Juillet 1937

G. Laterza e Figli, Bari.

L’auteur signale avant tout l’insuffisance des différents points de vue, « littéraire », mystique, et aussi ethnologique et « folkloriste », sous lesquels on a prétendu le plus habituellement étudier la question du Graal et des traditions qui s’y rapportent ; faute de se placer sur le terrain d’une tradition métaphysique, au sens le plus étendu et le plus complet de ce mot, on ne peut en saisir la véritable signification ; et les rapprochements mêmes qu’on a pu établir avec des éléments qui se rencontrent ailleurs ne sauraient prendre une valeur réelle que si on les envisage selon l’« esprit » qui convient, c’est-à-dire l’esprit proprement traditionnel. Le Graal et sa « queste » peuvent, sous ce rapport, être rattachés à ce qu’Hésiode désigne comme le « cycle des héros », en considérant ceux-ci comme des être doués de la possibilité de réintégrer l’« état primordial » et de préparer ainsi la venue d’un nouvel « âge d’or » ; et l’on peut apercevoir immédiatement par là une certaine relation avec la conception du « Saint-Empire », laquelle, à vrai dire, ne parvint jamais à se réaliser pleinement. Chose assez étrange, les principaux textes relatifs au Graal parurent tous au cours d’une période très brève, coïncidant avec la phase culminante de la tradition médiévale et notamment de la chevalerie, comme s’ils représentaient la manifestation soudaine, à un moment donné, d’une sorte de courant souterrain qui redevint bientôt invisible ; puis il y eut une reprise plus tard, après la destruction des Templiers, auxquels paraissent avoir succédé, sous une forme plus secrète, des organisations qui elles-mêmes ne furent pas sans rapport avec la tradition du Graal. — Ce qui fait surtout l’intérêt du livre, c’est l’examen des multiples points plus ou moins particuliers, dont l’auteur s’attache à élucider le sens symbolique, et dans le détail desquels il nous est naturellement impossible d’entrer ici ; il est quelques-uns de ces points que nous avons déjà traités nous-même dans le Roi du Monde et dans certains de nos articles, ainsi qu’il le rappelle à diverses reprises, et il en est d’autres sur lesquels nous aurons peut-être encore l’occasion de revenir plus tard ; pour le moment, nous ne pouvons que recommander la lecture de cet ouvrage à tous ceux qui s’intéressent à cette question, et plus spécialement en tant qu’elle est liée aux traditions et aux symboles se référant au « Centre du Monde ». On ne peut dire, cela va de soi, que tout y soit entièrement éclairci, mais ce n’est point là un reproche, car c’est sans doute chose impossible, et le sujet est de ceux qui sont proprement inépuisables ; mais nous croyons du moins qu’on ne pourrait guère trouver ailleurs un équivalent de tous les éléments d’interprétation qui sont ici rassemblés.

Ulrico Hoepli, Milano.

