Octobre 1938
- Ananda K. Coomaraswamy. — Asiatic
Art.
The New Orient Society of America, Chicago.
Dans cette brochure, dont le but est d’indiquer dans quel esprit doit être abordée l’étude de l’art asiatique si on veut le comprendre réellement, l’auteur insiste de nouveau sur la notion de l’art traditionnel et normal, et sur ce qui le distingue des cas anormaux comme celui de la décadence « classique » et celui de l’art européen depuis la Renaissance. D’autre part, une étude soi-disant « objective », c’est-à-dire en somme une observation purement extérieure, ne peut mener à rien en réalité, car il n’y a aucune véritable connaissance là où il n’y a aucune conformité entre le connaissant et le connu. Dans le cas d’une œuvre d’art, il faut donc savoir avant tout à quel usage elle était destinée, et aussi quelle signification elle devait communiquer à l’intelligence de ceux qui la regardaient. À cet égard, il est essentiel de se rendre compte que les apparences présentées par un art traditionnel ne sont pas le simple rappel de perceptions visuelles, mais l’expression ou la réalisation sensible d’une « contemplation » (dhyâna), qui est ce par quoi l’artiste travaille, et ce sans quoi le produit de son travail ne serait pas vraiment une œuvre d’art. Enfin, c’est une erreur de penser, comme le font généralement les modernes, que la répétition des formules transmises entrave les facultés propres de l’artiste, car celui-ci doit avoir réellement fait ces formules siennes par sa compréhension, ce qui est d’ailleurs le seul sens où l’on puisse parler de « propriété » quand il s’agit d’idées, et il les « recrée » en quelque sorte quand, après se les être assimilées, il les rend conformément à sa propre nature.
- Prof. Leo Frobenius and
Douglas C. Fox. — Prehistoric Rock Pictures in Europe and Africa.
From material in the archives of the Research Institute for the Morphology of Civilization, Frankfort-on-Main. The Museum of Modern Art, New York.
Dans ce volume publié à l’occasion d’une exposition, ce qui est pour nous plus particulièrement digne d’intérêt, à part les nombreuses reproductions dont il est illustré, c’est l’historique des difficultés que rencontra la reconnaissance des premières découvertes de peintures préhistoriques, que les « savants » nièrent obstinément pendant des années, parce que, à leurs yeux, il ne pouvait pas avoir existé de civilisation, ni par conséquent d’art, à des époques aussi lointaines ; il y a là, un bel exemple de la force de certains préjugés ! La raison de ces négations, au fond, c’est que « la mentalité occidentale était pénétrée de la conviction que la culture de notre époque était la plus haute que l’homme ait jamais atteinte, que les cultures plus anciennes ne pouvaient en aucune façon être comparées à la grandeur de l’existence scientifique moderne, et surtout, que tout ce qui s’était développé avant le commencement de l’histoire ne pouvait être regardé que comme “primitif” et insignifiant en comparaison de la splendeur du xixe siècle ». On ne saurait mieux dire ; et, au surplus, nous ne croyons pas que cette mentalité ait beaucoup changé depuis lors, même si, dans certains cas particuliers comme celui dont il s’agit, elle a finalement été obligée de s’incliner devant des évidences par trop incontestables. — Toute question d’appréciation « esthétique » à part, l’interprétation de ces peintures, appartenant à des civilisations sur lesquelles on n’a guère d’autres données, est naturellement fort difficile, voire même souvent tout à fait impossible, sauf dans les cas où une signification rituelle se laisse deviner plus ou moins complètement. Notons qu’une figure trouvée dans le Désert Lybique ressemble d’une façon tout à fait frappante à une représentation « typhonienne » de l’ancienne Égypte ; mais, par une curieuse méprise, elle est donnée comme étant celle du « dieu à la tête de chacal », alors que, en réalité, celui-ci est Anubis et non pas Set ; en fait, il s’agit, aussi nettement que possible, du « dieu à la tête d’âne », dont il est assez intéressant de constater ainsi la présence dès les temps préhistoriques.
- Jean Herbert. — Introduction à l’étude des Yogas hindous.
Union des Imprimeries, Frameries, Belgique.
