Octobre-novembre 1950

R. Julliard, Paris.

L’auteur, au lieu de réserver, comme il se devrait, le nom d’« occultisme » aux conceptions spécifiquement modernes pour lesquelles il a été inventé, l’étend indûment, sur la foi de quelques similitudes apparentes, aux choses les plus différentes et même les plus contraires en réalité. Il confond ainsi sous un même vocable les diverses formes de l’ésotérisme traditionnel authentique et leurs déviations et contrefaçons multiples, citant les unes et les autres indistinctement et en mettant le tout sur le même plan, sans parler des sciences dites « occultes », des arts divinatoires et autres choses de ce genre. On peut facilement imaginer toutes les contradictions et les équivoques qui résultent d’un pareil mélange, dans lequel le meilleur et le pire sont inextricablement confondus ; l’auteur ne paraît même pas s’apercevoir qu’il lui arrive de citer avec approbation des écrits qui sont en opposition formelle avec ses propres thèses : ainsi, il va jusqu’à nous mentionner en nous appliquant le qualificatif d’« occultiste », ce qui est vraiment un comble ! Comme si ce défaut n’était pas suffisant, il y a aussi, dans la façon dont toutes ces choses sont envisagées, une grave erreur de point de vue, car elles sont présentées comme constituant tout simplement une « philosophie » ; or, s’il s’agit de doctrines traditionnelles, elles sont évidemment d’un tout autre ordre, et, s’il ne s’agit que de leurs contrefaçons, elles sont tout de même aussi autre chose, qui en tout cas ne saurait rentrer dans les cadres de la pensée philosophique. Nous avouons ne pas avoir très bien compris ce qu’on veut entendre par un « monde vivant », à moins que ce ne soit une façon de distinguer la conception qu’on expose de celle qui se dégage de la science ordinaire et qui serait sans doute considérée alors comme celle d’un « monde mort » ; nous nous souvenons, en effet, d’avoir entendu jadis un semblable langage chez certains occultistes ; mais que peuvent bien signifier des expressions comme celles, qui reviennent fréquemment aussi, de « monde occultiste » et même de « phénomènes occultistes » ? Ce n’est pas à dire qu’il ne se trouve pas parmi tout cela quelques vues intéressantes sur des points de détail ; mais l’ensemble, disons-le nettement, est un véritable chaos, et nous plaignons les malheureux lecteurs qui ne disposeront pas, sur toutes les questions qui y sont abordées, d’autres sources d’information mieux « clarifiées » et plus dignes de confiance ; un tel livre ne peut assurément que contribuer pour sa part à augmenter le désordre intellectuel de notre époque, dont il est lui-même un excellent exemple.

R. Julliard, Paris.

La particularité la plus frappante, à première vue, de ce recueil consacré à l’« occultisme », c’est qu’il n’y figure pas un seul nom d’écrivain occultiste (à moins que Péladan ne soit considéré comme tel, ce qui peut être vrai jusqu’à un certain point) ; l’explication de ce fait bizarre réside en partie dans la confusion que nous avons relevée dans le précédent ouvrage et qui s’exprime de nouveau dans l’introduction de celui-ci. Cependant, nous disons en partie seulement, car il y a encore autre chose ; c’est que les auteurs ont voulu faire une anthologie « littéraire » ; suivant leur façon de voir, cela veut dire que, pour qu’un texte ait droit à y être reproduit, il faut que sa forme d’expression soit « belle » ; il semble donc que, parmi les occultistes au sens propre de ce mot, ils n’en aient pas trouvé qui satisfassent à ce critérium. À vrai dire, nous ne voyons pas trop quelle sorte de « beauté » il peut y avoir dans certains des morceaux cités, comme par exemple la description plutôt répugnante que Huysmans a faite d’une messe noire (d’après les informations fournies, comme on le sait, par le trop fameux abbé Boullan), ou, à un autre point de vue, l’exposé des détails d’une organisation administrative, fût-elle imaginaire, comme celle de la « Ville des Expiations » de Ballanche ; mais évidemment, comme tout ce qui relève de la « littérature », ce n’est là qu’une affaire de goût individuel et d’appréciation « subjective » ; quant à la prétention de traiter « littérairement » les écrivains de l’antiquité et du moyen âge, il y faut voir naturellement un des effets habituels de l’optique déformante de l’« esthétisme » moderne. Il y a aussi un second critérium qui est, assure-t-on, la « conformité traditionnelle » ; sur ce point, nous nous permettons de douter fortement de la compétence des auteurs, et nous nous demandons surtout ce qu’il en adviendra dans l’anthologie « philosophique » qu’ils annoncent. Quoi qu’il en soit, les textes eux-mêmes gardent du moins toujours leur valeur propre, quelques réserves qu’il y ait lieu de faire sur l’esprit qui a présidé à leur groupement : l’assemblage est d’ailleurs assez curieux à certains égards, et il est vraiment significatif qu’un recueil qui débute par Hésiode, Pythagore et Platon en arrive à se terminer par André Breton !