Ce petit volume est une histoire du racisme, depuis les théories du comte de Gobineau et de Vacher de Lapouge, puis de Houston Stewart Chamberlain, jusqu’aux nouveaux développements qu’il a reçus récemment en Allemagne et qui y ont revêtu le caractère d’une doctrine en quelque sorte « officielle ». Le terme de « mythe » n’est pas pris ici dans le sens d’une simple fiction imaginative, mais dans celui d’« une idée qui tire principalement sa force persuasive d’éléments non rationnels, une idée qui vaut par la force suggestive qu’elle condense, et, par suite, par sa capacité de se traduire finalement en action ». L’auteur s’efforce d’ailleurs d’être aussi impartial que possible dans son exposé, bien que, naturellement, il ne dissimule pas les contradictions qui existent entre les diverses conceptions dont l’ensemble constitue le racisme, et que parfois il laisse même deviner les critiques générales qu’il aurait à leur adresser, critiques qui porteraient surtout sur le caractère « naturaliste » et « scientiste » qu’elles présentent dans la plupart de leurs aspects. À vrai dire, la notion même de la race est assez difficile à préciser, d’autant plus qu’on est en tout cas forcé de reconnaître qu’actuellement il n’existe nulle part une race pure ; ce qui est plutôt singulier, d’autre part, c’est que les races ou soi-disant telles qu’envisagent les anthropologistes et les préhistoriens, dont les travaux sont plus ou moins à la base de toutes les théories en question, n’ont plus absolument rien à voir avec les races qui furent reconnues traditionnellement de tout temps ; il semblerait que le même mot soit pris là en deux sens totalement différents. Un point, par contre, où ces théories se sont notablement rapprochées des données traditionnelles, c’est l’affirmation, si longtemps perdue de vue en Occident, de l’origine nordique ou hyperboréenne de la civilisation primordiale ; mais, là encore, bien des confusions et des interprétations fantaisistes ou hypothétiques se mêlent, dans des ouvrages comme ceux d’Herman Wirth par exemple, à la reconnaissance de cette vérité. Tout cela, au fond, et même dans les éléments valables qui s’y rencontrent, ou, si l’on préfère, dans la façon dont ils sont traités, relève donc certainement bien plutôt de la « recherche » moderne que de la connaissance traditionnelle ; et c’est bien pourquoi le point de vue « naturaliste », qui est essentiellement celui des sciences profanes, ne saurait guère y être dépassé ; quant à savoir ce qui sortira finalement de ce véritable « chaos » d’idées en fermentation, c’est là, assurément, une question à laquelle l’avenir seul pourra apporter une réponse.

Six broadcasts sponsored by Boston Museum of Fine Arts, January and February 1937 (John Stevens, Newport, Rhode Island).

Des six conférences réunies dans cette brochure, les deux premières, par M. Ananda K. Coomaraswamy, avaient déjà paru précédemment sous forme d’article dans l’American Review, et nous en avons rendu compte en cette occasion(*). Dans deux autres conférences, M. Graham Carey reprend sa théorie de The four Artistic Essentials, que nous avons indiquée dernièrement(**) à propos de The Majority Report on Art du même auteur ; puis il examine plus particulièrement les Technical Essentials, c’est-à-dire la matière et les outils. Enfin, M. John Howard Benson étudie les deux autres de ces quatre points qui, rappelons-le, correspondent aux quatre causes aristotéliciennes : l’Essential Purpose et l’Essential Idea, autrement dit le but de l’œuvre d’art et l’idée ou l’image mentale suivant laquelle l’artiste réalise cette œuvre, qui sera belle, si elle est parfaite en son genre, si elle est vraiment ce qu’elle doit être.

The Hogarth Press, Madras.

Ce livre est la traduction d’un ouvrage persan, Irshâdatul Arifîn, du Sheikh Ibrahim Gazur-i-Elahi de Shakarkote, mais une traduction arrangée en chapitres de façon à réunir tout ce qui se rapporte à une même question, afin d’en rendre la compréhension plus facile. L’auteur, en expliquant ses intentions, parle bien malencontreusement de « propagande des enseignements ésotériques de l’Islam », comme si l’ésotérisme pouvait se prêter à une propagande quelconque ; si tel a été réellement son but, nous ne pouvons d’ailleurs pas dire qu’il ait réussi à cet égard, car les lecteurs qui n’ont aucune connaissance préalable de taçawwuf auront sans doute bien de la peine à découvrir le véritable sens sous une expression anglaise qui, trop souvent, est terriblement défectueuse et plus qu’inexacte. Ce défaut, auquel s’ajoute, en ce qui concerne les citations arabes, celui d’une transcription qui les défigure étrangement, est fort regrettable, car, pour qui sait déjà de quoi il s’agit, il y a là des choses du plus grand intérêt. Le point central de ces enseignements, c’est la doctrine de l’« Identité Suprême », comme l’indique d’ailleurs le titre, qui a seulement le tort de paraître la rattacher à une formule spéciale, celle d’El-Hallâj, alors que rien de tel n’apparaît dans le texte même. Cette doctrine éclaire et commande en quelque sorte toutes les considérations qui se rapportent à différents sujets, tels que les degrés de l’Existence, les attributs divins, el-fanâ et el-baqâ, les méthodes et les stades du développement initiatique, et bien d’autres questions encore. La lecture de cet ouvrage est à recommander, non point à ceux à qui pourrait vouloir s’adresser une « propagande » qui serait d’ailleurs tout à fait hors de propos, mais au contraire à ceux qui possèdent déjà des connaissances suffisantes pour en tirer un réel profit.

