Juillet-août 1919

Vol. XVIII, 1917-1918. Londres, Williams and Norgate, 1918 ; vol. In-8o, 655 pages.

La grande difficulté, pour résoudre la question qui est abordée ici, provient de l’impossibilité de concevoir un enchaînement causal entre les phénomènes psychiques et les phénomènes physiques ; c’est pour y échapper que certains se sont réfugiés dans des théories « parallélistes ». Cependant, l’action réciproque de l’esprit et du corps est, non pas une vue théorique, mais un fait qu’il s’agit d’expliquer. Les deux éléments en présence sont hétérogènes, mais néanmoins solidaires ; seulement, cette relation de solidarité doit être conçue comme différente à la fois de la causalité et du parallélisme. La causalité impliquerait une série unique dans laquelle devraient entrer à la fois les événements mentaux et corporels ; le parallélisme, de son côté, impliquerait deux séries complètement indépendantes, bien que se correspondant point par point. La solidarité est la coopération de deux systèmes distincts, dont chacun est une organisation individuelle ayant sa nature propre ; il y a adaptation continuelle de l’esprit et du corps, mais de telle façon que c’est la totalité du système mental qui agit sur la totalité du système corporel ou inversement, et non une partie de l’un sur une partie de l’autre. Les principes des deux organisations sont antithétiques, parce que la vie est à la fois activité et durée : le corps est la réalisation concrète de l’activité, l’esprit celle de la durée ; l’opposition qu’ils représentent est, à un autre point de vue, celle de la nécessité et de la liberté. L’action réciproque de l’esprit et du corps n’est pas l’unification d’une diversité originelle : elle exprime, au contraire, une différenciation « dichotomique », inhérente et nécessaire au processus de réalisation de l’action vitale.

La théorie esquissée dans cette étude soulève assurément plus d’une difficulté ; elle suppose notamment une conception de la « structure mentale » et une définition de la vie qu’il est permis de trouver discutables. Cependant, telle qu’elle est, elle nous apparaît comme bien préférable au parallélisme, ne serait-ce qu’en ceci, qu’elle envisage le composé humain comme composé, au lieu de le séparer en deux parties entre lesquelles il ne peut y avoir aucun rapport véritable, comme on en a pris la fâcheuse habitude depuis Descartes ; et c’est la, à notre avis, un immense avantage.

Si l’on examine nos moyens de connaissance, il faut établir une distinction entre l’expérience directe et la pensée qui nous fournit une connaissance supplémentaire à propos de cette expérience. Cette pensée, faculté de concevoir et de raisonner, n’est, d’après M. Bergson, qu’un « pis-aller », imposé par les limitations de notre faculté de percevoir. En parlant ainsi, M. Bergson montre qu’il se préoccupe uniquement de l’« existence » et des moyens d’en accroître la connaissance : c’est là, pour lui, le problème que doit se proposer la philosophie, à l’exclusion de tout ce qui est pensée pure et science pure. Le travail de la pensée, qui s’efforce toujours de passer de l’expérience particulière à la loi générale, se ferait aux dépens de l’expérience elle-même, qu’il aurait pour effet de fragmenter et de déformer. L’expérience, au lieu de s’étendre, se limiterait en s’intellectualisant : nous n’y garderions que ce qui intéresse notre action sur les choses, et nous négligerions tout le reste ; et la même action limitative s’appliquerait à la mémoire aussi bien qu’à la perception présente. Ce que M. Bergson reproche à notre expérience « classifiée », ce n’est pas sa différence de contenu avec l’expérience primitive, car l’adjonction de la mémoire n’a pu que l’enrichir ; c’est sa différence de forme, sa division en choses distinctes, possédant en commun certaines qualités. La nouvelle méthode de la philosophie doit donc consister à revenir à la perception elle-même, et cela par l’intuition, qui n’est pas une faculté spéciale, mais bien l’acte mental qui combine le passé et le présent pour former l’expérience. C’est sur cette intuition que repose originairement, d’ailleurs, non seulement notre expérience, mais aussi toute notre connaissance à propos de celle-ci. Cette connaissance, avec le processus d’abstraction qu’elle implique, réagit ensuite sur notre expérience au point de ne plus nous laisser apercevoir la réalité qu’à travers des symboles, de sorte que nous imposons à l’expérience elle-même la forme qui n’appartient qu’aux symboles employés par la pensée. Ce que demande M. Bergson, c’est donc que l’expérience qui doit servir de point de départ à la philosophie soit aussi pleine et aussi immédiate que l’expérience peut l’être.

