Juin 1947

Chacornac Frères, Paris.

Ce nouveau livre de notre Directeur représente le résultat de longues et patientes recherches poursuivies pendant bien des années ; on s’étonne en voyant quelle prodigieuse quantité d’ouvrages et de documents de toute sorte il a fallu consulter pour arriver à contrôler soigneusement chaque renseignement et l’on ne saurait trop rendre hommage à la scrupuleuse probité d’un tel travail. Si tous les points ne sont pas entièrement éclaircis, ce qui était sans doute impossible, il en est du moins un bon nombre qui le sont, et d’une façon qui semble bien définitive. Pour cela, il a fallu avant tout dissiper les confusions qui ont été commises avec divers autres personnages, notamment avec le lieutenant-général Claude-Louis de Saint-Germain ; celle-là est une des plus fréquentes, mais, en dépit de la similitude de nom et de titre par laquelle elle s’explique, ce n’est pas la moins étonnante, car il s’agit là d’un homme ayant joué un rôle historique parfaitement connu et dans lequel il n’y a rien d’obscur ni de mystérieux. Il y a aussi le prince Rákóczi, dont certains à notre époque ont tiré un grand parti, mais dont l’histoire prétendue n’est qu’un tissu d’invraisemblances ; le plus probable est que ce nom a simplement servi, dans certaines circonstances, à dissimuler la véritable origine du comte de Saint-Germain. Il y a encore un certain nombre d’autres personnages réels ou supposés, et dont une partie ne doivent un semblant d’existence qu’aux fantaisies imaginatives auxquelles ont donné lieu les noms pris par le comte de Saint-Germain lui-même à diverses époques et en différents pays. Le terrain étant ainsi déblayé, il devient beaucoup plus facile de suivre le héros depuis sa première apparition connue à Londres en 1745 jusqu’à sa mort « officielle » chez le prince de Hesse en 1784 ; et, quand il a été fait bonne justice des racontars de Casanova et d’autres « mémorialistes » aussi peu dignes de foi, des mystifications de l’illusionniste Gauve et de quelques autres histoires encore qui furent imputées faussement au comte de Saint-Germain, comme le rôle que certains lui ont attribué dans la révolution russe de 1762, ce qui du reste n’a certes guère de ressemblance avec l’« aventurier » et le « charlatan » que tant de gens ont dépeint, on voit là, en réalité, un homme doué de talents remarquables en divers genres, possédant sur beaucoup de choses des connaissances peu communes, de quelque source qu’il les ait tirées, et qui, s’il eut des amis et des admirateurs partout où il passa, eut aussi, comme il arrive bien souvent en pareil cas, des ennemis acharnés à faire échouer ses entreprises, qu’il s’agisse de sa mission diplomatique en Hollande ou de l’industrie qu’il voulut plus tard monter en Flandre sous le nom de M. de Surmont… Mais, à côté de cette vie proprement « historique », ou à sa suite, il y a aussi la « légende », qui n’a pas cessé de se développer jusqu’à nos jours, surtout en ce qui concerne la « survivance » du comte de Saint-Germain et les manifestations qui lui ont été attribuées après la date de ce que, pour cette raison précisément, nous avons appelé tout à l’heure sa mort « officielle ». Il y a sûrement là-dedans bien des extravagances, dont les moindres ne sont pas celles que les théosophistes, prenant à leur compte l’identification avec le prince Rákóczi, ont répandues au sujet de leur « Maître R. » ; mais il est aussi d’autres choses qu’il semble plus difficile de rejeter purement et simplement, et dont, même si elles ont été déformées ou mal interprétées, on peut se demander si elles ne renferment pas tout au moins une certaine part de vérité. Il subsiste donc là une énigme, et même, à vrai dire, il y en a encore une autre, celle-là d’ordre purement historique, car, jusqu’ici, le mystère de la naissance du comte de Saint-Germain n’a pas été éclairci ; sur ce dernier point, l’auteur envisage une solution qu’il ne présente que comme une hypothèse, mais qui est en tout cas rendue fort vraisemblable par tout un ensemble de rapprochements assez frappants. D’après cette hypothèse, le comte de Saint-Germain aurait été le fils naturel de Marie-Anne de Neubourg, veuve du roi Charles II d’Espagne, et du comte de Melgar, amirante de Castille, que son immense fortune avait fait surnommer « le banquier de Madrid », ce qui a pu donner lieu à la confusion qui a fait prétendre à certains qu’il était le fils d’un banquier juif. Si cette supposition est exacte, bien des choses s’expliquent sans peine, notamment les ressources considérables dont disposait manifestement le comte de Saint-Germain, les pierreries et les tableaux de maîtres dont il était possesseur, et aussi, ce qui est encore plus important, la confiance que lui témoignèrent toujours les souverains et les grands personnages qui, de Louis XV au prince de Hesse, durent avoir connaissance de cette origine par laquelle il leur était apparenté, mais qui, constituant en quelque sorte un « secret d’État », devait être soigneusement dissimulée à tout autre qu’eux. Quant à l’autre énigme, celle de la « légende », elle est expliquée autant qu’il est possible et interprétée à la lumière des doctrines traditionnelles dans le chapitre final ; comme celui-ci a paru tout d’abord ici même (no de décembre 1945), nous nous contenterons d’en rappeler le grand intérêt sans y insister davantage. Nous pensons que, à moins qu’on ne veuille s’en tenir encore aux rêveries dont on n’a que trop abusé jusqu’ici dans certains milieux, il ne sera plus possible désormais de parler du comte de Saint-Germain sans se reporter à cet ouvrage, pour lequel nous adressons à son auteur nos vives félicitations.