Cette conférence a été faite à l’« Institut International de Psychagogie » de Genève, et c’est peut-être ce qui explique que l’auteur définisse tout d’abord le terme de Yoga comme « voulant dire à peu près un chemin qui conduit à un but, une discipline qui nous prépare à quelque chose » ; cela est tout à fait inexact, puisque, signifiant « Union », il désigne au contraire proprement le but lui-même, et que ce n’est que par extension qu’il est appliqué, en outre, aux moyens de l’atteindre. Par contre, l’auteur a entièrement raison quand il dénonce la grossière simplification en vertu de laquelle les Occidentaux considèrent l’être humain comme composé seulement de deux parties, le corps et l’esprit, ce dernier comprenant indistinctement pour eux tout ce qui n’est pas corporel ; mais pourquoi renverse-t-il la signification normale des mots « âme » et « esprit » ? Il montre très bien la nécessité de voies multiples, en faisant remarquer qu’il ne faut pas considérer seulement le but, qui est un, mais aussi le point de départ, qui est différent suivant les individus ; puis, il caractérise sommairement les principales sortes de Yoga, en ayant soin d’ailleurs de préciser, ce qui est encore très juste, qu’elles n’ont rien d’exclusif et qu’en pratique, elles se combinent toujours plus ou moins entre elles. Ce qui est parfaitement vrai aussi, c’est que le Yoga n’a rien d’une « religion » ; mais il aurait fallu ajouter que les méthodes hindoues n’en ont pas moins, pour la plus grande partie, un caractère rituel par lequel elles sont liées à une forme traditionnelle déterminée, hors de laquelle elles perdent leur efficacité ; seulement, pour s’en rendre compte, il faudrait évidemment ne pas suivre l’enseignement de Vivêkânanda… Enfin, l’auteur termine son exposé par une mise en garde contre les charlatans qui cherchent à tirer profit de quelques idées plus ou moins vaguement inspirées du Yoga, pour des fins qui n’ont absolument rien de spirituel ; dans les circonstances présentes, un tel avertissement n’est certes pas inutile !
- L. Adams Beck. — Du Kashmir au Tibet : À la découverte
du Yoga.
Traduit de l’anglais par Jean Herbert et Pierre Sauvageot (Éditions Victor Attinger, Paris et Neuchâtel).
Ce roman, écrit dans un esprit de sympathie manifeste pour les doctrines orientales, peut éveiller quelque intérêt pour celles-ci chez des personnes qui ne les connaissent pas encore, et peut-être les amener par la suite à en entreprendre une étude plus sérieuse. Ce n’est pas à dire que la façon dont certaines choses y sont présentées soit toujours exempte de défauts : ainsi, les doctrines hindoue et bouddhique s’y entremêlent parfois d’une façon fort peu vraisemblable, ce qui risque de donner aux lecteurs des idées peu nettes sur leurs rapports. Ce qui est tout à fait louable, par contre, c’est que, contrairement à ce qui arrive le plus souvent dans des ouvrages de ce genre, les « phénomènes » plus ou moins extraordinaires n’y tiennent qu’une place très restreinte, et que leur valeur y est réduite à ses justes proportions ; on peut, quand ils se présentent, les considérer comme des « signes », mais rien de plus. D’un autre côté, le but même du Yoga n’est peut-être pas indiqué avec assez de précision pour éviter toute méprise chez ceux qui n’en sont pas déjà informés : il aurait fallu montrer plus clairement que l’habileté dans un art, par exemple, ne peut constituer qu’une conséquence tout à fait accessoire, et en même temps, dans certains cas, une sorte de « support », à la condition que l’orientation spirituelle soit maintenue de façon invariable ; mais, si on la prend pour une fin, ou si même simplement on la recherche pour elle-même, elle deviendra au contraire un obstacle, et elle aura en somme, à ce point de vue, à peu près les mêmes inconvénients que les « pouvoirs » d’un caractère plus étrange en apparence, car, au fond, tout cela appartient toujours au même ordre contingent.
- J. Marquès-Rivière. — Le Yoga tantrique hindou et thibétain.
Collection « Asie », Librairie Véga, Paris.
