Février 1940
- Arthur Edward Waite. — Shadows
of Life and Thought. A retrospective review in the form of memoirs.
Selwyn and Blount, London.
L’auteur déclare n’avoir pas voulu écrire une « autobiographie » à proprement parler, mais s’être plutôt proposé de tirer certaines leçons des recherches qu’il a faites et des choses qu’il a rencontrées au cours de son existence ; cela vaut en effet beaucoup mieux, mais alors on peut se demander pourquoi il y a dans ce livre un tel étalage de portraits de lui-même à différents âges et des personnes de sa famille… Cela n’enlève d’ailleurs évidemment rien à l’intérêt du texte, qui, dans l’ensemble, répond en somme assez bien à l’intention exprimée ; M. Waite y apparaît en définitive comme fort désabusé de tout ce qui porte proprement le nom d’« occultisme », en quoi nous ne le comprenons certes que trop bien ; mais les désillusions que lui ont causées la lecture de certains livres et surtout la fréquentation de certains milieux l’ont amené finalement à adopter une attitude qui peut être caractérisée comme plutôt « mystique », ce qui explique sans doute sa prédilection marquée pour L.-Cl. de Saint-Martin. S’il en est ainsi, la raison en est, très probablement, que, malgré ses « expériences » multiples et variées (mais toujours limitées exclusivement au monde occidental), il n’a jamais eu l’occasion de prendre contact avec aucune initiation authentique, à l’exception de la seule initiation maçonnique ; sur celle-ci, il s’est d’ailleurs formé des idées assez particulières, sur lesquelles nous pensons avoir à revenir prochainement à propos d’un autre de ses ouvrages. — À côté de critiques fort justes, il fait preuve, à l’égard de certaines organisations d’un caractère douteux, d’une indulgence qu’on pourrait trouver parfois un peu excessive ; mais peut-être, à en juger par ce qu’il dit dans son avant-propos, s’est-il trouvé obligé d’adoucir les choses plus qu’il ne l’aurait voulu, pour tenir compte de certaines craintes de ses éditeurs… Il n’en apporte pas moins des précisions curieuses, par exemple sur la Golden Dawn, dont il ne parvient cependant pas à éclaircir complètement l’histoire plutôt confuse ; il est d’ailleurs compréhensible qu’une affaire de cette sorte, dans laquelle des documents d’origine fort suspecte jouèrent un grand rôle, ait été volontairement embrouillée par ses promoteurs à tel point que personne ne puisse plus y arriver à s’y reconnaître ! Un autre chapitre intéressant est celui qui est consacré aux symboles du Tarot, non seulement parce que les inventions occultistes auxquelles cette question a donné lieu y sont appréciées à leur juste valeur, mais aussi parce qu’il y est fait allusion à un certain côté assez ténébreux du sujet, que personne d’autre ne paraît avoir signalé, et qui existe très certainement en effet ; l’auteur, sans y insister outre mesure, parle nettement à ce propos de « tradition à rebours », ce qui montre qu’il a tout au moins pressenti certaines vérités concernant la « contre-initiation ».
- Walter H. Dudley and R.
Albert Fisher. — The Mystic Light. The Script of Harzael-Harzrael.
Rider and Co., London.
Le premier des deux auteurs est dit avoir écrit cet ouvrage « par inspiration », et le second l’avoir « interprété et adapté à la compréhension terrestre » ; on sait ce que nous pensons, d’une façon générale, des productions de ce genre, et celle-ci n’est certes pas faite pour nous en donner une meilleure opinion. Il y a là, exprimées en un style invraisemblable, des choses dont certaines sont au fond assez banales, tandis que les autres sont de la plus extravagante fantaisie ; la formation et la constitution de la terre, de la lune et du monde stellaire (ou « constellaire », comme il est dit), surtout, font l’objet d’interminables considérations que rien ne saurait justifier, ni au point de vue « scientifique » ordinaire, ce qui importe assez peu pour nous, ni au point de vue traditionnel, ce qui est beaucoup plus grave ; l’histoire des « quatre grandes dispensations terrestres » n’a pas davantage de ressemblance avec tout ce qu’on peut savoir de celle des traditions réelles ; et le tout est accompagné de nombreuses figures, qui n’ont assurément pas le moindre rapport avec le véritable symbolisme. Il est d’ailleurs donné à entendre que toute critique formulée contre ce script risquerait tout simplement d’« offenser le ciel et la terre » ; de la part de gens qui trop évidemment se croient « missionnés », cela n’est pas fait pour beaucoup nous surprendre ; ce qui est plus étonnant, c’est qu’un pareil livre, et surtout aussi volumineux, ait pu réussir à trouver un éditeur…
- Éliphas Lévi. — La Clef des Grands Mystères.
