Décembre 1937

John Stevens, Newport, Rhode Island.

L’article publié précédemment sous ce titre dans l’American Review, et dont nous avons parlé le mois dernier, a été reproduit en une brochure faisant partie de la même série où ont déjà paru The Majority Report on Art(*), par M. Graham Carey, et la série de conférences intitulée What use is Art anyway ?(**)

Traduit de l’anglais par Gabriel Trarieux d’Egmont (Éditions Adyar, Paris).

Le rapprochement des deux mots qui forment le titre de ce gros volume représente quelque chose d’assez contradictoire : à la vérité, d’ailleurs, ce dont il s’agit n’est pas plus mystique qu’il n’est initiatique ; cela est surtout magique, ce qui est encore une chose toute différente. En effet, il est continuellement question de « pouvoirs », de « visions », d’« évocations », de « projection en astral », toutes choses à la fois dangereuses, même quand elles se réduisent en fait à une simple autosuggestion, et assez insignifiantes, même quand il y correspond au contraire quelques résultats réels. D’une façon plus précise, c’est de « magie cérémonielle » qu’il s’agit, et l’on peut y voir une assez belle confirmation de ce que nous avons dit sur ce sujet il y a quelque temps(***) : il est intéressant de remarquer tout d’abord, à cet égard, la fréquence avec laquelle le mot « cérémonies » revient dans ce livre, tandis que le mot « rites » n’y apparaît que bien rarement ; ensuite, l’aveu explicite que « le cérémonial est pure psychologie », et qu’il est essentiellement destiné « à agir sur l’imagination de l’opérateur » ; c’est bien aussi notre avis, puisque c’est justement en cela qu’il diffère des rites véritables, mais il va de soi que notre appréciation sur la valeur de semblables procédés diffère entièrement de celle de l’auteur. La singulière idée de désigner comme « objectif » et « subjectif » ce qui est respectivement « macrocosmique » et « microcosmique » est encore assez significative sous le même rapport : si les résultats obtenus par un être, en ce qui concerne son propre développement, ne doivent être que « subjectifs », autant dire qu’ils sont inexistants ! Il est constamment fait appel à l’imagination, et aussi, ce qui est plus inquiétant, au « subconscient », à tel point qu’il est fait grand état des trop fameuses théories de Freud ; voilà, certes, la Kabbale tombée bien bas… Au fond, tout cela ne saurait nous étonner, dès lors que nous savons que l’auteur a appartenu à la Golden Dawn avant de fonder sa propre école sous le nom de « Fraternité de la Lumière Intérieure », et que nous la voyons citer comme « autorités » principales Mac Gregor Mathers, et… Aleister Crowley, auxquels s’ajoutent accessoirement divers autres écrivains occultistes et théosophistes. Si la « Kabbale chrétienne » qui se forma à l’époque de la Renaissance était déjà fort loin de l’authentique Kabbale hébraïque, que dire de la « Kabbale occultiste » qui vit le jour au xixe siècle et où les quelques données traditionnelles qui ont subsisté malgré tout sont noyées sous un amas d’éléments hétéroclites et de provenance parfois fort incertaine, de correspondances brouillées beaucoup moins intentionnellement que par l’effet d’une ignorance manifeste, le tout assemblé en un « syncrétisme » qui, quoi qu’en puissent dire les promoteurs de la soi-disant « tradition occidentale », n’a absolument rien de commun avec une « synthèse » ? Dans un ouvrage tel que celui-ci, la Kabbale (ou, pour mieux dire, la doctrine des Sephiroth qui n’en est qu’une des branches) ne fournit plus guère qu’un cadre, pour ne pas dire un prétexte, à des spéculations du caractère le plus mêlé, et où il n’est pas jusqu’à la science moderne elle-même qui occupe une place non négligeable ; il paraît que c’est là « traiter la Kabbale