Janvier-février 1946

Traduction et préface de Jean Herbert (Union des Imprimeries, Frameries, Belgique).

Le premier chapitre de ce livre est le meilleur à notre avis : l’auteur y proteste très justement contre l’opposition artificielle que l’Occident prétend établir entre l’homme et la nature, opposition qui implique une négation de l’unité fondamentale de tout ce qui existe ; dans l’Inde, au contraire, « l’état où l’on a réalisé sa parenté avec le tout et pénétré en toutes choses par l’union avec Dieu (qui, comme il le dit ailleurs, n’a rien à voir avec la « pure abstraction » des philosophes modernes) était considéré comme le but ultime et l’accomplissement de l’humanité ». La suite, malheureusement, est moins satisfaisante : il est compréhensible qu’un poète répugne à renoncer au monde des formes, et nous admettons même volontiers que, pour suivre sa voie propre, il doive, plus que tout autre homme, prendre les formes pour appui ; mais ce n’est là qu’une voie parmi beaucoup d’autres, et même, plus exactement, ce n’est que le point de départ d’une voie possible ; si l’on ne va pas plus loin, on ne dépassera jamais le niveau de la « conscience cosmique », ce qui ne représente qu’une étape transitoire, fort éloignée du but suprême, et à laquelle il peut même être dangereux de trop s’arrêter. Nous craignons fort que l’auteur ne voie rien au delà, et la façon dont il traduit certains termes, dans les citations qu’il fait des Upanishads, porte la marque de ce point de vue restreint : est-il soutenable, par exemple, qu’Ananda signifie la « joie » ? En tout cas, le titre du livre est plutôt décevant, car il n’y est nullement question de « réalisation » au sens métaphysique, ni de la « technique » qui peut y conduire effectivement ; Tagore peut être un grand poète, mais il n’est certainement pas possible de le considérer comme un « Maître spirituel ».

Introduction et traduction de Jean Herbert (Union des Imprimeries, Frameries, Belgique).

Dans l’introduction, M. Jean Herbert s’excuse de ne publier que des études sur Shrî Râmana au lieu des écrits mêmes de celui-ci ; il est certain que ces écrits sont fort peu nombreux, et que même les divers recueils de ses enseignements oraux qui ont été publiés jusqu’ici ne représentent encore que quelque chose de très fragmentaire et incomplet ; nous nous demandons pourtant si vraiment ce sont là les seules raisons de cette abstention, et ce qui pourrait donner à penser qu’il doit y en avoir d’autres, c’est la critique plutôt amère qui est faite ici de l’entourage du Maharshi… Il est d’ailleurs tout à fait exact que celui-ci « n’accepte aucun disciple » au vrai sens de ce mot, quoique beaucoup de gens revendiquent trop facilement cette qualité ; nous doutons même qu’il y ait lieu d’« espérer qu’un jour viendra où il acceptera d’assumer le rôle de guru », car il semble bien que, s’il n’exerce que ce que nous avons déjà appelé une « action de présence », ce soit en raison même du caractère très exceptionnel de la voie qu’il a suivie. — La partie principale de ce premier volume est constituée par une traduction, un peu modifiée sur certains points, du livre que le Dr Sarma K. Lakshman a fait paraître précédemment en anglais sous le titre de Mahâ-Yoga et sous le pseudonyme de Who ; nous en avons déjà parlé(*), et nous avons indiqué alors les réserves qu’il y a lieu de faire à son sujet au point de vue doctrinal ; nous n’y reviendrons donc pas, si ce n’est pour rappeler qu’il ne faut pas le considérer autrement que comme l’expression des vues propres de son auteur. Cette traduction est encadrée entre une préface et un appendice ; dans la première, le Swâmî Siddheswarânanda s’attache à caractériser la voie et l’attitude de Shrî Râmana, et il relève aussi, d’une façon tout à fait juste, les erreurs commises par un écrivain qui a prétendu l’apprécier au point de vue de la « mystique » occidentale ; quant à l’appendice du Swâmî Tapasyânanda, il donne une impression tellement « réticente » qu’on ne peut s’empêcher de se demander pourquoi il a été écrit !

Traduction française de Marcel Sauton ; préface du Swâmî Siddheswarânanda (Union des Imprimeries, Frameries, Belgique).