Il y a là un effort intéressant pour éclaircir et préciser le sens de l’intuition bergsonienne et la façon dont il faut envisager ses rapports avec la pensée ou l’intelligence. Seulement, avec une philosophie de la nature de celle dont il s’agit, n’y a-t-il pas toujours lieu de craindre que, plus on essaie de la préciser, plus on risque de la déformer en l’intellectualisant ?

Il y a lieu de distinguer, dans le développement psychologique de la critique, plusieurs degrés successifs, qui sont la simple appréciation, la critique conventionnelle et la critique rationnelle. L’influence du sentiment est prédominante au début, mais l’analyse et la réflexion permettent ensuite d’établir des lois générales et des principes directeurs qui conduisent à la critique rationnelle, affranchie de la détermination immédiate par le sentiment. Il faut encore envisager un autre type de critique, qu’on peut appeler intuitif, et dans lequel le jugement apparaît comme le résultat d’un certain caractère de l’objet qui échappe à l’analyse, ainsi que de la relation qui existe entre l’objet et la personne qui émet à son égard le jugement appréciatif.

C’est la discussion d’une contradiction, au moins apparente, relevée dans l’ouvrage de M. Bradley intitulé Appearance and Reality, où il est dit, d’une part, que le temps est une apparence, qu’il « n’a pas de réalité » ou « n’appartient pas à la réalité », et, d’autre part, que les apparences, comme telles, « sont des faits », qu’elles « sont » ou « existent ». Faut-il, pour résoudre cette contradiction, admettre une distinction entre « existence » et « réalité », et, dans ce cas, en quel sens devra-t-on entendre la « réalité » ? Si M. Bradley l’entend dans le sens habituel, il ne peut échapper à la contradiction ; mais, s’il ne s’en est pas aperçu, cela tient sans doute à ce que, pour lui, le fait de penser à une chose suffit pour que cette chose existe, sans cependant qu’on puisse la déclarer réelle par là même. M. Moore n’est pas de cet avis, bien qu’il avoue ne pas se rendre compte clairement de ce que peut être la pensée d’une chose inexistante : d’un autre côté, il essaie de montrer que la réalité, au sens ordinaire, ne constitue pas une conception à proprement parler. Une discussion comme celle-là prouverait une fois de plus, s’il en était encore besoin, que les philosophes auraient le plus grand avantage à préciser avant tout la signification qu’ils entendent attribuer aux termes qu’ils emploient.

La question traitée dans cette étude relève de ce que Kant appelle « logique transcendantale » ; elle concerne donc les fondements des sciences. Kant a employé l’expression mathesis intensorum pour désigner un certain genre de connaissance synthétique a priori de la nature, ce qui suppose qu’il y a une connaissance mathématique, possible ou actuelle, des objets qui sont intensa. Il faut donc voir si la méthode mathématique est vraiment applicable à l’étude de l’intensité. Si l’on recherche un caractère intrinsèque permettant de distinguer les mathématiques de toute autre science, on trouve que leur méthode consiste essentiellement dans le dénombrement, auquel on peut à la rigueur ajouter la mesure. Or les quantités intensives ne sont ni des multitudes dénombrables ni des grandeurs mesurables, bien qu’elles présentent certaines analogies avec les unes et les autres. La conclusion semble donc devoir être que, pour de telles quantités, une connaissance mathématique ou exacte est impossible ; il y a des choses dont la nature n’admet qu’une connaissance « inexacte », sans d’ailleurs qu’une telle « inexactitude » doive être regardée comme un défaut.

Nous nous permettrons ici une objection : si l’intensité est vraiment une quantité, il est étrange que son étude échappe à la méthode mathématique ; et, en ce qui concerne les intensa d’ordre physique (densité, température, éclairement, etc.), leur nature quantitative ne saurait guère être mise en doute. Seulement, on peut parler aussi d’intensité en un sens tout différent, et c’est ce qu’on fait parfois en psychologie, pour les sensations par exemple ; ce sont de tels cas que M. Smith nous paraît avoir eu surtout en vue, et son tort est de croire qu’on peut là encore parler de quantité. Pour nous aussi, il y a des choses auxquelles les mathématiques ne sont pas applicables, mais ce sont celles qui ne rentrent pas dans la catégorie de la quantité.

