Mars 1940

Laurance Press Co., Cedar Rapids, Iowa.

L’auteur, Grand Secrétaire de la Grande Loge d’Iowa, avait publié il y a une quinzaine d’années un livre intitulé : Some Thoughts on Masonic Symbolism ; le présent volume en est une réédition, mais considérablement augmentée par l’addition d’un nombre presque double de nouveaux chapitres ; ceux-ci avaient paru séparément, dans l’intervalle, sous forme d’articles dans le Grand Lodge Bulletin, et nous avons eu déjà l’occasion d’en mentionner la plupart à mesure de cette apparition. Il eût peut-être mieux valu, nous semble-t-il, garder au livre son titre primitif, car il n’y a pas là, comme le nouveau titre pourrait le faire croire, un traité d’ensemble sur le symbolisme maçonnique ; c’est plutôt une série d’études portant toutes sur des points plus ou moins particuliers. D’autre part, ce qui frappe tout d’abord en voyant ces études ainsi réunies, c’est que les interprétations qui y sont données sont à peu près exclusivement basées sur des références bibliques ; à vrai dire, cela est normal en un certain sens, puisque la Maçonnerie représente une forme initiatique proprement occidentale ; pourtant, beaucoup de questions pourraient être grandement éclairées par une comparaison avec les données d’autres traditions. En outre, les textes bibliques eux-mêmes ne sont guère envisagés que dans leur sens le plus littéral, c’est-à-dire que les explications qui en sont tirées sont surtout d’ordre historique d’une part et moral de l’autre ; cela est manifestement insuffisant, dès lors qu’il devrait s’agir ici, non pas du point de vue religieux, mais du point de vue initiatique ; il semble y avoir là une certaine tendance à confondre les deux domaines, qui n’est d’ailleurs que trop répandue dans la Maçonnerie anglo-saxonne. L’auteur paraît assigner pour but principal à la Maçonnerie ce qu’il appelle la « construction du caractère » (character-building) ; cette expression ne représente au fond qu’une simple « métaphore », bien plutôt qu’un véritable symbole ; le mot « caractère » est bien vague, et, en tout cas, il ne semble rien indiquer qui dépasse l’ordre psychologique ; c’est donc là encore quelque chose de bien exotérique, tandis que, si l’on parlait de « construction spirituelle », cela pourrait avoir un sens bien autrement profond, surtout si l’on y ajoutait les précisions plus proprement « techniques » qu’il serait facile de dégager à cet égard du symbolisme maçonnique, pourvu qu’on sache se garder de « moraliser » purement et simplement à propos des symboles, ce qui n’a certes rien d’initiatique et ne justifie guère l’affirmation du caractère ésotérique de la Maçonnerie. Tout cela n’enlève d’ailleurs rien au mérite et à l’intérêt du livre dans le domaine plus particulier où il se tient de préférence, c’est-à-dire surtout en ce qui concerne la contribution qu’il apporte à l’élucidation d’un certain nombre de points obscurs ou généralement mal compris, comme il y en a trop dans l’état présent de la tradition maçonnique, nous voulons dire depuis que celle-ci a été réduite à n’être plus que « spéculative ».

Derain et Raclet, Lyon.

Le titre de ce livre est peut-être insuffisamment précis, car les trois pièces qui y sont étudiées sont envisagées (ou du moins telle a été l’intention des auteurs) au point de vue plus spécial du symbolisme maçonnique, plutôt qu’à celui de l’ésotérisme en général. Il y a d’ailleurs là quelque chose qui peut soulever tout de suite une objection, car, si le caractère maçonnique de la Flûte enchantée est bien connu et ne peut être mis en doute, il n’en est pas de même pour les deux autres ; et, si l’on peut du moins faire valoir que Goethe fut Maçon tout comme Mozart, on ne saurait en dire autant de Wagner. Il semble bien que, s’il peut y avoir dans Parsifal des points de comparaison avec le symbolisme maçonnique, cela vient de la légende même du Graal, ou du « courant » médiéval auquel elle se rattache, beaucoup plus que de l’adaptation qu’en a faite Wagner, qui n’a pas été forcément conscient de son caractère initiatique originel, et à qui on a même parfois reproché d’avoir altéré ce caractère en y substituant un mysticisme quelque peu nébuleux. Toutes les similitudes qu’indiquent les auteurs peuvent en somme s’expliquer par ce qu’ils appellent l’« héritage des hermétiques » dans la Maçonnerie, ce qui correspond bien à ce que nous venons de dire ; ils y mêlent d’ailleurs trop souvent des considérations assez vagues, qui ne relèvent plus du symbolisme ni de l’ésotérisme, mais seulement d’une « idéologie » qui, si elle représente la conception qu’ils se font de la Maçonnerie, n’est certes nullement inhérente à la Maçonnerie elle-même, et n’a même pu s’introduire dans certaines de ses branches que du fait de la dégénérescence dont nous avons souvent parlé. Quant au cas de Goethe, il est assez complexe ; il y aurait lieu d’examiner de plus près dans quelle mesure son poème de Faust est réellement « marqué de l’esprit maçonnique » comme l’a dit un critique cité ici, et pour lequel l’« esprit maçonnique » n’était peut-être, au fond, que l’idée qu’on s’en fait communément dans le public ; c’est certainement plus contestable que pour d’autres œuvres du même auteur, comme Wilhelm Meister ou le conte énigmatique du Serpent Vert ; et même, à vrai dire, il y a dans Faust, qui constitue un ensemble quelque peu « chaotique », des parties dont l’inspiration semble plutôt antitraditionnelle ; les influences qui se sont exercées sur Goethe n’ont sans doute pas été exclusivement maçonniques, et il pourrait n’être pas sans intérêt de chercher à les déterminer plus exactement… Par ailleurs, il y a dans le présent livre une multitude de remarques intéressantes, mais tout cela, qui aurait grand besoin d’être clarifié et mis en ordre, ne pourrait l’être que par quelqu’un qui ne serait pas affecté, comme les auteurs le sont trop visiblement, par les idées modernes, « progressistes » et « humanitaires », qui sont aux antipodes de tout véritable ésotérisme.