Leonard and Co., London.

Ce nouveau livre de Mr Paul Brunton est en quelque sorte le journal d’une « retraite » qu’il fit dans l’Himâlaya, près de la frontière indo-thibétaine, après avoir vainement essayé d’obtenir l’autorisation de séjourner au Thibet même. Il ne faudrait pas s’attendre à y trouver une unité quelconque : les descriptions de la région et les récits d’incidents divers et d’entretiens avec quelques rares visiteurs s’y mêlent à des réflexions sur les sujets les plus variés ; le tout se lit d’ailleurs agréablement. Ce qu’il y a peut-être de plus curieux là-dedans, c’est l’opposition qu’on sent constamment entre certaines aspirations de l’auteur et sa volonté de rester malgré tout « un homme du xxe siècle » (et nous pourrions ajouter un Occidental) ; il la résout tant bien que mal en se faisant du « Yoga », pour son propre usage, une conception qu’il qualifie lui-même d’« hétérodoxe », et en bornant toute son ambition, dans l’ordre spirituel, à l’obtention d’un état de calme et d’équilibre intérieur qui est assurément, en lui-même, une chose fort appréciable, mais qui est encore bien éloigné de toute véritable réalisation métaphysique !

Traduit de l’allemand par Mme J. Baar (Éditions Adyar, Paris).

Ce petit livre, dans la mesure où il se contente d’être un exposé de faits, contient des aperçus vraiment curieux sur la vie des plantes ; quant à savoir si celles-ci ont des sens à proprement parler tout comme les animaux, c’est là une autre question, et, en tout cas, il est bien contestable que la vie doive se définir essentiellement par la sensibilité. Ces assertions procèdent d’ailleurs d’une intention qui n’est que trop évidente : il y a là un esprit « évolutionniste » qui va jusqu’à la négation de toute classification naturelle, et qui prend pour unité ce qui n’est que confusion ; l’unité de toutes choses en principe n’empêche point la distinction réelle des espèces dans leur ordre, non plus que celle des individus ; mais, pour le comprendre, il faut concevoir cette unité tout autrement que comme celle des « forces créatrices et transformatrices de la nature ». Ce sont là, d’ailleurs, des idées qui pourraient passer simplement pour modernes, plutôt que pour spécifiquement théosophistes, s’il n’y avait çà et là quelques discrètes allusions aux « esprits de la nature », que les lecteurs ordinaires ne remarqueront sans doute pas plus que l’épingle de cravate en forme de croix ansée dont s’orne le portrait de l’auteur…

Éditions de Psyché, Paris.

Cette brochure, en dépit de son titre assez ambitieux, n’est en somme que ce qu’on pourrait appeler la « monographie » d’un guérisseur, qui semble d’ailleurs doué de facultés quelque peu exceptionnelles ; elle ne nous intéresse pas à ce point de vue, mais seulement pour les quelques idées d’ordre plus général qui s’y trouvent exprimées. L’auteur, distinguant différentes catégories de guérisseurs, magnétiseurs et autres, écrit que « le fait de se laisser endormir, d’abandonner sa personnalité consciente aux mains d’un étranger, répugne à notre conception occidentale de la vie » ; alors, comment se fait-il donc que l’hypnotisme soit précisément une chose tout occidentale, et que les pratiques de ce genre soient rigoureusement condamnées par les Orientaux ? D’autre part, nous constatons ici une fois de plus combien on abuse facilement du mot « spirituel » : le domaine psychique est bien assez étendu et assez varié pour rendre compte de tout ce dont il s’agit, et ce n’est pas parce qu’un guérisseur emploie consciemment ou inconsciemment des forces extérieures à lui que celles-ci sont nécessairement de nature spirituelle. Nous ne contestons nullement que des influences spirituelles (qui, disons-le en passant, ne sont certes pas des « radiations ») puissent, dans certains cas, intervenir pour produire des guérisons, par l’intermédiaire d’êtres humains ou autrement ; mais rien (sauf une vision de médium, ce qui est vraiment insuffisant) n’indique qu’il en soit ainsi dans le cas étudié ; et puis, que de telles influences s’amusent par surcroît à momifier des côtelettes à distance, voilà qui est tout de même un peu difficile à admettre !