Suivant la doctrine indienne du karma ou de l’action, l’état présent d’un être est déterminé comme résultat de ses actions antécédentes, et toute action produit un samskâra, impression ou disposition latente qui sera de même une condition d’un état ultérieur. Cet enchaînement causal est regardé comme une loi cosmique, et la conception en est étendue assez généralement jusqu’à la nature inanimée. M. Thomas veut montrer tout d’abord l’analogie de cette vue avec certaines théories modernes, plus spécialement biologiques, comme celle de Semon ; il va même jusqu’à assimiler la « mneme » de celui-ci au karma, et ses « engramms » aux samskâras. Il examine ensuite les théories grammaticales et logiques de l’action chez les Indiens, en insistant sur les différentes significations des notions verbales, qui semblent pouvoir se classer en « existence », « accomplissement » et « changement » ; puis il cherche à préciser la conception de la catégorie de l’action, en comparant sur ce point la doctrine d’Aristote avec les précédentes. Discutant la question de savoir si toute action doit être considérée comme momentanée, il arrive à établir la classification suivante : 1o actions, momentanées ou totales, et répétitions de celles-ci ; 2o efforts et résistances, momentanés ou continus ; 3o changements, momentanés ou composés ; 4o évolution ou transformation continue. L’étude de l’action (y compris l’action mentale) au point de vue de la durée semble donner lieu à trois concepts : instantanéité, continuité et totalité ; cependant, la nature temporelle de l’action paraît consister, non en ce qu’elle occupe une certaine durée, mais plutôt en ce qu’elle arrive à un certain moment. Quant à la conception de l’action en physique, le mouvement peut être une action, sinon de la chose même qui se meut, du moins de tout le système dans lequel cette chose est comprise ; mais l’auteur ne fait qu’indiquer ce dernier ordre de considérations.

Bien des points de ce travail donneraient lieu à une discussion intéressante, mais que nous ne pouvons songer à entreprendre ici. Nous nous bornerons donc à une remarque d’une portée tout à fait générale : c’est que M. Thomas ne s’est peut-être pas suffisamment gardé du danger de rapprocher les idées indiennes et les idées européennes modernes bien plus que ne le permet légitimement la nature des unes et des autres. La différence qui existe entre les modes de la pensée orientale et ceux de la pensée occidentale est, pour nous, si profonde et si irréductible qu’un même mot, celui de philosophie ou tout autre, ne peut servir à les désigner également. Des ressemblances comme celles que signale M. Thomas nous paraissent beaucoup plus superficielles qu’il ne le croit, parce que les points de vue représentés par les conceptions qu’il compare ne sont aucunement les mêmes de part et d’autre ; une doctrine métaphysique (d’ailleurs nullement morale ou religieuse à notre sens) et une théorie biologique ne peuvent à aucun degré comporter la même signification.

C’est un examen critique de certaines théories récentes, en particulier de celle de William James. Ceux qui ont émis de semblables conceptions l’ont fait, pour la plupart, parce qu’ils ont pensé que l’existence du mal était incompatible avec la doctrine d’un Dieu tout-puissant. Le Dr D’Arcy commence par exposer l’évolution historique des conceptions religieuses, qui auraient passé successivement par les phases animiste, polythéiste et monothéiste. Cette évolution se continue encore aujourd’hui ; mais doit-elle aller dans le sens d’une doctrine comme celle d’un Dieu limité ? L’auteur pense qu’une telle doctrine est beaucoup moins logique que le polythéisme, dont elle semble se rapprocher à certains égards : d’ailleurs, les arguments que James veut tirer de l’« expérience religieuse » et de l’étude de certains phénomènes psychiques ne prouvent réellement rien en sa faveur. Le développement historique a toujours été en élevant l’idée de Dieu, et non en la dégradant ; la conclusion sera donc pour une conception d’un Dieu qui soit à la fois personnel et « super-personnel ».

