Novembre 1928

L’auteur, dans un avertissement préliminaire, prie les théologiens de ne pas ouvrir son livre et il a bien raison, car la conception qu’il se fait de la religion n’a assurément rien à voir avec la théologie. Les objections adressées au christianisme par la « pensée moderne », et les réponses qu’il y apporte, témoignent pareillement du désarroi mental de notre époque, et c’est à ce titre qu’un ouvrage comme celui-là présente pour nous quelque intérêt. Cette religion « humanisée », réduite à de simples préoccupations morales et sociales, dépouillée de tout contenu doctrinal et de toute intellectualité, est-ce vraiment encore une religion ? Le nom de « religiosité » ne conviendrait-il pas beaucoup mieux à un tel ensemble de vagues aspirations sentimentales, qu’une étrange illusion fait prendre pour de la « spiritualité » ? Peut-être est-ce là tout ce que peut admettre, en fait de religion, un esprit pénétré de tous les préjugés contemporains, depuis la croyance au progrès jusqu’à la confusion de l’intelligence avec la raison discursive. En tout cas, ce christianisme soi-disant « évangélique », dont il n’est même pas bien sûr qu’il reconnaisse la divinité du Christ, ressemble fort à certaines formes de « protestantisme libéral ». Qu’on se sent à l’étroit dans ces conceptions rapetissées, qui se targuent pourtant de « largeur d’esprit » et se croient bien supérieures aux « traditions immuables » !

Dans ce livre, nous voyons l’évolutionnisme bergsonien se solidariser aussi nettement que possible avec le « transformisme », et cela au moment où, de l’aveu même de l’auteur, celui-ci a déjà perdu beaucoup de terrain. Nous y retrouvons aussi, exprimées peut-être plus franchement encore que chez M. Bergson, des affirmations comme celles du « changement pur, se suffisant à lui-même », et de la « substantialité intrinsèque du devenir ». La place nous manque évidemment ici pour discuter ces conceptions, mais nous pouvons tout au moins faire à ce sujet les deux remarques suivantes : d’abord, ces philosophes triomphent un peu trop facilement parce qu’ils ne trouvent l’immuable nulle part dans le domaine « physique », c’est-à-dire là où en effet il ne peut pas être ; ensuite, il est vraiment étrange qu’ils s’imaginent faire de la « métaphysique », alors que tout ce qu’ils affirment équivaut précisément à la négation même de la métaphysique. En outre, une constatation s’impose : c’est que ceux qui ont pu croire que le bergsonisme s’opposait en quelque façon au « scientisme » devront renoncer à cette illusion ; ici, il rejoint au contraire le « scientisme » sous sa forme la plus naïve, celle qui prend les hypothèses pour des « faits ». Tout cela vieillira terriblement vite, si même ce n’est pas déjà quelque peu « démodé » ; nous pouvons bien employer ce mot, car, au fond, le succès des théories de ce genre n’est qu’affaire de mode et rien de plus.