« La Colombe », Paris.

Il vient de paraître de ce livre une nouvelle édition revue, à laquelle ont été ajoutées d’assez nombreuses notes précisant certains points et indiquant les travaux qui, consacrés à des questions connexes, ont paru depuis sa première publication. Pour ceux de nos lecteurs qui ne connaîtraient pas encore cet ouvrage, nous dirons qu’il expose d’une façon aussi complète que possible la carrière maçonnique de Joseph de Maistre, ses rapports avec les organisations initiatiques rattachées à la Maçonnerie de son temps et avec divers personnages appartenant à ces organisations, et l’influence considérable que leurs doctrines exercèrent sur sa pensée. Le tout est fort intéressant, et d’autant plus que les idées religieuses et sociales de Joseph de Maistre ont été le plus souvent fort mal comprises, voire même parfois entièrement dénaturées et interprétées dans un sens qui ne correspondait nullement à ses véritables intentions ; la connaissance des influences dont il s’agit pouvait seule permettre la mise au point nécessaire. La principale critique que nous aurions à formuler est en somme celle qui porterait sur le titre même du livre, car, à vrai dire, nous ne voyons rien de « mystique » dans tout cela, et, même lorsque Joseph de Maistre se tint à l’écart de toute activité d’ordre initiatique, il n’apparaît pas qu’il se soit jamais tourné pour cela vers le mysticisme comme d’autres le firent quelquefois ; il ne semble même pas qu’il y ait eu là chez lui un changement réel d’orientation, mais une simple attitude de réserve qu’il estimait, à tort ou à raison, lui être imposée par ses fonctions diplomatiques ; mais peut-on espérer que, dans l’esprit de certains, la confusion des deux domaines initiatique et mystique puisse jamais être entièrement dissipée ?

Introduction de Philippe Lavastine (Éditions du Griffon d’Or, Rochefort-sur-Mer).

Cette réédition est certainement plus soignée que l’édition « martiniste » de 1900, mais il y est pourtant resté encore bien des fautes qu’il eût été, semble-t-il, assez facile de faire disparaître. L’auteur de l’introduction y a résumé en quelques pages les principaux traits de la doctrine de Saint-Martin ; mais ne cherche-t-il pas un peu trop à atténuer la différence entre les deux périodes de son existence, nous voulons dire entre son activité initiatique du début et son mysticisme ultérieur ?

Paul Derain, Lyon.