Il est certain que les préoccupations morales sont celles qui prédominent chez James et chez bien d’autres penseurs contemporains. Quand le Dr D’Arcy dit que nous attachons maintenant plus d’importance à la bonté de Dieu qu’à sa sagesse ou à sa puissance, il a peut-être le tort de trop généraliser ; mais il n’en est pas moins vrai que la tendance de certaines formes religieuses à dégénérer en « moralisme » est un fait qu’il serait intéressant d’étudier comme tel. Seulement, la confusion du point de vue moral avec le point de vue métaphysique n’est pas l’unique source des conceptions d’une Déité limitée : chez Renouvier, par exemple, dont il n’est pas question dans cette étude, c’est tout autre chose : les « finitistes » de ce type, ayant argumenté très justement contre le prétendu infini mathématique, croient avoir ruiné par là même l’idée de l’infini métaphysique, dont ils montrent ainsi qu’ils ignorent la véritable nature. Quoi qu’il en soit, il semble que, dans tous les cas, il y ait toujours une confusion à la base ; et, d’autre part, nous sommes d’accord avec le Dr D’Arcy lorsqu’il pense que le polythéisme devrait être l’aboutissement logique de semblables conceptions. Ajoutons que l’idée d’une Déité limitée est toujours celle d’un être particulier, et que l’existence de tels êtres n’est qu’une question de fait, sans aucun rapport avec les problèmes qui peuvent se poser au sujet des principes métaphysiques. Enfin, quant à la conclusion du Dr D’Arcy, le sens où il veut que les termes théologiques soient entendus n’est pas autre chose que ce que la philosophie scolastique appelle le « sens analogique », et la conception qu’il indique à la fin n’est qu’une esquisse partielle de ce qui a été développé complètement par certaines des plus anciennes doctrines de l’Orient : curieuse rencontre pour un partisan de l’évolution « progressive » des idées religieuses !

Il y a deux façons opposées et inconciliables de concevoir la vérité : pour les uns, elle est indépendante de l’esprit et s’impose à lui ; pour les autres, elle lui est au contraire subordonnée et n’est qu’un instrument pour la réalisation de ses intérêts pratiques. Les uns et les autres semblent oublier, d’une part, que l’esprit individuel n’est jamais complètement développé, et, d’autre part, que la réalité de l’individualité indivisible réside à la fois derrière les processus de l’action pratique et ceux de l’activité intellectuelle. Toutes les fonctions de l’esprit individuel, intellectuelles ou autres, doivent être regardées comme des moyens d’accomplissement de son propre type d’existence, chaque fonction n’étant d’ailleurs qu’une certaine activité spécialisée de l’esprit tout entier. La vie humaine, en particulier, est un arrangement conscient du monde suivant un point de vue spécifiquement humain, et c’est là ce que l’auteur entend par « anthropomorphisme ». Cette conception n’est développée ici qu’en ce qui concerne la connaissance scientifique ; mais ce n’est peut-être pas sur ce terrain, quoi qu’en pense M. Baillie, qu’un « relativisme » de ce genre rencontre les plus graves difficultés.

Le réalisme, au sens où il est entendu ici, s’oppose à l’idéalisme, non pas en regardant les choses comme « non-mentales », mais en les regardant comme « non-construites », c’est-à-dire en consacrant tous ses efforts à maintenir le « donné » intact. Ceci étant, l’auteur se propose de montrer qu’il y a du réalisme dans la doctrine de M. Bergson, que celle-ci se rapproche par ce côté de celle de M. Russell, et que ce réalisme est pour toutes deux le point de contact avec les conceptions qui sont à la base de certains mouvements sociaux, tels que le nouveau socialisme ou le syndicalisme révolutionnaire.

C’est une discussion de l’étude du Dr D’Arcy, dont nous avons rendu compte plus haut. L’auteur s’attache d’abord à analyser le problème de « Dieu », c’est-à-dire à distinguer les différentes questions qu’il implique, puis à montrer que les arguments du Dr D’Arcy contre la conception d’un Dieu limité ne sont pas concluants, et enfin il essaie d’établir que l’idée d’un Dieu tout-puissant a moins de « valeur » spirituelle et religieuse que celle d’un Dieu fini. Dans cette dernière partie, le point de vue « pragmatiste » de M. Schiller apparaît nettement ; il veut aussi y montrer que la notion de la toute-puissance divine a pour origine psychologique le besoin de sécurité qui, dans un autre domaine, donne également naissance à la notion de la « validité » logique.

