la constellation de la Cuisse, désignation de la Grande Ourse, et l’expression « Chef de la Cuisse » qui s’applique au Pôle ; il y aurait de curieux rapprochements à faire à ce sujet. Notons enfin l’opinion de l’auteur sur la Grande Pyramide, dans laquelle il voit à la fois un « temple solaire » et un monument destiné à « immortaliser la connaissance des lois de l’Univers » ; cette supposition est au moins aussi plausible que beaucoup d’autres qui ont été faites à ce propos ; mais, quant à dire que « le symbolisme caché des Écritures hébraïques et chrétiennes se rapporte directement aux faits qui eurent lieu au cours de la construction de la Grande Pyramide », c’est là, une assertion qui nous paraît manquer un peu trop de vraisemblance sous tous les rapports !

Rider and Co, London.

L’auteur, ayant publié précédemment A Search in secret India, dont nous avons rendu compte en son temps(*), a voulu écrire un livre semblable sur l’Égypte ; mais nous devons dire franchement que ce nouveau volume est sensiblement inférieur à l’autre, et que la tendance « journalistique » que nous avions déjà remarquée dans certaines parties de celui-ci y est beaucoup plus fâcheusement accentuée. Comme presque tous les étrangers, il s’est visiblement intéressé plus à l’Égypte ancienne qu’à l’Égypte actuelle ; et, vraiment, les contacts qu’il a eus avec cette dernière n’ont pas tous été des plus heureux. Ainsi, on pourra s’étonner de la place qu’il accorde aux « phénomènes » produits par le « fakir » Tahra Bey, trop connu par ses exhibitions dans les music-halls d’Europe et d’Amérique ; cela n’est guère en harmonie avec le titre du livre… Il y a aussi un chapitre consacré à un « magicien » qui n’est pas nommé, mais que nous n’avons eu aucune peine à identifier, et qui, en dépit de ses extraordinaires prétentions (Es-sâher min janbi’ Llah…), n’est en somme qu’un assez habile charlatan. Dans un autre chapitre encore, il est question d’un hypnotiseur opérant par les méthodes les plus vulgairement occidentales ; c’est d’ailleurs, malgré cela, un Israélite authentiquement égyptien, quoique l’auteur, par une méprise assez amusante, l’ait pris pour un Français, croyant même reconnaître en lui « la manière animée de parler de sa race »… suivant l’idée conventionnelle que s’en font les Anglais ! Ce qui se rapporte aux charmeurs de serpents est peut-être plus intéressant, bien que ces faits, à vrai dire, soient d’un ordre tout à fait courant, et qu’il soit véritablement excessif de vouloir en tirer des considérations sur la survivance possible d’un prétendu « culte du serpent »… — Si nous passons à ce qui concerne l’Égypte ancienne, nous ne pouvons nous empêcher de trouver que les visions et les rêves y ont un peu trop d’importance ; cela n’était pourtant pas nécessaire pour avoir, par exemple, l’idée d’une origine antédiluvienne et « atlantéenne » du Sphinx et des Pyramides, car il nous semble bien qu’une telle idée a déjà été exprimée dans d’assez nombreux livres. L’auteur a voulu passer seul une nuit à l’intérieur de la Grande Pyramide, et, là aussi, il a eu une vision se rapportant à l’initiation ; mais, sans doute par un effet de ses études antérieures, celle-ci a pris une forme qui rappelle un peu trop le « dédoublement astral » cher aux occultistes ; que la Grande Pyramide ait pu être en fait un lieu d’initiation, nous n’y contredirons certes pas, d’autant plus que cette hypothèse est tout au moins plus vraisemblable qu’un certain nombre d’autres, que l’auteur critique d’ailleurs avec beaucoup de bon sens (y compris, ce qui est assez méritoire de la part d’un Anglais, la théorie « prophétique » sur laquelle nous allons avoir à revenir à propos d’un autre livre) ; mais, même si la chose était prouvée, nous n’en serions encore pas plus avancés quant à la connaissance des modalités particulières de l’initiation égyptienne, et les allusions des auteurs anciens sont certainement bien insuffisantes pour que nous puissions nous en faire une idée tant soit peu précise. — À la fin du volume, l’auteur raconte sa rencontre avec un « Adepte » (?), dont les discours sur le danger de certaines fouilles dans les tombeaux antiques n’ont rien de particulièrement « transcendant » ; nous ne voulons certes pas mettre sa bonne foi en doute, mais nous nous demandons s’il n’aurait pas été tout simplement mystifié.

Éditions Adyar, Paris.

