Mai 1946

« The Rosicrucian Foundation », Quakertown, Pennsylvania.

Nous avons rendu compte précédemment (no d’avril 1937) du premier volume publié sous ce titre ; quant au second, qui est véritablement énorme (près de mille pages !), les circonstances ne nous ont pas encore permis d’en parler jusqu’ici. Le principal adversaire du Dr Clymer, l’Imperator de l’A. M. O. R. C., est mort entre temps, mais cela n’enlève évidemment rien à l’intérêt que cet ouvrage présente à un point de vue spécial, puisqu’il s’agit là d’un cas typique de charlatanisme pseudo-initiatique, auquel viennent même s’adjoindre, ainsi que nous l’avons déjà expliqué, des influences d’un caractère encore plus suspect. Il faut d’ailleurs reconnaître que, comme d’autres l’ont déjà noté avant nous, le Dr Clymer fait grand tort à sa cause en employant trop souvent un langage « argotique » et injurieux, dont le moins qu’on puisse dire est qu’il manque totalement de dignité ; mais peu nous importe au fond, car nous ne sommes nullement tenté de prendre parti dans une telle querelle. Quoi qu’on puisse penser du bien-fondé de ses prétentions, son exposé est en tout cas fort « instructif » à divers égards : c’est ainsi qu’on y voit, entre autres choses, comment un avocat peut s’entendre avec celui de la partie adverse pour arranger une affaire à l’insu de son client et au détriment des intérêts de celui-ci ; et il est malheureusement probable que de telles mœurs ne sont pas particulières à l’Amérique ! Il est d’ailleurs, redisons-le encore à ce propos, vraiment difficile de comprendre comment des organisations qui se disent initiatiques peuvent porter ainsi leurs différends devant une juridiction profane ; même si elles ne le sont pas réellement, cela ne change rien en l’occurrence, car, en bonne logique, elles devraient tout au moins se comporter extérieurement comme si elles étaient ce pour quoi elles veulent se faire passer. Il arrive nécessairement de deux choses l’une : ou bien le juge est profane lui-même, et alors il est incompétent par définition ; ou bien il est Maçon, et, comme des questions maçonniques sont aussi mêlées à toutes ces histoires, il doit, entre ses obligations de discrétion initiatique et les devoirs de sa charge publique, se trouver dans une situation plutôt fausse et singulièrement embarrassante… Au sujet des questions auxquelles nous venons de faire allusion, nous devons remarquer que le Dr Clymer a sur la régularité maçonnique des idées tout à fait spéciales : de deux organisations pareillement irrégulières, et d’ailleurs de même origine, il n’a que des éloges pour l’une, tandis qu’il accable l’autre d’injures et de dénonciations ; la raison en est tout simplement que la première a adhéré à sa propre « Fédération » et la seconde à la « Fédération » rivale. Ces motifs plutôt mesquins n’empêchent pas, à vrai dire, la documentation concernant cette dernière, dénommée F. U. D. O. S. I., autrement dit Federatio Universalis Dirigens Ordines Societatesque Initiationis (quel latin !), d’être, toujours au même point de vue, une des choses les plus intéressantes parmi toutes celles que contient le livre ; que les agissements de ces milieux soi-disant « fraternels » sont donc édifiants ! Nous avons retrouvé là-dedans de vieilles connaissances, parmi lesquelles quelques survivants de l’ancien mouvement occultiste français, qui semble ne pas vouloir se décider à disparaître tout à fait… Naturellement, il est de nouveau question aussi de Theodor Reuss, alias « Frater Peregrinus », d’Aleister Crowley et de leur O. T. O., sans parler de beaucoup d’autres personnages (réels et imaginaires) et d’autres groupements d’un caractère non moins étrange ; tout cela, qui ne saurait se résumer, constitue un imposant recueil de documents que devrait consulter quiconque se proposera d’écrire quelque jour en détail la fantastique histoire des pseudo-initiations modernes.

P. Derain, Lyon.

Le titre complet, tel que nous venons de le transcrire, indique suffisamment quel est le contenu de ce volume, qui se présente comme le premier d’une « collection d’albums ésotériques » ; il s’agit de deux traités composés entièrement de figures, sans accompagnement d’aucun texte explicatif. Nous ne pouvons que recommander cette réédition à tous les amateurs de symboles hermétiques, qui y trouveront amplement de quoi exercer leur sagacité.

Rider and Co., London.