Librairie Heugel, éditions « Psyché », Paris.

Cette brochure contient une sévère critique de la psychanalyse, que nous ne pouvons assurément qu’approuver, et qui coïncide même sur certains points avec ce que nous avons écrit ici nous-même sur ce sujet(*), notamment en ce qui concerne le caractère particulièrement inquiétant de la « transmission » psychanalytique, à propos de laquelle l’auteur cite d’ailleurs nos articles. Le titre se justifie par le fait que non seulement la psychanalyse renverse les rapports normaux du « conscient » et du « subconscient », mais aussi qu’elle se présente, à bien des égards, comme une sorte de « religion à rebours », ce qui montre assez de quelle source elle peut être inspirée ; le rôle pédagogique qu’elle prétend jouer et son infiltration dans les diverses méthodes dites d’« éducation nouvelle » sont aussi quelque chose d’assez significatif… La seconde partie, intitulée Totémisme et Freudisme, est consacrée plus spécialement à l’examen de la théorie extravagante que Freud a formulée sur l’origine de la religion, en prenant pour point de départ les élucubrations, déjà passablement fantastiques et incohérentes, des sociologues sur le « totémisme », et en y adjoignant ses conceptions propres, on pourrait dire volontiers ses « obsessions » ; tout cela donne une idée fort édifiante d’une certaine partie de la « science » contemporaine… et de la mentalité de ceux qui y croient !

Éditions Denoël, Paris.

Nous avons précisément ici un exemple de théories du genre de celles dont il est question ci-dessus : quelques lignes de l’introduction donneront une idée suffisante de l’esprit dans lequel ce livre est conçu : « Le berceau de l’humanité nous est apparu comme une sorte de névrose collective qui faisait obstacle au développement de l’intelligence. (Admirons en passant cette image d’un « berceau » qui est une « névrose »…) Chaque civilisation est une tentative, plus ou moins réussie, d’autoguérison spontanée. La première en date, la civilisation grecque est parvenue à faire tomber le voile qui la séparait de la réalité ». Il va sans dire que ce qui est appelé ici « intelligence » n’est rien de plus que la raison, et que son « développement » consiste à se tourner exclusivement vers le domaine sensible ; et, pour ce qui est de la « réalité », il faut entendre tout simplement par là les choses envisagées au point de vue profane, qui, pour l’auteur et pour ceux qui pensent comme lui, représente « l’achèvement le plus complet de l’homme » ! Aussi, même quand certains faits sont énoncés exactement, l’interprétation qui en est donnée est-elle proprement au rebours de ce qu’elle devrait être : tout ce qui, dans la période « classique », marque une dégénérescence ou une déviation par rapport aux époques précédentes, est présenté au contraire comme un « progrès »… Dans tout cela, d’ailleurs, l’auteur a mis assez peu de chose de lui-même, car son livre est fait surtout de citations d’« autorités » pour lesquelles il a manifestement le plus grand respect ; il paraît bien être de ceux qui acceptent sans la moindre discussion toutes les idées enseignées plus ou moins « officiellement » ; à ce titre, on pourrait considérer son travail comme une « anthologie » assez curieuse de ce qu’on est convenu d’admettre dans les milieux « scientistes » actuels en ce qui concerne les civilisations antiques. Il serait bien inutile d’entrer dans le détail et d’insister sur l’explication qui est donnée du soi-disant « miracle grec » ; en la débarrassant de toute la « mythologie » freudienne dont elle est entourée, on pourrait en somme la résumer en ces quelques mots : c’est la révolte contre les institutions familiales, et par suite contre tout ordre traditionnel, qui, en rendant possible la « liberté de pensée », a été la cause initiale de tout « progrès » ; ce n’est donc là, au fond, que l’expression même de l’esprit antitraditionnel moderne sous sa forme la plus brutale. Ajoutons encore une remarque : il a été successivement de mode, depuis un siècle environ, d’assimiler les « hommes primitifs » à des enfants, puis à des sauvages ; maintenant, on veut les assimiler à des malades, et plus précisément à des « névrosés » ; malheureusement on ne s’aperçoit pas que ces « névrosés » ne sont, en réalité, qu’un des produits les plus caractéristiques de la « civilisation » tant vantée de notre époque !