d’une façon vivante », comme si la Kabbale authentique était une chose morte et n’avait que l’intérêt d’une curiosité historique ou archéologique ! Cette intention de « modernisation » est d’ailleurs expressément avouée par l’auteur, qui en cela a du moins le mérite de la franchise, mais qui, en raison de ses tendances « évolutionnistes » nettement affirmées, voit un perfectionnement dans ce qui ne peut nous apparaître que comme une assez lamentable dégénérescence… Dans ces conditions, quand on nous parle de certains « manuscrits que les initiés seuls connaissent », nous nous permettons de douter fortement, non de leur existence, mais de leur valeur traditionnelle ; et ceux qui savent ce que nous pensons des prétendues « écoles initiatiques » occidentales modernes comprendront sans peine que nous ne puissions nous empêcher de sourire en voyant invoquer « les réels et légitimes secrets occultes, que l’initiation révèle seule », même s’il n’y avait, à côté de cela, une mention de « cours par correspondance » qui en dit un peu trop long sur la qualité de cette « initiation » ! — Il serait superflu, après tout cela, de nous arrêter sur des erreurs de détail, bien qu’il en soit d’assez amusantes, comme celles qui consistent à mettre le « Sentier Oriental », comme s’il n’en existait qu’un, en face du « Sentier Occidental », à prendre le Confucianisme pour une « foi métaphysique », à attribuer aux « Vêdântins » la fantasmagorie théosophiste des « Rayons et des Rondes », ou encore à citer la phrase bien connue de la « Table d’Émeraude » sous la forme « ce qui est en haut est en bas ». Il est bien curieux aussi qu’on puisse présenter les Quakers comme « une école purement initiatique », confondre le Bhakti-Yoga avec l’exotérisme religieux, ou se croire en mesure de célébrer efficacement la messe en dehors de toute « succession apostolique » ; il y aurait même fort à dire sur la mentalité spéciale que révèle ce dernier point… Notons également l’exagération qu’il y a à considérer l’« Arbre de Vie », d’une façon exclusive comme constituant la base unique de tout symbolisme, ainsi que l’importance quelque peu excessive attribuée au Tarot, et, ne fut-ce qu’à titre de curiosité, une sorte d’obsession du « Rayon Vert » qui nous rappelle d’étranges histoires… Il est encore une question particulière dont nous devons dire un mot : on se souviendra peut-être que, à la fin de notre étude sur Kundalinî-Yoga(****), nous avons indiqué la correspondance des Sephiroth, envisagée au point de vue « microcosmique », avec les chakras de la tradition hindoue. Il paraît, chose qu’alors nous ignorions tout à fait, car c’est ici que nous la voyons mentionnée pour la première fois, que Crowley et le général Fuller ont tenté d’établir une telle corrélation ; mais, d’ailleurs, les correspondances qu’ils donnent, et qui sont reproduites dans ce livre, sont l’une et l’autre erronées, faute surtout d’avoir remarqué que, par la considération de chacun des trois couples de Sephiroth situés à un même niveau commun représentant la polarisation d’un principe unique, le dénaire des Sephiroth se ramène de la façon la plus simple au septénaire des chakras. — Ajoutons enfin, quant à la présentation de l’ouvrage, qu’il vaudrait certainement beaucoup mieux s’abstenir complètement de donner certains mots en caractères hébraïques, plutôt que de les imprimer de telle sorte qu’il ne s’y trouve presque pas une lettre exacte ; et d’autre part, pourquoi le traducteur écrit-il toujours « la Yoga », « la Swastika », voire même « la Sépher Yetzirah » ? Il faudrait aussi, en ce qui concerne la traduction, se méfier des mots anglais qui, tout en ressemblant beaucoup à des mots français, ont parfois un sens tout à fait différent…

Les Œuvres Françaises, Paris.