Éditions des Trois Collines, Lausanne, Librairie Félix Alcan, Paris.

Nous aurions certainement ignoré la publication de ce gros livre de philosophie protestante si l’on ne nous avait signalé que l’auteur avait jugé bon de faire une incursion sur un terrain fort éloigné du sien, pour s’en prendre à la tradition brâhmanique… et à nous-même ; incursion plutôt malheureuse, disons-le tout de suite, mais qui mérite tout de même quelques mots de mise au point. Ce qu’il y a de plus frappant, c’est que les critiques qu’il formule reposent presque entièrement sur de fausses interprétations des termes que nous employons : ainsi, il ne veut pas admettre qu’on puisse « confiner la pensée rationnelle dans l’individuel » parce que, dit-il, elle « vaut en principe pour tout être qui pense » ; mais, hélas, « tout être qui pense », c’est bien là précisément, pour nous, quelque chose qui appartient au domaine purement individuel, et il nous semble avoir pris assez de précautions pour l’expliquer sans laisser place à aucune équivoque. Le « non-dualisme » est pour lui la « doctrine de la non-dualité de l’esprit et de la matière », alors que nous avons eu grand soin de préciser qu’il ne s’agissait nullement de cela, et que d’ailleurs la notion même de « matière » ne se rencontrait nulle part dans la doctrine hindoue. La métaphysique brâhmanique, ou même la métaphysique sans épithète, ne « consiste » certes point en « propositions affirmant des relations entre des concepts » ; elle est absolument indépendante de toute « imagination verbale », aussi bien que de toute « pensée discursive » ; il confond manifestement avec la pseudo-métaphysique des philosophes ! Qu’il soit incapable de concevoir le Non-Être au delà de l’Être, ou l’unité sans la multiplicité, ou encore « l’intuition intellectuelle totalement distincte de la raison », nous l’admettons bien volontiers, et d’ailleurs nous n’y pouvons rien ; mais que, du moins, il veuille bien ne pas prétendre nous imposer ses propres limitations. Qu’il lui plaise de donner aux mots un autre sens que nous, c’est encore admissible ; mais ce qui ne l’est pas du tout, c’est qu’il leur attribue encore ce sens quand il veut exposer ce que nous-même avons dit, si bien qu’il en arrive à donner tout simplement l’impression de quelqu’un qui ne sait pas lire… Ce qui est franchement amusant, c’est le reproche final de « n’être jamais là où l’adversaire voudrait engager le combat » ; s’imagine-t-il donc que la doctrine traditionnelle consent à se reconnaître des « adversaires », et qu’elle peut s’abaisser à des « combats » ou à des discussions quelconques ? Ce sont là d’étranges illusions : dans ce domaine, disons-le lui nettement, on comprend ou on ne comprend pas, et c’est tout ; c’est peut-être très regrettable pour les philosophes et autres profanes, mais c’est ainsi. Dans ces conditions, il est bien évident que le soi-disant « adversaire » ne pourra jamais faire autre chose que de se débattre dans le vide, et que tous ses arguments porteront inévitablement à faux ; il ne nous déplaît certes pas qu’on nous ait donné l’occasion de le constater encore une fois de plus !