Il nous semble qu’il y a en tout ceci bien des confusions : ainsi, la conception de « Dieu » est présentée comme une réponse, parmi d’autres également possibles, à une certaine série de questions : mais cela ne suppose-t-il pas qu’il s’agit d’une conception unique et déterminée ? Une des questions auxquelles elle doit répondre est celle dont les diverses solutions sont représentées par le monisme, le dualisme et le pluralisme ; et, pour M. Schiller, cette question concerne la réalité envisagée sous un aspect « quantitatif », comme si la notion de l’unité arithmétique et celle de ce qui est appelé analogiquement l’unité métaphysique n’étaient qu’une seule et même notion. D’autre part, les préoccupations d’ordre moral tiennent ici une place considérable : il faut, par exemple, que la distinction du bien et du mal existe pour Dieu comme pour l’homme. Des discussions comme celle-là naissent surtout de questions mal posées, et du mélange de plusieurs points de vue radicalement différents ; la position classique du problème de l’« existence de Dieu », les termes mêmes de ce problème, impliquent des confusions multiples, au milieu desquelles on se débattra vainement tant qu’on ne commencera pas par déterminer comme ils doivent l’être les rapports de la métaphysique avec la théologie, et ceux de l’une et de l’autre avec la science.

Nous n’essayons de rendre « behaviour » par « attitude » que faute de trouver un meilleur terme en français : c’est la façon dont un être vivant se comporte et réagit à l’égard du milieu ; c’est, en somme, une forme plus compliquée de l’action réflexe. On a essayé de transporter cette conception du domaine de la biologie à celui de la psychologie, d’où ce qu’on appelle « behaviourism », qui présente d’ailleurs plusieurs formes et plusieurs degrés : pour certains, la notion dont il s’agit n’est en psychologie qu’un point de départ ; pour d’autres, elle en constitue tout l’objet et doit se substituer complètement à la notion même de la conscience. M. Robinson fait la critique de ces théories, et montre qu’elles confondent purement et simplement la psychologie avec la physiologie, en éliminant ce qui en constitue les éléments véritablement caractéristiques : la psychologie ne peut être que l’étude de l’organisme conscient en tant que conscient.

Le trait le plus caractéristique de la récente philosophie sociale est la critique de l’autorité de l’État, et le désir de substituer, au contrôle unitaire de la vie sociale par l’État, un contrôle des intérêts par les institutions qui leur correspondent respectivement. L’État est conçu comme hostile à la liberté des individus et à celle de tous les autres groupements sociaux, et cela de deux façons : les uns lui reprochent son caractère rigide et mécanique ; les autres, son intrusion dans des domaines qui ne relèveraient pas de sa compétence naturelle. Pour ces derniers, l’État n’est qu’une institution particulière parmi d’autres institutions fonctionnelles, dont chacune doit être également souveraine dans son propre domaine. L’auteur cherche à montrer que toutes ces critiques, en opposition avec les théories traditionnelles, tendent à éliminer la conception de l’« obligation », essentielle à toute explication rationnelle de l’organisation sociale.

C’est un exposé de la façon dont Sidgwick, dans ses Methods of Ethics, envisage ce qu’il appelle le « dualisme de la raison pratique » : il entend par là que la conduite humaine relève de deux principes également essentiels, qui sont la « bienveillance rationnelle » et l’« amour de soi rationnel ». Ces deux principes, qui représentent respectivement l’altruisme et l’égoïsme, peuvent sembler contradictoires entre eux ; mais Miss Jones essaie de montrer que, en réalité, le premier implique ou inclut le second.

Une simple remarque : « accepter la moralité du sens commun, mais en cherchant à lui donner une base philosophique », c’est bien là un caractère de presque toutes les théories morales ; mais n’est-ce pas en même temps une preuve que ces théories sont artificielles au fond, et que chaque philosophe ne cherche qu’à justifier, selon ses propres idées, une pratique dont l’existence est parfaitement indépendante de toute construction de ce genre ?