L’auteur de ce livre était un Américain qui fut enthousiasmé par les œuvres de Vivêkânanda, et qui, à la suite de leur lecture, se rendit dans l’Inde pour y rencontrer d’autres disciples de Shrî Râmakrishna ; mais visiblement, c’est l’influence posthume de Vivêkânanda qui prédomina toujours chez lui. Le style du livre est assez déplaisant, avec ses répétitions de mots continuelles et parfaitement inutiles, ses exclamations à tout propos et hors de propos ; nous n’insisterons pas sur le vague extrême de la terminologie et l’impropriété de beaucoup de mots, car, n’ayant pas lu l’original, nous ne pouvons savoir au juste quelle y est la part de la traduction, et nous avons l’impression qu’elle aggrave encore ces défauts. Quant au fond, comme on peut s’en douter, il représente quelque chose de fort « mêlé » : à côté de quelques formules empruntées à la tradition hindoue, on en rencontre beaucoup d’autres qui sont spécifiquement occidentales ; il y a même des passages où il est parlé de la « pureté » d’une façon qui rappelle un peu trop certaines « obsessions » du moralisme protestant ; il est beaucoup question aussi d’« idéal » et de « formation du caractère », ce qui ne nous sort guère des ordinaires banalités modernes ; et, de l’ensemble de tout cela, il serait assurément bien difficile de dégager quelque chose d’un peu net. C’est d’ailleurs généralement assez « inoffensif », bien qu’il y ait pourtant quelque part un conseil de « cultiver la passivité » qui est terriblement dangereux ; mais ce qui nous étonne toujours dans des écrits de ce genre, c’est le manque de « substance », si l’on peut dire, et l’absence complète de précisions utilisables. D’autre part, l’auteur, d’un bout à l’autre, fait parler le Guru d’une façon telle qu’on se demande quelle idée il s’en fait, et le Swâmî Siddheswarânanda, dans sa préface, paraît bien avoir senti qu’il y a là une équivoque plutôt fâcheuse, que du reste il ne réussit pas à dissiper : il ne s’agit certainement pas d’un Guru humain réel, et ce qui est décrit ne peut pas non plus passer pour un stade assez avancé pour que le véritable « Guru intérieur » s’y manifeste ainsi ; il est donc vraisemblable que cette « voix » ne représente en quelque sorte que le souvenir « idéalisé » de Vivêkânanda, ou même, plus simplement encore, qu’il ne faut y voir qu’une « fiction » destinée à exprimer les pensées qui sont venues à l’auteur au cours de ses méditations.

Imprimerie Maurice Laballery, Clamecy.

Cette brochure contient beaucoup de considérations intéressantes sur l’architecture du moyen âge et sur son caractère symbolique et ésotérique ; mais l’admiration trop exclusive de l’auteur pour le style roman le rend fort injuste à l’égard de la cathédrale ogivale, où il ne veut voir « qu’une expression philosophique tendant vers des fins humanistes en reflétant le monde profane » ! Il est vrai que le passage du roman au gothique dut correspondre à un changement de conditions nécessitant une « réadaptation », mais celle-ci s’opéra conformément aux principes traditionnels ; la déviation ne vint que beaucoup plus tard, et elle coïncida précisément avec la décadence du gothique. Dans certaines parties se rapportant à des questions plus spéciales, notamment au symbolisme numérique et astrologique, il semble que l’auteur ait voulu mettre trop de choses qu’il ne lui était pas possible de développer en si peu de pages, ce qui donne une impression un peu confuse ; il y a aussi quelques erreurs de détail : par exemple, le Sphinx ailé est peut-être grec, mais il n’a certainement rien de commun avec la tradition égyptienne, où le Sphinx n’a jamais comporté d’autres éléments qu’une tête humaine et un corps de lion ; quant à supposer l’existence de sept voyelles (dans quelle langue ?) pour les faire correspondre aux sept planètes, cela nous a bien l’air d’une fantaisie toute moderne… Pour ce qui concerne plus proprement Vézelay, il est seulement regrettable que ce qui en est dit n’établisse nullement qu’il y ait eu là un centre initiatique, même secondaire, car les raisons invoquées seraient à peu près également valables pour n’importe quelle autre église de la même époque ; il faudrait pouvoir prouver que ce fut le siège effectif d’une organisation initiatique, et cette question essentielle n’est même pas soulevée ici. Il ne suffit d’ailleurs pas de parler des moines bénédictins comme « auteurs de la basilique de Vézelay », ce qui est fort contestable, surtout quant à l’ésotérisme qui y fut inclus ; plus précisément, si certains d’entre eux y eurent une part, ce ne fut pas en tant que moines, mais en tant qu’initiés à l’art des constructeurs, ce qui, sans être aucunement incompatible, est quelque chose de tout à fait différent. Ajoutons, à un autre point de vue, qu’il est dommage que le texte ne soit pas accompagné de quelques illustrations, sans lesquelles certaines descriptions sont vraiment assez difficiles à suivre, surtout pour ceux qui ne connaissent pas Vézelay.

Éditions du Trident, Paris.