Ce petit volume se présente comme un récit de voyage, non pas uniquement descriptif, mais accompagné d’aperçus doctrinaux, et auquel, à vrai dire, on a parfois l’impression que l’auteur a dû mêler quelque peu le souvenir de ses lectures. Ce qui provoque cette remarque, ce n’est pas tant qu’il y a, dans l’ensemble, quelque chose qui rappelle l’« allure » du livre de M. Paul Brunton, dont nous avons rendu compte en son temps(*****), et qui se trouve justement avoir été traduit en français sous le titre un peu trop semblable de L’Inde secrète ; c’est surtout qu’on rencontre çà et là, dans les propos attribués à divers interlocuteurs, des formules ou des phrases déjà vues ailleurs. Il y a même aussi quelques invraisemblances : ainsi, une certaine histoire de « Rose-Croix d’Asie », qui nous remet en mémoire au moins deux affaires plus que suspectes, dont nous savons que précisément l’auteur a eu également connaissance ; une correspondance astrologique des différentes traditions, indiquée dans le même chapitre, et où il n’y a pas une seule attribution correcte. Il n’y en a pas moins, à côté de cela, d’autres choses qui sont excellentes, par exemple, les réflexions sur l’impossibilité où se mettent en général les Européens, par leur attitude même, de pénétrer quoique ce soit de l’Orient, sur le sens réel des rites hindous, sur le caractère erroné des opinions qui ont cours en Occident à l’égard du Tantrisme, ou encore sur la nature du seul véritable secret, qui réside dans l’« incommunicable », ce qui n’a assurément rien à voir avec les prétendus « secrets occultes » dont il a été question plus haut. Cependant, quand on songe aux précédentes « variations » de l’auteur, on ne peut se défendre de quelque inquiétude en présence de la sympathie qu’il témoigne de nouveau à l’Orient et à ses doctrines : ce retour sera-t-il durable ? Pour tout dire franchement, quelques confusions un peu « tendancieuses » comme celle qui consiste à parler du « mysticisme » là où il s’agit réellement de tout autre chose, et que nous n’avons déjà rencontrée que trop souvent, font penser involontairement à d’autres sympathies, aussi inattendues que peu désintéressées, qui se sont manifestées dans certains milieux en ces dernières années, et dont nous avons eu à parler en diverses occasions ; souhaitons pourtant que celle-ci soit d’une meilleure qualité, et qu’il n’y subsiste rien des arrière-pensées « missionnaires » qui perçaient en certains passages du Bouddhisme au Thibet… Quoi qu’il en soit, n’oublions pas, à propos de confusions, de signaler une comparaison assez fâcheuse des méthodes hindoues de développement spirituel avec les méthodes psychologiques modernes (encore une fausse assimilation qui paraît décidément se répandre de plus en plus), et aussi la curieuse méprise qui fait regarder des facultés essentiellement psychiques comme des « possibilités du corps humain » ; à côté des vues très justes que nous notions tout à l’heure, des choses comme celle-là mettent une note étrangement discordante ; mais du moins est-il heureux que de magie, en dépit du titre, il ne soit pas beaucoup question.

« Atlantis », Vincennes.

