Décembre 1929
- Georges Lanoë-Villène. — Le Livre des
Symboles, dictionnaire de symbolique et de mythologie (Lettre C).
Nous avons déjà parlé ici (avril 1928) des deux premiers volumes de cet important ouvrage ; nous pourrions, à propos du troisième, répéter les mêmes éloges, quant à l’abondance et à la variété de la documentation, et aussi les mêmes réserves, quant au caractère un peu fantaisiste de certaines interprétations et à l’insuffisance de certaines autres. Ainsi, dans le chapitre consacré au caducée, nous ne trouvons indiquée ni la véritable signification du serpent ni celle du bâton, ce qui aurait été tout à fait essentiel, alors qu’il y a par contre une foule de renseignements qui ne se rattachent qu’assez indirectement au sujet ; ailleurs, l’auteur fait preuve de la plus complète incompréhension à l’égard de l’Apocalypse, dans laquelle il veut voir simplement un « livre de controverse », ce qui est fort étonnant de la part d’un symboliste ; et il y a bien d’autres lacunes du même genre. Heureusement, redisons-le encore, cela n’enlève rien à la valeur documentaire de ce travail, dans lequel sont rassemblées des informations qu’on aurait souvent bien de la peine à découvrir ailleurs, et qui, à ce titre, rendra de grands services à ceux qui s’intéressent aux questions dont il traite ; il est seulement à regretter que la publication s’en poursuive si lentement.
- Édouard Le Roy. — Les Origines humaines
et l’évolution de l’intelligence.
Ce recueil de leçons professées au Collège de France par le successeur de M. Bergson est, comme le précédent dont nous avons rendu compte ici (novembre 1928), consacré entièrement à l’exposition et à la défense d’une théorie transformiste, appliquée cette fois plus spécialement à l’espèce humaine. Les observations que nous avons formulées, notamment en ce qui concerne la confusion d’une hypothèse avec un fait, s’appliquent donc encore ; et, même si nous disposions de la place suffisante pour discuter ces choses en détail, nous ne nous en sentirions guère le courage : tout cela date terriblement ! Il est assez amusant, mais peut-être aussi un peu triste, de constater que le transformisme se trouve avoir pour derniers défenseurs deux catholiques : M. Le Roy et le P. Teilhard de Chardin, dont la collaboration semble si étroite qu’on pourrait vraiment dire qu’ils pensent en commun… Ajoutons seulement que le langage de M. Le Roy est parfois bien extraordinaire : ainsi, un chapitre est intitulé « La noosphère et l’hominisation » ; ailleurs, il est dit que « le pré-homme avait un comportement arborial », ce qui veut dire tout simplement qu’il vivait sur les arbres ; quel besoin y a-t-il d’employer un pareil jargon ?
- S. Radhakrishna. — L’Hindouïsme et la Vie.
Traduit par P. Masson-Oursel.
L’Orient qu’on présente aux Occidentaux n’a souvent que de bien lointains rapports avec le véritable Orient, et cela même quand la présentation est faite par des gens qui sont cependant des Orientaux de naissance, mais plus ou moins complètement occidentalisés. Tel est le cas de ce petit livre ; les opinions « critiques » des érudits européens, et aussi les tendances du protestantisme anglo-saxon, avec son « moralisme » et son « expérience religieuse », tiennent assurément une bien plus grande place que l’hindouïsme orthodoxe dans les idées de l’auteur, qui ne paraît guère savoir ce qu’est l’esprit traditionnel ; et cela n’est pas pour surprendre quiconque connaît le mouvement « réformiste » des « Serviteurs de l’Inde » auquel il est mêlé. Ce qui est particulièrement fâcheux, c’est que le fait qu’un ouvrage comme celui-là est signé d’un nom hindou risque fort d’induire en erreur le public non averti et peut contribuer à lui inculquer toutes sortes de fausses conceptions. La meilleure partie, ou plutôt la moins mauvaise, est celle qui, vers la fin, traite de l’institution des castes ; encore les raisons profondes de celle-ci sont-elles loin de s’en dégager nettement. La traduction est parfois bien défectueuse : ainsi, p. 34, on ne dit pas en français les « tenanciers », mais les « tenants » d’une opinion ; p. 40, le mot anglais « immaterial » ne devait pas se traduire par « immatérielles », mais par « sans importance », ce qui n’est pas du tout la même chose ; p. 47, on ne « joint » pas un argument, on le « réfute » ; p. 65, les mots « intransigeance » et « privation » sont employés d’une façon qui est tout à fait inintelligible ; p. 93, « occupationnelles » est un pur barbarisme, etc.
- François Arouet. — La fin d’une parade
philosophique : le Bergsonisme.
Si peu solide que soit la philosophie bergsonienne, nous ne pensons pas qu’on puisse en venir à bout par des plaisanteries douteuses, ou en lui opposant des conceptions encore plus vides et plus nébuleuses qu’elle-même. L’auteur de cette brochure, qui a trouvé bon de prendre pour pseudonyme le nom authentique de Voltaire, semble avoir des idées si confuses que nous n’avons pas pu savoir ce qu’il entendait par « concret » et par « abstrait », bien que ces mots reviennent à chaque instant sous sa plume. Au fond, les vraies raisons de la haine (le mot n’est pas trop fort) qu’il a vouée à M. Bergson sont beaucoup plus politiques qu’intellectuelles, comme on s’en rend compte à la fin de sa diatribe : ce qu’il lui reproche en définitive, c’est d’être un « philosophe bourgeois » et d’avoir joué pendant la guerre le rôle d’« un pantin dont l’État-Major tirait les ficelles » ; tout cela est bien peu intéressant.