Ce qui frappe à première vue, dans ce petit volume, c’est le manque total de soin avec lequel il a été écrit et imprimé ; il fourmille littéralement de fautes de tout genre, et que, malheureusement, il n’est pas possible de les prendre toutes pour de simples erreurs typographiques… Quant au fond, malgré les prétentions à une « information directe », c’est plutôt une compilation, car la partie la plus importante en est visiblement tirée surtout du Serpent Power d’Arthur Avalon, et il y a encore bien d’autres emprunts ; certains ne sont pas avoués, mais nous avons de bonnes raisons pour les reconnaître ; seulement, sans doute pour ne pas paraître « copier » purement et simplement, l’auteur a trouvé bon d’y substituer à une terminologie précise un singulier assemblage de mots vagues ou impropres. Il y a, d’autre part, un chapitre sur la « réincarnation » dont il est absolument impossible de conclure ce que l’auteur pense de cette question, ce qui est assurément le meilleur moyen de ne mécontenter personne ; est-ce aussi à des préoccupations du même ordre qu’il faut attribuer les curieux ménagements qu’il prend pour signaler le caractère fantaisiste de certaines élucubrations de feu Leadbeater et de quelques autres, ou encore une note qui semble admettre la réalité des « communications » spirites ? Nous n’insisterons pas sur l’habituelle confusion « mystique », et nous ne nous attarderons pas non plus à relever certaines assertions plus ou moins bizarres, dont toutes ne concernent d’ailleurs pas les doctrines hindoues ou thibétaines, témoin la désignation de « souffleurs » donnée aux alchimistes, ou les considérations sur les « idoles baphométiques »… Nous nous demandons quel but l’auteur a bien pu se proposer au juste, à moins que, tout simplement, il n’ait voulu essayer de piquer la curiosité des lecteurs éventuels des autres ouvrages dont il annonce la prochaine publication.
- Hélène de Callias. — Magie sonore.
Éditions de Moly-Sabata, Isère ; Librairie Véga, Paris.
L’auteur insiste très justement sur le fait que « l’élément vital de la musique est le rythme » et sur l’incompréhension des Occidentaux modernes à cet égard, incompréhension qui d’ailleurs, ajoutons-le, ne se limite pas au cas du seul rythme musical. Nous ne pouvons examiner ici les développements plus proprement « techniques » du sujet ; mais nous devons exprimer le regret qu’aucune distinction ne semble être faite entre les rythmes à effets bénéfiques et maléfiques (certaine musique nègre est un exemple particulièrement « actuel » de ces derniers), et aussi qu’on veuille ramener toute l’action du son à un point de vue simplement « magique », qui ne saurait répondre qu’à une des applications les plus inférieures de la « science du rythme ». Les références à différentes doctrines traditionnelles sont souvent bien confuses et empruntées à des sources peu sûres ; il y a même des assertions assez étonnantes, comme l’attribution du nombre cinq au Sphinx, ou l’affirmation que « le prêtre dit trois messes le soir de Noël » ! C’est dommage, car ce travail procède certainement d’excellentes intentions ! mais, malheureusement, le résultat est, dans l’ensemble, assez loin de ce qu’on aurait pu souhaiter.
- Gabriel Trarieux d’Egmont. — La Vie d’outre-tombe.
Éditions Adyar, Paris.
Dans ce livre, consacré, comme son titre l’indique, à l’examen des données concernant les états posthumes de l’être humain, les choses les plus disparates sont mises assez malencontreusement sur le même plan ; les doctrines traditionnelles authentiques, les visions fort « mêlées » de Swedenborg, les expériences « métapsychiques », les modernes conceptions occultistes, théosophistes et même spirites ; il serait difficile de pousser l’« éclectisme » plus loin… L’auteur a manifestement une foi robuste en les « Maîtres » de la trop fameuse « Grande Loge Blanche », en la valeur de la « clairvoyance », en la « réincarnation », et aussi… en la prochaine « ère du Verseau », et ses conclusions s’en ressentent fortement ; c’est dire qu’il y a peu à en retenir pour ceux qui ont de bonnes raisons de ne pas partager de semblables convictions et qui tiennent avant tout à ne pas confondre la tradition avec ses contrefaçons.
- Paul Serres. — L’Homme et les Énergies astrales (De l’astrophysique
à l’astrologie).
Éditions Adyar, Paris.