Cette étude débute par des considérations sur les origines de la monnaie dans le bassin de la Méditerranée, question assez obscure, et pour laquelle, comme pour tant d’autres choses, il ne semble pas possible de remonter au delà du vie siècle avant l’ère chrétienne. En tout cas, l’auteur a bien compris que « la monnaie était pour les anciens une chose sacrée », contrairement à la conception toute profane que s’en font les modernes, et que c’est par là que s’explique le caractère des symboles qu’elle portait ; on pourrait même aller plus loin, pensons-nous, et voir dans ces symboles la marque d’un contrôle exercé par une autorité spirituelle. Ce qui suit, et qui concerne plus proprement Rome et l’Italie, est beaucoup plus hypothétique : le rapprochement du nom d’Énée et du nom latin de l’airain, pour n’être pas impossible, semble pourtant assez discutable ; et c’est peut-être une interprétation bien restreinte de la légende d’Énée que de ne voir, dans les différentes étapes de ses voyages, rien d’autre que celles de la propagation de la monnaie de bronze ; quelque importance qu’ait pu avoir celle-ci, elle ne peut cependant être considérée que comme un fait secondaire, sans doute lié à tout l’ensemble d’une tradition. Quoi qu’il en soit, ce qui nous paraît le plus invraisemblable, c’est l’idée que cette légende d’Énée puisse avoir un rapport quelconque avec l’Atlantide : d’abord, ses voyages, s’effectuant de l’Asie Mineure vers l’Italie, n’ont évidemment pas leur point de départ du côté de l’Occident ; ensuite, ils se réfèrent à une époque qui, même si elle ne peut être déterminée avec une entière précision, est en tout cas postérieure de plusieurs millénaires à la disparition de l’Atlantide ; mais cette théorie trop imaginative, ainsi que quelques fantaisies linguistiques sur lesquelles nous n’insisterons pas, doit probablement être attribuée au fait que l’étude dont il s’agit parut tout d’abord en partie dans la revue Atlantis… L’énumération des symboles figurant sur les monnaies paraît avoir été faite d’une façon aussi complète que possible, et à la fin de l’ouvrage ont été ajoutés des tableaux synoptiques permettant de se rendre compte de leur répartition sur le pourtour du bassin méditerranéen ; mais, sur la signification de ces symboles, il y aurait eu certainement beaucoup plus à dire, et il y a même à cet égard des lacunes quelque peu étonnantes. Ainsi, nous ne nous expliquons pas qu’on puisse dire que la proue d’un navire associée à la figure de Janus sur l’as romain « concerne Saturne, et lui seul », alors qu’il est pourtant assez connu que le navire ou la barque était un des attributs de Janus lui-même ; et il est curieux aussi que, à propos de Saturne, on puisse appeler « ère pastorale » ce qui est en réalité l’« ère agricole », c’est-à-dire exactement le contraire, puisque les pasteurs sont essentiellement les peuples nomades, tandis que les agriculteurs sont les peuples sédentaires ; comment donc l’« ère pastorale » pourrait-elle bien coïncider avec la « formation des villes » ? Ce qui est dit des Dioscures n’en éclaircit guère la signification, et de même pour les Kabires ; mais, surtout, comment se fait-il que l’auteur ne semble pas avoir remarqué que le symbolisme de ces derniers est en étroite relation avec la métallurgie, et même plus spécialement encore avec le cuivre, ce qui aurait eu pourtant un rapport tout à fait direct avec son sujet ?

Éditions du Trident, Paris.

Nous n’avons pas qualité pour apprécier un poème comme tel, mais, au point de vue symbolique, celui-ci nous paraît moins clair qu’il n’eût été souhaitable, et même le caractère essentiellement « cyclique » et « solaire » du mythe du Phénix ne s’en dégage pas très nettement ; quant au symbole de l’œuf, nous avouons n’avoir pas réussi à comprendre comment il y est envisagé ; l’inspiration de l’ensemble, en dépit du titre, donne l’impression d’être plus « philosophique » que symbolique. D’autre part, l’auteur semble croire sérieusement à l’existence d’une certaine organisation dénommée « Frères d’Héliopolis » et à ses rapports avec une tradition égyptienne ; on se fait souvent, en Europe, de bien curieuses idées sur l’Égypte… Du reste, est-il bien sûr que ce soit à Héliopolis d’Égypte que le Phénix fut primitivement associé ? Il y eut aussi Héliopolis de Syrie, et, si l’on remarque que la Syrie ne fut pas toujours uniquement le pays qui porte ce nom encore aujourd’hui, ceci peut nous rapprocher davantage des origines ; la vérité, en effet, est que ces diverses « Cités du Soleil » d’une époque relativement récente ne furent jamais que des images secondaires de la « Terre solaire » hyperboréenne, et qu’ainsi, par delà toutes les formes dérivées qu’on connaît « historiquement », le symbolisme du Phénix se trouve directement rattaché à la Tradition primordiale elle-même.