Avril 1940
- Shrî Ramana Maharshi. — Maharshi’s Gospel.
Sriramanasraman, Tiruvannamalai, South India.
Ce petit volume a été publié à l’occasion du soixantième anniversaire de Shrî Ramana, le 27 décembre 1939 ; c’est, comme la plupart des précédents, un recueil de réponses données par lui à des questions posées par différents disciples. Les principaux sujets auxquels elles se rapportent sont la renonciation aux fruits de l’action, le silence et la solitude, le contrôle du mental, les rapports de Bhakti et de Jnâna, le « Soi » et l’individualité, la réalisation du « Soi », le rôle du Guru dans sa double signification « extérieure » et « intérieure ». Nous noterons en particulier l’enseignement donné au sujet de l’action : ce n’est pas celle-ci, en elle-même, qui est un empêchement à la réalisation, mais l’idée que c’est « moi » qui agis, et l’effort qui est fait pour s’abstenir de l’action aussi bien que pour agir ; l’action accomplie avec un parfait détachement n’affecte pas l’être. Signalons aussi ce qui concerne les effets de ce que nous pouvons appeler une « action de présence » : la communication de la Connaissance ne peut s’opérer réellement que dans le silence, par un rayonnement de force intérieure qui est incomparablement plus puissant que la parole et toutes les autres manifestations d’une activité extérieure quelconque ; c’est là, en somme, la véritable doctrine du « non-agir ».
- Shrî Ramana Maharshi. — Who
am I ?
Sriramanasraman, Tiruvannamalai, South India.
Dans la nouvelle édition de cette brochure, la traduction a été améliorée et même refaite presque entièrement ; il y a peut-être lieu de regretter seulement qu’on y ait laissé l’indication d’un moins grand nombre de termes sanscrits que dans la première version, car c’est là quelque chose qui aide toujours beaucoup à préciser le sens. D’autre part, on a ajouté à la fin la traduction anglaise d’un poème sur la « Connaissance du Soi », composé par Shrî Ramana à la requête d’un de ses disciples.
- Clarence H. Hamilton. — Wei
Shih Er Lun, or the Treatise in twenty stanzas on Representation-only, by
Vasubandhu.
Translated from The Chinese version of Hsüan Tsang, Tripitaka Master of the T’ang Dynasty (American Oriental Society, New Haven, Connecticut).
Le traité dont il s’agit est le premier des deux textes classiques fondamentaux de l’école Vijnaptimâtra (c’est cette désignation qui est rendue ici par Representation-only), une des branches de l’école mahâyânique Yogâchâra ; ces deux textes sont la Vimshatikâ et la Trimshikâ de Vasubandhu, dont Sylvain Lévi avait donné, il y a quelques années, une soi-disant traduction française à peu près entièrement inintelligible : voulant s’appliquer à rendre chaque mot du texte par un mot unique, même quand il n’existe pas de termes correspondants en français, il en était arrivé à employer à chaque instant des néologismes tels qu’« inscience », « mentation », « ainsité », « essencité », qui ne sont proprement que de véritables barbarismes, et des expressions encore plus invraisemblables, telles qu’une « notation de tréfonds », une « imprégnation de concoction », une « révolution du récipient », une « mise-au-point de barrage », et ainsi de suite, auxquelles il est impossible de trouver une signification quelconque ; c’est là, assurément, un exemple bien propre à montrer que nous n’avons jamais rien exagéré en parlant des défauts de certains travaux d’« orientalistes » et de leur parfaite inutilité. L’auteur de la présente traduction anglaise nous paraît faire preuve de beaucoup d’indulgence à l’égard de son prédécesseur, en se contentant de déclarer qu’il ne lui a pas été possible de suivre son « vocabulaire spécialisé », et en en attribuant la bizarrerie au « souci de conserver les nuances linguistiques » ; la vérité est que, avec la prétention de « rendre exactement le sens », Sylvain Lévi n’en a donné absolument aucun. M. Hamilton, fort heureusement, n’est pas tombé dans le même défaut ; ce n’est pas à dire, sans doute, que sa traduction ne puisse être discutée sur certains points, car il s’agit là d’un texte certainement très difficile, en raison de la nature même des idées qui y sont exprimées, et il ne faudrait pas trop se fier, à cet égard, aux possibilités de la terminologie philosophique occidentale ; mais, en tout cas, elle peut du moins être comprise et présente un sens fort plausible dans son ensemble. La traduction, avec le texte chinois de Hiuen-tsang en regard, est accompagnée de notes donnant de nombreux éclaircissements, et précédée d’une introduction où se trouvent un historique des versions chinoises du traité et une analyse du contenu de celui-ci ; cette dernière est peut-être un peu influencée par l’idée qu’il y a là quelque chose de comparable à « l’idéalisme » occidental, bien que l’auteur reconnaisse que « la doctrine idéaliste de Vasubandhu est finalement au service d’une réalisation supra-intellectuelle », nous dirions plus exactement « supra-rationnelle » ; mais n’est-ce pas précisément là le point essentiel, celui qui, en différenciant profondément cette doctrine des spéculations philosophiques modernes, lui donne son caractère réel et sa véritable portée ?
- Edward Jabra Jurji. — Illumination
in Islamic Mysticism.
A translation, with an introduction and notes, based upon a critical edition of Abu-al-Mawâhib al-Shâdhili’s treatise entitled Qawânîn Hikam al-Ishrâq (Princeton University Press, Princeton, New Jersey).