On insiste souvent sur l’opposition de la philosophie de Spinoza, avec sa Substance universelle unique, et de celle de Leibnitz, qui regarde comme fondamentale la multiplicité absolue des substances individuelles. Cependant, l’auteur de cette étude s’est proposé de montrer que la contradiction des deux doctrines est plus apparente que réelle, et qu’il y a bien des rapprochements à faire entre elles, à la fois quant aux résultats qu’elles atteignent et quant aux difficultés qu’elles soulèvent. Son examen comparatif porte successivement sur la question des rapports de l’essence et de l’existence, sur la conception de l’activité comme principe de l’individualité, sur la distinction des degrés de développement des êtres individuels, et enfin sur la relation des individus finis avec Dieu. Les interprétations proposées sont fort intéressantes, encore que certaines soient peut-être contestables ; nous regrettons que les limites de ce compte rendu ne nous permettent pas d’en discuter au moins quelques-unes. L’auteur, dans sa conclusion, fait ressortir l’intérêt actuel, et non pas simplement historique, des questions qu’il a envisagées au cours de son exposé.

L’argument ontologique, tel qu’il a été formulé par saint Anselme, est représenté à tort comme impliquant l’addition de l’existence comme un prédicat, alors qu’il est une démonstration de l’invalidité de sa soustraction. La plupart des critiques qui en ont été faites portent en réalité sur la définition de Dieu ; et il ne faut pas perdre de vue que l’argument concerne exclusivement id quo nihil majus cogitari potest. M. Cock montre en particulier que la critique faite par Kant est illégitime, parce que la position même de Kant, limitant la connaissance humaine « au donné, subsumé par nous sous les formes de l’espace et du temps », lui interdit le seul terrain sur lequel peut être valablement discuté l’argument ontologique : il ne peut y avoir rien de commun entre la théorie kantienne de la connaissance et la définition de Dieu qui est en question.

Si nous sommes assez de l’avis de M. Cock sur ce point, nous le sommes moins lorsqu’il dit que ce qui fait paraître l’argument peu satisfaisant, c’est son caractère purement intellectuel. Nous pensons au contraire qu’il doit être tel pour pouvoir prétendre à une portée métaphysique véritable, mais que son plus grand défaut (sans parler de l’équivoque du mot « existence ») consiste en ce qu’il est une transposition fautive d’une vérité métaphysique en termes théologiques : partisans et adversaires de l’argument nous font presque toujours l’effet de discuter sur la possibilité d’appliquer à « un être » ce qui n’est vrai que de « l’Être ».

L’ensemble de faits qu’on réunit sous le nom de « moralité » peut être étudié à trois points de vue différents : historique, psychologique, et proprement éthique. L’auteur, envisageant ces trois points de vue l’un après l’autre, se propose de montrer, pour chacun d’eux, les avantages que présente le théisme sur toute autre théorie. Cette recherche est poursuivie avec un parti pris évident de justifier « l’autorité de la loi morale » et « l’objectivité de l’idéal moral ». Nous avouons ne pas voir très nettement en quoi le fait de fournir une telle justification constitue une preuve, même accessoire, de la vérité d’une doctrine. Il y a là quelque chose qui nous rappelle l’attitude de Kant à l’égard de ses « postulats », prenant pour un argument ce qui n’est qu’un vœu sentimental. Si le théisme (sur la définition duquel il faudrait d’ailleurs s’entendre) est d’ordre métaphysique, il doit être établi indépendamment de toute considération morale ; s’il se trouve ensuite qu’il justifie la morale, tant mieux pour celle-ci, mais la métaphysique n’y est nullement intéressée.

À un autre point de vue, est-il bien exact de dire, comme le fait M. Matthews, que le sentiment de l’obligation est la caractéristique fondamentale de la conscience morale ? Certaines morales antiques, et notamment celle des stoïciens, ne semblent guère l’avoir connu, et pourtant il est assez difficile de contester que ce soient là des morales au sens le plus rigoureux de ce mot.

C’est un extrait d’un travail plus étendu, dans lequel l’auteur se propose d’examiner la relation qui existe entre l’espace et le temps, considérés comme réalités empiriques. L’espace et le temps, pour lui, dépendent l’un de l’autre et s’impliquent mutuellement, de telle façon qu’ils ne constituent à proprement parler qu’une réalité unique, l’« espace-temps ». C’est le temps qui rend l’espace continu en assurant sa divisibilité ; et, de même, c’est aussi l’espace qui rend le temps continu en assurant la connexion de ses parties. L’« espace-temps » est un système de « points-instants », c’est-à-dire de lignes de mouvement reliant les points ou les instants entre eux. Le temps est successif, irréversible et transitif, et ces trois caractères correspondent aux trois dimensions de l’espace ; l’habitude de représenter le temps spatialement exprime le caractère intrinsèque du temps lui-même.