L’idée qui est au point de départ de ce livre est excellente, puisqu’il s’agit d’établir la valeur symbolique des caractères de l’écriture, ainsi que leur origine « préhistorique », conformément aux anciennes traditions de tous les peuples. Malheureusement, la façon dont l’auteur a traité ces questions et les résultats auxquels il croit être parvenu dans ses recherches sont bien loin de répondre réellement à ses intentions ; et, tout d’abord, il y aurait déjà des réserves à faire sur la concordance qu’il envisage entre les données traditionnelles sur les périodes cycliques et la chronologie hypothétique des géologues modernes. Ensuite, probablement du fait de certaines circonstances particulières où il s’est trouvé, il paraît avoir été en quelque sorte fasciné par les « tifinars », c’est-à-dire l’ancienne écriture berbère, ainsi que par la langue « tamachèque » que les Touaregs parlent encore actuellement, au point de vouloir en tirer un schéma qu’il s’efforce d’appliquer à tout. Ce schéma, appelé par lui « couronne de tifinars », convient peut-être au cas spécial de l’alphabet en question ; mais, comme les lettres de cet alphabet sont au nombre de dix, il cherche à découvrir partout des ensembles de dix principes qu’il puisse faire correspondre à ces lettres en les disposant de la même façon : dans la Kabbale avec les dix Sephiroth, dans les Triades bardiques, dans la mythologie scandinave avec le « cycle des Ases », dans l’hermétisme, dans la philosophie d’Aristote avec ses dix catégories, et jusque dans les théories de la physique moderne ! Le moins qu’on puisse dire de ces arrangements est qu’ils sont tout à fait artificiels et souvent bien « forcés » ; et il y a aussi là, sur les doctrines de l’Inde et de la Chine, quelques considérations dans lesquelles il est impossible d’apercevoir le moindre rapport avec ce qu’elles sont en réalité… Les correspondances planétaires et zodiacales des lettres hébraïques, d’ailleurs bien connues, sont presque la seule chose qui soit ici conforme à une donnée authentiquement traditionnelle, mais précisément elles ne reproduisent plus la « couronne de tifinars » ; quant à celles des runes scandinaves, si elles sont vraiment exactes, comment se fait-il qu’il reste trois planètes auxquelles ne correspond aucun caractère ? Nous ne voulons pas insister davantage sur tout cela ; mais que dire aussi du soi-disant « lexique tamachèque » placé à la fin de l’ouvrage, et où sont rassemblés des mots appartenant aux langues les plus diverses, qui n’ont certainement rien à voir avec le « tamachèque », et dont l’interprétation témoigne plus en faveur de l’imagination de l’auteur que de ses connaissances linguistiques ?

Éditions Bière, Bordeaux.

Certains avaient déjà voulu rattacher le Christianisme au Mazdéisme et même au Bouddhisme, et cela pour nier la filiation traditionnelle, pourtant évidente, qui le relie au Judaïsme ; voici maintenant une nouvelle théorie qui, avec les mêmes intentions, prétend le rattacher directement à l’Hellénisme. C’est dans celui-ci qu’il aurait eu réellement sa « source », et le Judaïsme ne serait intervenu qu’après coup pour en altérer le caractère primitif, en y introduisant certaines idées parmi lesquelles celle du « géocentrisme » paraît, nous ne savons trop pourquoi, prendre ici une importance toute particulière. Les raisons invoquées à l’appui de cette thèse sont assez nombreuses, mais elles n’en sont pas plus probantes pour cela, sauf peut-être aux yeux de ceux qui préfèrent la quantité à la qualité ; nous n’entreprendrons certes pas de les examiner une à une, mais nous devons tout au moins remarquer que l’auteur traite d’« interpolations » tout ce qui y est contraire dans les Évangiles, ce qui est toujours un moyen fort commode pour se débarrasser des textes gênants, et aussi que les fantaisies linguistiques qui lui sont coutumières jouent encore un certain rôle là-dedans. À ce dernier point de vue, nous signalerons plus spécialement certaines considérations sur le nom d’Hélène, qui voudrait dire « le neuf sacré », un rapprochement entre le Johannisme et l’école ionienne, une prétendue étymologie grecque du nom de Jérusalem, destinée à soutenir l’assertion que le Judaïsme lui-même aurait fait des emprunts à l’Hellénisme, et enfin l’idée au moins curieuse de faire du grec la « langue sacrée » par excellence ! Ajoutons encore, pour terminer, que nous retrouvons dans ce livre la légende faisant remonter aux premiers temps du Christianisme la médaille dite « de Boyer d’Agen », qui ne date manifestement que de la Renaissance ; il serait bien temps d’en finir une fois pour toutes avec cette histoire, d’autant plus que les fins pour lesquelles elle fut répandue jadis dans le public ne semblent pas avoir été entièrement désintéressées.