La dénomination de « mysticisme islamique », mise à la mode par Nicholson et quelques autres orientalistes, est fâcheusement inexacte, comme nous l’avons déjà expliqué à diverses reprises : en fait, c’est de taçawwuf qu’il s’agit, c’est-à-dire de quelque chose qui est d’ordre essentiellement initiatique et non point mystique. L’auteur de ce livre semble d’ailleurs suivre trop facilement les « autorités » occidentales, ce qui l’amène à dire parfois des choses quelque peu étranges, par exemple qu’« il est établi maintenant » que le Soufisme a tel ou tel caractère ; on dirait vraiment qu’il s’agit d’étudier quelque doctrine ancienne et disparue depuis longtemps ; mais le Soufisme existe actuellement et, par conséquent, peut toujours être connu directement, de sorte qu’il n’y a rien à « établir » à son sujet. De même, il est à la fois naïf et choquant de dire que « des membres de la fraternité shâdhilite ont été récemment observés en Syrie » ; nous aurions cru qu’il était bien connu que cette tarîqah, dans l’une ou l’autre de ses nombreuses branches, était plus ou moins répandue dans tous les pays islamiques, d’autant plus qu’elle n’a certes jamais songé à se dissimuler ; mais cette malencontreuse « observation » pourrait légitimement amener à se demander à quelle singulière sorte d’espionnage certains orientalistes peuvent bien se livrer ! Il y a là des « nuances » qui échapperont probablement aux lecteurs américains ou européens ; mais nous aurions pensé qu’un Syrien, qui, fût-il chrétien, est tout de même ibn el-Arab, eût dû avoir un peu plus de « sensibilité » orientale… Pour en venir à d’autres points plus importants quant au fond, il est regrettable de voir l’auteur admettre la théorie des « emprunts » et du « syncrétisme » ; s’il est « difficile de déterminer les commencements du Soufisme dans l’Islam », c’est que, traditionnellement, il n’a et ne peut avoir d’autre « commencement » que celui de l’Islam lui-même, et c’est dans des questions de ce genre qu’il conviendrait tout particulièrement de se méfier des abus de la moderne « méthode historique ». D’autre part, la doctrine ishrâqiyah, au sens propre de ce mot, ne représente qu’un point de vue assez spécial, celui d’une certaine école qui se rattache principalement à Abul-Futûh es-Suhrawardi (qu’il ne faut pas confondre avec le fondateur de la tarîqah qui porte le même nom), école qui ne peut être regardée comme entièrement orthodoxe, et à laquelle certains dénient même tout lien réel avec le taçawwuf, même par déviation, la considérant plutôt comme simplement « philosophique » ; il est plutôt étonnant qu’on prétende la faire remonter à Mohyiddin ibn Arabi lui-même, et il ne l’est pas moins qu’on veuille en faire dériver, si indirectement que ce soit, la tarîqah shâdhilite. Quand on rencontre quelque part le mot ishrâq, comme dans le traité qui est traduit ici, on n’est pas autorisé pour cela à conclure qu’il s’agit de la doctrine ishrâqiyah, pas plus que, partout où se trouve son équivalent occidental d’« illumination », on n’est en droit de parler d’« illuminisme » ; à plus forte raison une idée comme celle de tawhîd n’a-t-elle pas été « tirée » de cette doctrine particulière, car c’est là une idée tout à fait essentielle à l’Islam en général, même dans son aspect exotérique (il y a une branche d’études désignée comme ilm et-tawhîd parmi les ulûm ez-zâher, c’est-à-dire les sciences qui sont enseignées publiquement dans les Universités islamiques). L’introduction tout entière n’est en somme bâtie que sur un malentendu causé par l’emploi du terme ishrâq ; et le contenu même du traité ne justifie nullement une semblable interprétation, car, en réalité, il ne s’y trouve rien qui ne soit du taçawwuf parfaitement orthodoxe. Heureusement, la traduction elle-même, qui est la partie la plus importante du livre, est de beaucoup meilleure que les considérations qui la précèdent ; il est sans doute difficile, en l’absence du texte, de vérifier entièrement son exactitude, mais on peut cependant s’en rendre compte dans une assez large mesure par l’indication d’un grand nombre de termes arabes, qui sont généralement très bien rendus. Il y a pourtant quelques mots qui appelleraient certaines réserves : ainsi, mukâshafah n’est pas proprement « révélation », mais plutôt « intuition » ; plus précisément, c’est une perception d’ordre subtil (mulâtafah, traduit ici d’une façon assez extraordinaire par amiability), inférieure, du moins quand le mot est pris dans son sens strict, à la contemplation pure (mushâhadah). Nous ne pouvons comprendre la traduction de muthûl, qui implique essentiellement une idée de « similitude », par attendance, d’autant plus qu’âlam el muthûl est habituellement le « monde des archétypes » ; baqâ est plutôt « permanence » que « subsistance » ; dîn ne saurait être rendu par « foi », qui en arabe est imân ; kanz el-asrâr er-rabbâniyah n’est pas « les secrets du trésor divin » (qui serait asrâr el-kanz el-ilâhî), mais « le trésor des secrets dominicaux » (il y a une différence importante, dans la terminologie « technique », entre ilâhî et rabbânî). On pourrait sans doute relever encore quelques autres inexactitudes du même genre ; mais, somme toute, tout cela est assez peu de chose dans l’ensemble, et, le traité traduit étant d’ailleurs d’un intérêt incontestable, le livre, à l’exception de son introduction, mérite en définitive d’être recommandé à tous ceux qui étudient l’ésotérisme islamique.