M. Alexander indique, à titre de conséquence, une hypothèse d’après laquelle les choses qui existent dans l’espace et dans le temps ne seraient que des complexes d’« espace-temps », c’est-à-dire de mouvement, et la relation du temps à l’espace serait analogue à celle de l’esprit au corps. C’est là une théorie extrêmement ingénieuse, mais nous ne pouvons en dire plus, car nous ne voudrions pas nous risquer à porter un jugement sur un aperçu vraiment trop sommaire et trop incomplet.

Le sujet de cette discussion est la question de savoir si les « catégories » ou conceptions générales employées d’ordinaire pour interpréter les phénomènes physiques, biologiques et psychologiques sont essentiellement différentes et inconciliables entre elles. M. Haldane soutient leur irréductibilité, et, par conséquent, l’insuffisance d’une explication mécaniste pour les phénomènes vitaux : il s’attache à montrer que l’idée d’un mécanisme maintenant constamment et reproduisant sa propre structure est contradictoire. D’ailleurs, même pour les phénomènes physiques, l’hypothèse mécaniste n’est pas vraiment explicative ; en nous en servant, nous employons des conceptions simplifiées, schématisées en quelque sorte, commodes par là même, et légitimes dans certaines limites. Quand nous tentons d’appliquer ces conceptions aux phénomènes biologiques et psychologiques, l’erreur apparaît ; il faut donc recourir à d’autres conceptions, susceptibles de s’appliquer à une autre grande classe de phénomènes. De même, les conceptions biologiques, qui sont encore relativement simplifiées, ne peuvent, sans erreur grossière, être appliquées aux phénomènes psychologiques. En un mot, il s’agit d’interprétations plus ou moins partielles et incomplètes, dont l’insuffisance se révèle successivement à l’égard de tel ou tel genre de phénomènes.

Laissant de côté la question des phénomènes psychologiques, M. Thompson défend le mécanisme, sinon comme explication totale de la vie, du moins comme explication du détail des phénomènes biologiques. Il reprend, pour les discuter, les arguments et les exemples de M. Haldane, à qui il reproche en outre de n’avoir pas indiqué nettement en quoi consistent les conceptions proprement biologiques. Après avoir développé les raisons de sa confiance dans le mécanisme, même là où il peut paraître actuellement insuffisant, il précise que le sens où il l’entend n’implique nullement le matérialisme, et n’exclut même pas un certain point de vue téléologique ; mécanisme et finalisme sont deux voies différentes, mais qui peuvent arriver à se rejoindre au sommet.

M. Mitchell croit à l’insuffisance du mécanisme, mais il n’en tire pas les mêmes conclusions que M. Haldane. Pour lui, les catégories de la physique et de la biologie, en devenant de moins en moins mécaniques, se rapprochent de celles de la psychologie : la tendance de la science est vers une synthèse des catégories, et l’observation, plus peut-être que la pensée, permet d’admettre la possibilité de cette synthèse où la matière, la vie et l’esprit seraient regardées comme différents aspects d’une même réalité.

M. Hobhouse s’attache d’abord à définir trois types d’activité, mécanique, organique et téléologique, puis à montrer que le second peut se réduire à un cas particulier du premier ou du troisième, tandis que ceux-ci restent des catégories foncièrement irréductibles. Or, si une partie de l’activité des organismes vivants est mécanique, une autre partie semble bien présenter un caractère téléologique : et ceci s’explique si l’on envisage l’être vivant comme « un tout psycho-physique », corps et âme n’étant pas des entités séparées, mais seulement des aspects distincts et peut-être incomplets d’un être réel unique.