Éditions Niclaus, Paris.
Nos lecteurs savent quelles réserves nous avons à faire sur les œuvres d’Éliphas Lévi ; il convient d’ailleurs de ne prendre ce qu’elles contiennent que pour l’expression de « vues personnelles », car l’auteur lui-même n’a jamais prétendu revendiquer aucune filiation traditionnelle ; il a même toujours déclaré ne rien devoir qu’à ses propres recherches, et les affirmations contraires ne sont en somme que des légendes dues à des admirateurs trop enthousiastes. Dans le présent livre, ce qu’il y a peut-être de plus intéressant en réalité, bien qu’à un point de vue assez contingent, ce sont les détails vraiment curieux qu’il donne sur certains « dessous » de l’époque à laquelle il fut écrit ; ne fût-ce qu’à cause de cela, il méritait certainement d’être réédité. Dans un autre ordre, il y a lieu aussi de signaler certains des documents qui y sont joints en appendice, notamment les figures hermétiques de Nicolas Flamel, dont on peut cependant se demander jusqu’à quel point elles n’ont pas été « arrangées », et la traduction de l’Asch Mezareph du Juif Abraham ; pour cette dernière, il est fort à regretter que la provenance des fragments qui sont donnés séparément comme compléments des huit chapitres ne soit pas indiquée expressément, ce qui eût été une garantie de leur authenticité ; la reconstitution de l’ensemble du traité n’est d’ailleurs présentée que comme « hypothétique », mais il est bien difficile de savoir dans quelle mesure les copistes qui l’auraient « morcelé pour le rendre inintelligible » en sont responsables, et quelle y est au juste la part d’Éliphas Lévi lui-même.
- Emmanuel Swedenborg. — La Nouvelle Jérusalem et sa doctrine
céleste.
Précédée d’une notice sur Swedenborg, par M. le pasteur E.-A. Sutton. Édition du 250e anniversaire de Swedenborg, 1688-1938. Swedenborg Society, London.
Ce petit livre peut donner une idée d’ensemble de la doctrine de Swedenborg, dont il est comme un résumé ; il faut tenir compte, en le lisant, de ce qu’il y a souvent de bizarre dans la terminologie de l’auteur, qui emploie volontiers, non pas précisément des mots nouveaux, mais, ce qui est peut-être plus gênant, des mots ordinaires auxquels il donne une acception tout à fait inusitée. Il nous semble que, dans une traduction, on aurait pu, sans altérer le sens, faire disparaître ces étrangetés dans une certaine mesure ; les traducteurs, cependant, en ont jugé autrement, estimant cette terminologie nécessaire « pour désigner des choses nouvelles qui sont maintenant révélées », ce qui nous paraît un peu exagéré car, au fond, les idées exprimées ne sont pas d’un ordre si extraordinaire. À vrai dire, le « sens interne » des Écritures, tel que Swedenborg l’envisage, ne va même pas très loin, et ses interprétations symboliques n’ont rien de bien profond : quand on a dit, par exemple, que, dans l’Apocalypse, « le nouveau ciel et la nouvelle terre signifient une nouvelle Église », ou que « la sainte cité signifie la doctrine du Divin vrai », en est-on beaucoup plus avancé ? En comparant ceci avec le sens vraiment ésotérique, c’est-à-dire, dans les termes de la tradition hindoue, le futur Manvantara dans le premier cas, et Brahma-pura dans le second, on voit immédiatement toute la différence… Dans la « doctrine » elle-même, il y a un mélange de vérités parfois évidentes et d’assertions fort contestables ; et un lecteur impartial peut y trouver, même au simple point de vue logique, des « lacunes » qui étonnent, surtout quand on sait quelle fut par ailleurs l’activité scientifique et philosophique de Swedenborg. Nous ne contestons pas, du reste, que celui-ci ait pu pénétrer réellement dans un certain monde d’où il tira ses « révélations » ; mais ce monde, qu’il prit de bonne foi pour le « monde spirituel », en était assurément fort éloigné, et ce n’était, en fait, qu’un domaine psychique encore bien proche du monde terrestre, avec toutes les illusions qu’un tel domaine comporte toujours inévitablement. Cet exemple de Swedenborg est en somme assez instructif, car il « illustre » bien les dangers qu’entraîne, en pareil cas, le défaut d’une préparation doctrinale adéquate ; savant et philosophe, c’étaient là, certes, des « qualifications » tout à fait insuffisantes, et qui ne pouvaient en aucune façon lui permettre de discerner à quelle sorte d’« autre monde » il avait affaire en réalité.