Le titre de ce petit volume est plutôt ambitieux, mais, il faut bien le dire, le contenu n’y répond guère ; l’auteur est évidemment de ceux qui, concevant l’alchimie comme purement « matérielle », la réduisent tout simplement à n’être qu’une sorte de chimie spéciale ou, si l’on veut, d’« hyperchimie ». La première partie est une sorte de résumé de l’histoire de l’alchimie, interprétée naturellement dans le sens que nous venons d’indiquer ; les deux autres parties, respectivement théorique et pratique, contiennent « un exposé de l’extraction de la semence des métaux et de la préparation d’élixirs médicinaux suivant la pratique de l’Art hermétique et de l’Alkahest des Philosophes », ou, dirions-nous plutôt, suivant l’idée que s’en fait l’auteur. Ce qu’il y a de plus intéressant là-dedans, du moins au point de vue pratique qui seul peut être réellement valable en pareil cas, c’est incontestablement l’application médicale ; le principe n’en est d’ailleurs pas expressément indiqué, mais il est facile de comprendre qu’il s’agit en somme de traiter les maladies de chaque organe par des remèdes tirés du métal dont la correspondance astrologique est la même que celle de cet organe ; cela peut en effet donner des résultats appréciables, et il est évident qu’une telle médication, même si elle ne peut pas être dite proprement alchimique, n’en mériterait pas moins d’être expérimentée sérieusement.

Rider and Co., London.

Ce livre, dont le titre même est une allusion manifeste à l’interprétation du Secret de la Fleur d’Or donnée par C. J. Jung, est un exemple caractéristique de la fâcheuse influence exercée par les conceptions psychanalytiques sur ceux qui veulent s’occuper de symbolisme sans posséder des données traditionnelles suffisantes. Assurément, l’auteur entend bien aller plus loin que les psychanalystes et ne pas se limiter au seul domaine reconnu par ceux-ci ; mais il n’en regarde pas moins Freud et ses disciples, et aussi Frazer d’un autre côté, comme des « autorités incontestées » dans leur ordre, ce qui ne peut que lui fournir un fort mauvais point de départ. Si sa thèse se bornait à envisager deux principes complémentaires, ainsi que leur union et ce qui en résulte, et à chercher à retrouver ces trois termes aux différents « niveaux » qu’il appelle respectivement « physique », « mystique » (?) et « spirituel », il n’y aurait certes rien à redire, puisque cela est effectivement conforme aux enseignements de toute cosmologie traditionnelle ; mais alors il n’y aurait évidemment nul besoin de faire appel à la psychanalyse, ni d’ailleurs à des théories psychologiques quelles qu’elles soient. Seulement, l’influence de celles-ci, et aussi celle du « totem » et du « tabou », apparaissent à chaque instant dans la façon spéciale dont ces questions sont traitées ; l’auteur ne va-t-il pas jusqu’à faire de l’« inconscient » la source de tout symbolisme, et du trop fameux « complexe d’Œdipe » (quels que soient d’ailleurs les efforts qu’il fait pour en « spiritualiser » la signification) le point central de toutes ses explications. Celles qu’il donne au sujet des « héros solaires » et d’autres « mythes » et « légendes », et qui forment la plus grande partie de l’ouvrage, sont d’ailleurs, d’une façon générale, extrêmement confuses, et lui-même ne semble pas toujours très sûr de leur exactitude ; on a l’impression qu’il essaie de procéder par une série d’approximations successives, sans qu’on puisse voir nettement à quoi elles le conduisent ; et les correspondances plutôt embrouillées et souvent douteuses qu’il indique dans divers tableaux (il les appelle assez singulièrement des « équations ») ne sont guère de nature à éclaircir son exposé. Ajoutons encore que, sur les doctrines traditionnelles elles-mêmes, son information, à en juger par la bibliographie placée à la fin du livre, semble être bien restreinte et ne provenir trop souvent que d’écrits fort peu dignes de confiance sous ce rapport ; comme ceux des théosophistes par exemple (la Secret Doctrine, de Mme Blavatsky, et… l’Esoteric Christianity, de Mme Besant), ou encore la Mystical Qabbalah, de Dion Fortune, dont nous avons parlé ici autrefois (no de décembre 1937) ; sa connaissance de la tradition extrême-orientale paraît se réduire à peu près à la Creative Energy, de Mears, qui est une interprétation « christianisée » et passablement fantaisiste du Yi-king ; tout cela est assurément bien insuffisant, mais, au fond, c’est cette insuffisance même qui explique qu’il ait pu se laisser séduire si facilement par la psychanalyse… Nous n’y insisterons pas plus longuement, mais nous noterons pourtant encore que l’étrange idée d’un Antéchrist féminin, qu’il a tirée du Gospel of the Witches de Leland et à laquelle il attribue une certaine importance, car il y revient à plusieurs reprises, ne présente pas de meilleures garanties que le reste au point de vue authentiquement traditionnel !

Éditions Colbert, Paris.