Le sous-titre définit assez nettement le point de vue auquel se place l’auteur : il s’agit là, une fois de plus, d’invoquer des considérations empruntées à la science moderne pour appuyer une science traditionnelle, qui, comme telle, se passe fort bien d’une semblable « justification » ; nous avons assez souvent dit notre pensée là-dessus pour ne pas nous y étendre de nouveau. Il faut reconnaître d’ailleurs que, dans le cas de l’astrologie, l’état assez lamentable dans lequel elle est parvenue jusqu’à nous explique bien des confusions et des méprises sur son véritable caractère ; ainsi, l’auteur s’imagine que les « règles traditionnelles » qu’on y observe ont été établies empiriquement ; la vérité est tout autre, mais on peut en effet s’y tromper, étant donnée la façon peu cohérente dont ces règles sont présentées, et cela parce que, en fait, ce que les astrologues appellent leur « tradition », ce ne sont tout simplement que des débris recueillis tant bien que mal à une époque où la tradition véritable était déjà perdue pour la plus grande partie. Quant à l’« astrologie scientifique » des modernes, qui, elle, n’est bien réellement qu’une science empirique, elle n’a plus guère de l’astrologie que le nom ; et la confusion des points de vue conduit parfois à de singuliers résultats, dont nous avons ici un exemple assez frappant : l’auteur voudrait constituer une astrologie « héliocentrique », qui serait en accord avec les conceptions astronomiques actuelles ; il oublie seulement en cela que l’astrologie, envisageant exclusivement les influences cosmiques dans leur spécification par rapport à la terre, doit, par là même, être nécessairement « géocentrique » !
- Raoul Marchais. — Mystère de la Vie humaine.
Éditions Adyar, Paris.
Dans ce livre encore, l’influence de la science moderne se fait fortement sentir ; mais ce avec quoi l’auteur veut la combiner, ce ne sont pas des idées authentiquement traditionnelles, quoique visiblement il les croie telles de bonne foi ; en effet, tout en déclarant d’ailleurs expressément qu’il n’est pas théosophiste, il prend fort sérieusement pour l’expression du « savoir antique »… tout ce qui est exposé dans la Doctrine Secrète de Mme Blavatsky. C’est cette « cosmogonie » fantastique, avec sa déformation évolutionniste, et par conséquent déjà bien moderne, des doctrines cycliques, qu’il s’est appliqué à traduire en un langage « philosophico-scientifique » qu’il estime plus généralement accessible ; nous n’oserions d’ailleurs pas garantir qu’il se soit toujours parfaitement reconnu au milieu de toutes les complications des « chaînes », des « rondes », des « races » et de leurs multiples subdivisions. Il lui arrive aussi parfois de toucher incidemment à des notions réellement traditionnelles, et il le fait d’une façon plutôt malheureuse : ainsi, il pense que le ternaire « Esprit-Vie-Matière » est identique à la Trinité chrétienne, ce qui prouve que, sur celle-ci, il est vraiment bien mal informé. Il a, d’autre part, une manière tout à fait « personnelle » et assez extraordinaire de « rectifier » l’astrologie ; mais nous croyons peu utile d’y insister davantage ; tout cela est sans doute très ingénieux, mais a seulement le défaut de manquer de toute base réelle ; et que de travail, à notre époque, est ainsi dépensé en pure perte, faute de véritables principes directeurs !
- Robert Duportail. — Enchaînements scientifiques et
philosophiques.
Montmartre Bibliophile, Paris.
Ce qu’il y a de mieux dans cette brochure, c’est le chapitre dans lequel l’auteur dénonce la « régression de l’intelligence » et les méfaits de l’« ère scientifique » moderne ; il fait aussi, par ailleurs, une assez bonne critique du « transformisme ». Il est donc de ceux qui se rendent compte plus ou moins complètement des défauts d’une « civilisation » toute matérielle ; mais, comme la plupart de ceux qui sont dans ce cas, il ne trouve à proposer que des remèdes assurément bien insuffisants. Nous ne voyons pas trop quels résultats pourrait donner, à cet égard, la constitution de ce qu’il appelle une « psycho-philosophie », qu’il conçoit comme basée en somme sur les sciences profanes, bien qu’il veuille y incorporer quelques données très fragmentaires tirées de l’alchimie ou d’autres « sciences anciennes », et vues d’ailleurs encore à travers des interprétations modernes. Ceux qui s’accordent sur le côté « négatif » semblent devenir toujours plus nombreux, et c’est déjà quelque chose ; mais, pour pouvoir faire œuvre réellement « constructive », il faudrait avant tout partir d’une connaissance des véritables principes, faute de laquelle on ne fera jamais guère qu’agiter des idées dans le vide, ce qui n’est certes pas le moyen de sortir du « chaos » actuel.