Qu’il y ait un « secret » de la Grande Pyramide, soit qu’elle ait été un lieu d’initiation, comme nous le disions plus haut, soit que, par son orientation et ses proportions, elle représente comme un résumé de certaines sciences traditionnelles, soit que même les deux choses soient vraies en même temps, car elles sont loin d’être inconciliables, cela est très probable, d’autant plus que certaines traditions plus ou moins déformées, mais dont l’origine remonte sans doute fort loin, semblent bien y faire allusion : mais que les modernes aient retrouvé ce « secret », c’est là ce qui semble beaucoup plus douteux. Il a été beaucoup écrit là-dessus, et notamment sur les mesures de la Pyramide ; certaines constatations géométriques, géodésiques, astronomiques, semblent bien acquises et ne manquent pas d’intérêt, mais elles sont en somme bien fragmentaires, et, à côté de cela, on a fait aussi bien de la fantaisie ; du reste, est-on même sûr de savoir au juste ce qu’était l’unité de mesure employée par les anciens Égyptiens ? L’auteur de ce livre donne d’abord un aperçu de tous ces travaux, y compris les hypothèses les plus bizarres, comme celle qui veut découvrir une carte des sources du Nil dans la disposition intérieure de la Pyramide, et celle suivant laquelle le « Livre des Morts » ne serait pas autre chose qu’une description et une explication de cette même disposition ; nous ne pouvons d’ailleurs pas être de son avis lorsqu’il dit que les connaissances géométriques et autres dont on retrouve là le témoignage « ne sont qu’une expression de la science humaine » et rien de plus, car cela prouve qu’il ignore la véritable nature des sciences traditionnelles et qu’il les confond avec les sciences profanes… Mais laissons cela, car ce n’est pas, en somme, l’objet principal de ce volume ; ce dont il s’agit ici surtout, et qui est d’un caractère bien plus fantastique, ce sont les « prophéties » qu’on a voulu découvrir en mesurant, d’une façon qui n’est d’ailleurs pas dépourvue d’arbitraire, les différentes parties des couloirs et des chambres de la Pyramide, pour faire correspondre les nombres ainsi obtenus à des périodes et à des dates de l’histoire. Depuis assez longtemps déjà, il est fait autour de cette théorie, surtout en Angleterre, une extraordinaire propagande dont les intentions semblent plutôt suspectes et ne doivent pas être entièrement désintéressées ; certaines prétentions concernant la descendance des « tribus perdues d’Israël » et autres choses de ce genre, sur lesquelles l’auteur passe plutôt rapidement, n’y sont probablement pas tout à fait étrangères… Quoi qu’il en soit, il y a dans tout cela une absurdité qui est tellement manifeste que nous nous étonnons que personne ne semble s’en apercevoir ; en effet, à supposer que les constructeurs de la Pyramide y aient réellement inclus des « prophéties », deux choses seraient plausibles : c’est, ou que ces « prophéties », qui devaient être basées sur une certaine connaissance des « lois cycliques », se rapportent à l’histoire générale du monde et de l’humanité, ou qu’elles aient été adaptées de façon à concerner plus spécialement l’Égypte ; mais ce n’est ni l’un ni l’autre, puisque tout ce qu’on veut y trouver est ramené exclusivement au point de vue du Judaïsme d’abord et du Christianisme ensuite, de sorte qu’il faudrait logiquement conclure de là que la Pyramide n’est point un monument égyptien, mais un monument « judéo-chrétien » ! Encore convient-il d’ajouter que tout y est conçu suivant une soi-disant « chronologie » biblique conforme au « littéralisme » le plus étroit, et disons-le, le plus protestant ; et il y aurait encore bien d’autres remarques curieuses à faire : ainsi, depuis le début de l’ère chrétienne, on n’aurait trouvé aucune date intéressante à marquer avant… celle des premiers chemins de fer ; il faut croire que ces antiques constructeurs avaient une perspective bien moderne dans leur appréciation de l’importance des événements ; cela, c’est l’élément grotesque qui, comme nous le disons d’autre part, ne manque jamais dans ces sortes de choses, et par lequel se trahit leur véritable origine… Maintenant, voici ce qu’il y a peut-être de plus inquiétant dans toute cette affaire : la date du 15-16 septembre 1936 est indiquée, avec une étonnante précision, comme devant marquer l’entrée de l’humanité dans une ère nouvelle et l’« avènement du renouveau spirituel » ; en fait, il ne semble pas que rien de particulièrement frappant se soit produit à cette date, mais qu’est-ce que cela peut bien vouloir dire au juste ? L’auteur évoque à ce propos nombre de prédictions plus ou moins concordantes, et dont la plupart sont bien suspectes aussi, soit en elles-mêmes, soit surtout par l’usage que veulent en faire ceux qui les répandent ; il y en a trop pour qu’il s’agisse d’une simple « coïncidence », mais, pour notre part, nous ne tirons de là qu’une seule conclusion : c’est que certaines gens cherchent actuellement à créer par ce moyen un « état d’esprit » favorable à la réalisation prochaine de « quelque chose » qui rentre dans leurs desseins ; et, comme on pourra s’en douter sans peine, nous ne sommes certes pas de ceux qui souhaitent la réussite de cette entreprise « pseudo-spirituelle » !