Ce livre, publié après la mort de son auteur, est une étude historique assez superficielle et qui, à vrai dire, n’éclaircit pas beaucoup le « mystère » dont il s’agit. M. Lhermier expose tout d’abord les multiples hypothèses qui ont été émises au sujet des origines du comte de Saint-Germain ; il ne se prononce pour aucune d’elles, mais semble cependant incliner à admettre qu’il pouvait appartenir à la famille des Stuart, ou tout au moins à leur entourage. Une des raisons qu’il en donne repose d’ailleurs sur une confusion assez étonnante : « Saint-Germain était Rose-Croix, écrit-il textuellement, c’est-à-dire qu’il appartenait à la Franc-Maçonnerie de rite écossais, à tendance catholique et stuartiste… ». Faut-il dire que la Maçonnerie « jacobite » n’était nullement le Rite écossais et ne comportait aucun grade de Rose-Croix, et aussi, d’autre part, que ce grade, en dépit de son titre, n’a rien à voir avec le Rosicrucianisme dont Saint-Germain aurait été un des derniers représentants connus ? La plus grande partie du volume est consacrée au récit, entremêlé d’anecdotes diverses, des voyages au cours desquels le héros aurait rempli, pour le compte de Louis XV, des missions secrètes en rapport avec diverses affaires politiques et financières ; dans tout cela encore, il y a bien des points douteux, et ce n’est là, en tout cas, que le côté le plus extérieur de cette existence énigmatique. Signalons que, d’après l’auteur, certains propos extraordinaires tenus par Saint-Germain, notamment au sujet de l’âge qu’il s’attribuait, devraient en réalité être mis sur le compte d’un mystificateur nommé Gauve, qui se faisait passer pour lui, paraît-il, à l’instigation du duc de Choiseul, lequel voulait par là discréditer un homme en qui il voyait un dangereux rival. Nous passerons sur l’identification de Saint-Germain avec quelques autres personnages mystérieux, ainsi que sur bien d’autres choses plus ou moins hypothétiques ; mais nous devons tout au moins faire remarquer qu’il lui est prêté, sur la foi de quelques indices plutôt vagues, une sorte de philosophie « panthéiste » et « matérialiste » qui n’aurait certes rien d’initiatique ! Dans les dernières pages, l’auteur revient sur ce qu’il appelle la « secte des Rose-Croix », d’une façon qui semble quelque peu contradictoire avec l’assertion que nous citions plus haut ; comme il en parle d’ailleurs d’après des « sources » telles que Mme Besant et F. Wittemans, voire même Spencer Lewis, Imperator de l’A. M. O. R. C., sans compter un certain « Fr. Syntheticus, écrivain occultiste dont l’œuvre fait loi » (!), il n’y a certes pas lieu de s’étonner qu’il ait là-dessus des notions prodigieusement confuses, et que, même au simple point de vue historique auquel il veut s’en tenir, ce qu’il en dit n’ait guère de rapport avec la vérité. Cela prouve encore une fois de plus qu’un certain scepticisme n’est pas toujours ce qui garantit le mieux du danger d’accepter sans contrôle les pires rêveries ; quelques connaissances traditionnelles, fussent-elles d’un ordre élémentaire, seraient assurément beaucoup plus efficaces à cet égard.

Derain et Raclet, Lyon.

Cette bibliographie (dont l’auteur nous paraît avoir une très étroite parenté avec M. Gérard van Rijnberk, dont nous avons examiné en son temps l’ouvrage sur Martines de Pasqually(*)) comprend sous la dénomination commune de « Martinisme », suivant l’habitude qui s’est établie surtout du fait des occultistes contemporains et de leur ignorance de l’histoire maçonnique du xviiie siècle, plusieurs choses tout à fait différentes en réalité : l’Ordre des Élus Coëns de Martines de Pasqually, le Régime Écossais Rectifié avec J.-B. Willermoz, le mysticisme de L.-Cl. de Saint-Martin, et enfin le Martinisme proprement dit, c’est-à-dire l’organisation récente fondée par Papus. Nous pensons qu’il aurait été préférable de la diviser en sections correspondant à ces différents sujets, plutôt qu’en « ouvrages consacrés spécialement au Martinisme » et « ouvrages dans lesquels il est traité du Martinisme incidemment », ce qui aurait pu être plutôt une simple subdivision de chacune de ces sections ; quant aux « sources doctrinales » qui sont ici mentionnées à part, ce sont uniquement les écrits de Martines de Pasqually et de L.-Cl. de Saint-Martin, et, en fait, il ne pouvait guère y en avoir d’autres. Il aurait été bon aussi de marquer d’une façon quelconque, surtout pour les ouvrages récents, une distinction entre ceux qui ont un caractère soit martiniste, soit maçonnique, ceux qui sont au contraire écrits dans un esprit d’hostilité (ce sont surtout des ouvrages antimaçonniques), et ceux qui se placent à un point de vue « neutre » et purement historique ; le lecteur aurait pu ainsi s’y reconnaître beaucoup plus aisément. La liste nous paraît en somme assez complète, bien que le Discours d’initiation de Stanislas de Guaita, qui eût mérité d’y trouver place, en soit absent ; mais nous ne voyons vraiment pas très bien quel intérêt il y avait à y faire figurer cette invraisemblable mystification qui s’appelle Le Diable au xixe siècle (sans mentionner d’ailleurs la brochure intitulée Le Diable et l’Occultisme que Papus écrivit pour y répondre), d’autant plus que, par contre, on a négligé de citer le Lucifer démasqué de Jean Kostka (Jules Doinel), où le Martinisme est pourtant visé beaucoup plus directement.