Éditions Bière, Bordeaux.

Ce livre, destiné à faire suite au précédent, porte, ainsi que l’auteur le reconnaît d’ailleurs lui-même, un titre emprunté à Gougenot des Mousseaux, mais son contenu n’a rien de commun avec l’ouvrage que celui-ci consacra au culte des pierres. Nous retrouvons, dans beaucoup de ses chapitres, des choses que nous avons déjà vues autrefois dans des articles d’Atlantis et dont nous avons parlé en leur temps, ce qui nous dispensera d’y revenir en détail ; il n’y a même pas beaucoup de fantaisies nouvelles, mais plutôt des répétitions de celles que nous connaissons, si bien qu’il semblerait que l’imagination si fertile de l’auteur commence à s’épuiser quelque peu, ce qui serait vraiment dommage… Il envisage une « hiérarchie des Dieux », à la tête de laquelle est le « Dieu suprême » ; au-dessous de celui-ci sont ce qu’il appelle les « Dieux solaires » ; dont le principal est pour lui le « Démiurge », et c’est un des aspects de celui-ci, le « Médiateur », qui se serait incarné dans le Christ ; il y a aussi des « Dieux plurisolaires », des « Dieux planétaires », des « Génies protecteurs », et peut-être d’autres catégories encore. Au fond, c’est là renouveler tout simplement l’erreur qui consiste à prendre, littéralement et non symboliquement, les aspects ou les attributs divins pour des êtres distincts et même plus ou moins indépendants, erreur qui est celle-là même qui a donné naissance à toutes les déviations « polythéistes » partout où il s’en est produit ; et, à vrai dire, cela n’est pas pour nous surprendre outre mesure de la part d’un tel admirateur de l’Hellénisme. Ce qui est plus étonnant, c’est qu’il puisse croire cette conception conforme au Christianisme ; il est vrai qu’il a sur celui-ci des idées bien spéciales, et aussi que, dans sa pensée, il s’agit probablement surtout de ce que devra être « la future forme religieuse chrétienne de l’Ère du Verseau », sur laquelle on peut assurément se permettre toutes les rêveries qu’on voudra !

Paul Derain, Lyon.

C’est un livre assez singulier, qui donne une impression plutôt confuse et désordonnée, mais qui ne justifie guère son titre, car il y est surtout question de choses appartenant à un ordre tout à fait « formel ». Il y a notamment beaucoup de considérations sur la chimie, qui sont manifestement en rapport avec les préoccupations professionnelles de l’auteur ; il y a même une longue dissertation sur le « lait maternel », qui ferait peut-être un bon article dans une revue spéciale de médecine ou d’hygiène, mais qui n’est vraiment pas à sa place dans un ouvrage qui a par ailleurs la prétention de toucher à l’ésotérisme et aux idées traditionnelles. Il y touche en effet, dans une certaine mesure, par des vues sur les nombres qui ne sont pas sans intérêt, mais qui sont malheureusement exprimées d’une façon fort peu claire ; les informations qui y ont été utilisées sont d’ailleurs loin d’être toutes également sûres. Il y a aussi des pages qui présentent une disposition typographique des plus bizarres, et dont certaines ne contiennent que quelques mots qui, pour nous tout au moins, sont parfaitement incompréhensibles. Quant au récit que fait l’auteur, dans son préambule, au sujet d’une « révélation » qu’il aurait eue dans une sorte d’« état second », et d’après laquelle l’Univers serait entré le 1er décembre 1944 dans une période de « résorption », nous voulons croire qu’il ne s’agit là que d’une simple fiction littéraire, car, s’il en était autrement, ce serait plutôt inquiétant…