Nous avons déjà eu parfois l’occasion de signaler la singulière obsession que constituent, pour certains de nos contemporains, les prétendues « prophéties » en général et l’annonce de la prochaine « ère du Verseau » en particulier. Ce livre se rattache encore à ce genre de préoccupations ; il s’y trouve d’ailleurs peu de nouveau, car la plupart des choses qu’il contient avaient déjà été dites par l’auteur dans ses articles d’Atlantis. Nous noterons seulement qu’il se pose plus que jamais en héritier et en continuateur du Hiéron de Paray-le-Monial, ce dont il n’y a peut-être pas trop lieu de le féliciter, car, s’il y eut, dans ce « centre d’ésotérisme chrétien » d’un caractère assez spécial, certaines idées intéressantes, il y eut encore bien plus de rêveries : l’imagination de M. de Sarachaga était presque aussi fertile que celle de M. paul le cour lui-même ! C’est d’ailleurs de là que ce dernier a tiré la fameuse théorie d’Aor-Agni, dans laquelle il a vu une révélation prodigieuse, et dont il croit maintenant retrouver la trace dans les noms et les mots les plus variés ; mais nous avons déjà assez parlé précédemment de toutes ces fantaisies pour ne pas y revenir plus longuement. Essayant de répondre aux objections que nous avons soulevées contre l’association de ces deux termes Aor-Agni, M. paul le cour fait remarquer d’abord qu’« il existe beaucoup de termes composés de mots de langues différentes » ; c’est vrai pour les langues modernes, bien que les linguistes n’admettent d’ailleurs pas volontiers ce procédé de formation hybride, qu’ils regardent avec raison comme fort incorrect ; mais, en ce qui concerne les langues sacrées, une pareille chose est tout à fait impossible. Ensuite, il ajoute « qu’il ne voit pas sur quoi reposerait l’interdiction de voir dans le feu la lumière Aor et la chaleur Agni » ; malheureusement, ce que nous avons dit et ce que nous maintenons, c’est que, si Aor est bien en effet la lumière en hébreu, Agni, en sanscrit, n’est point seulement la chaleur, mais bien le feu lui-même, à la fois lumière et chaleur ; alors, que peut bien valoir une telle réponse ? — Il y a aussi dans ce livre une curiosité que nous regretterions de ne pas signaler : dans un endroit (p. 67), le début de l’ère juive est fixé à 4000 ans avant l’ère chrétienne (ce qui est une confusion pure et simple avec l’ère maçonnique), et, dans une autre (p. 139), à 4320 ; l’auteur ferait bien de se mettre tout au moins d’accord avec lui-même ; mais ce qui est le plus fâcheux, c’est que ni l’une ni l’autre de ces deux indications n’est exacte, car ladite ère juive commence en réalité 3761 ans avant l’ère chrétienne !

Flammarion, Paris.

Les prévisions pour la prochaine année ne sont point de notre ressort, d’autant plus qu’elles touchent forcément à un domaine, celui de la politique, que nous ne voulons aborder en aucune façon. On sait d’ailleurs assez ce que nous pensons de l’état actuel de l’astrologie ; le plus étonnant dans ces conditions, c’est qu’elle donne parfois malgré tout des résultats justes, et peut-être convient-il de les attribuer pour une bonne part, comme le reconnaît l’auteur de ce livre, aux facultés spéciales de l’astrologue qui les obtient, à une sorte d’« intuition », si l’on veut, mais qu’il faudrait bien se garder de confondre avec la véritable intuition intellectuelle, qui est assurément d’un tout autre ordre. Quoi qu’il en soit, nous trouvons ici, à côté de ces prévisions, certaines considérations d’une portée plus générale, parmi lesquelles il en est qui se rapportent encore à la fameuse « Ère du Verseau » (l’auteur annonce même son intention de faire paraître un ouvrage portant ce titre, en quoi il a été devancé par M. paul le cour) : il paraîtrait que nous sommes déjà dans cette ère depuis 1793, alors que d’autres affirment pourtant qu’elle n’est pas encore commencée, voire même qu’elle ne commencera que dans quelques siècles ; il est vraiment singulier qu’on ne puisse tout au moins se mettre d’accord sur ce point ! Naturellement, il est question aussi des soi-disant « prophéties » qui ont cours à notre époque ; mais l’auteur, plus raisonnable en cela que bien d’autres, reconnaît qu’on ne doit pas les accepter toutes sans discernement, et encore bien moins les multiples commentaires qui sont venus s’y ajouter ; au sujet des « prophéties de la Grande Pyramide », en particulier, il fait preuve d’un certain scepticisme dont nous ne pouvons que le féliciter. Il consacre son dernier chapitre à Nostradamus qui, dit-il, « n’est pas uniquement astrologue », ce qui est tout à fait exact, mais en qui il veut voir surtout un « clairvoyant », ce qui l’est beaucoup moins ; en fait, il s’agit dans ce cas de la connaissance de certaines sciences traditionnelles autres que l’astrologie, bien qu’appartenant également à l’ordre cosmologique, et encore plus complètement perdues pour nos contemporains…