La question discutée est en somme celle-ci : peut-on regarder les êtres individuels comme des substances, et en quel sens doit-on l’entendre ? Si on définit la substance suivant la conception aristotélicienne, c’est-à-dire comme un sujet qui ne peut pas être prédicat, M. Bosanquet pense que c’est là un caractère qui est attribué aux « choses » comme telles, et qui ne convient pas à la nature des individus finis spirituels. Pour lui, les individus ne sont pas envisagés tels qu’ils sont s’ils sont pris distinctement et à part du tout dont ils font partie, ce qui est le cas lorsqu’on les considère comme des sujets irréductibles ; si on les prend dans leur réalité totale, ils sont plutôt des caractères prédicables de l’univers. Il nous semble, disons-le en passant, que M. Bosanquet confond parfois une idée « abstraite », c’est-à-dire l’idée d’une qualité isolée de son sujet, et une idée « extraite », c’est-à-dire l’idée d’une partie séparée du tout ou de l’ensemble auquel elle appartient ; il faudrait d’ailleurs savoir d’une façon précise comment il conçoit ce qu’il appelle « l’univers », lorsqu’il dit que la relation des individus à l’univers est une relation de subordination et non de coordination. Quoi qu’il en soit, il entend la vraie substantialité des individus spirituels d’une toute autre façon, comme « intentionnelle », et comme consistant dans leur prétention à l’unité et à la liberté, qui ne sont d’ailleurs jamais complètement réalisées. On pourrait dire alors que les individus deviennent d’autant plus « substantifs » et libres qu’ils se reconnaissent plus « adjectifs », c’est-à-dire plus dépendants de tout l’ensemble dont ils font partie ; et c’est seulement en se dépassant et en sortant d’eux-mêmes en quelque façon qu’ils tendent à réaliser leur substantialité et la plénitude de leur existence.

La confusion que nous croyons trouver chez M. Bosanquet et que nous signalions tout à l’heure, M. Pringle-Pattison semble l’avoir aperçue également, quand il lui reproche de transformer illégitimement la relation entre tout et partie en une relation entre substance et accident, et d’arriver par là à une conception de la « Réalité » qui rappelle la Substance de Spinoza. M. Pringle-Pattison pense que le but vers lequel tout tend est la réalisation de plus en plus complète de l’individualisation, tandis que M. Bosanquet paraît prendre une position inverse ; peut-être y a-t-il une part de vérité chez tous deux, et chacun ne voit-il qu’un côté de la question, qui, envisagée métaphysiquement, est celle des rapports de l’individuel et de l’universel ; mais ici la discussion nous fait l’effet de s’égarer quelque peu sur le terrain moral et religieux. Du reste, l’intervention de certaines considérations d’ordre moral, et même social, est probablement nécessaire pour comprendre comment M. Bosanquet est amené à sa conception de la substantialité, si différente de la conception traditionnelle dont la base est purement logique.

C’est au point de vue logique que se place avant tout M. Stout pour examiner la thèse de M. Bosanquet : sa théorie de la prédication, dit-il, suppose essentiellement que la partie est un attribut du tout, et que tout attribut de la partie comme telle est aussi un attribut du tout comme tel. En réalité, ce qui est un attribut du tout, c’est qu’il contient une certaine partie : la relation du tout à la partie est elle-même un adjectif, et est par suite irréductiblement distincte de sa propre relation à son substantif. Si donc il n’est pas possible d’admettre la théorie générale de la prédication, on devra rejeter par là même son application à la conception des êtres individuels. M. Stout soutient d’ailleurs que les individus finis ont une valeur propre, non seulement en tant qu’individus, mais encore en tant que finis, en ce sens qu’ils présentent des caractéristiques positives qui présupposent leur limitation.

Lord Haldane cherche à expliquer les positions respectives de M. Bosanquet (auquel il associe M. Bradley) et de M. Pringle-Pattison en les rattachant à l’ensemble de leurs conceptions générales. Toutes deux lui paraissent procéder également d’un « idéalisme objectif » de type hégélien, mais avec des tendances différentes ; et il leur trouve un défaut commun dans l’emploi qui y est fait, d’une façon plus ou moins déguisée, de la notion de substance. Pour lui, aucun des deux termes substantif et adjectif n’exprime d’une façon adéquate le mode d’être des individus finis, parce que ces termes évoquent la relation d’une chose et de ses propriétés, tandis que nous sommes ici à un degré plus élevé de la réalité. Il insiste avec raison sur le danger des métaphores et des images empruntées à notre expérience du monde extérieur ; à ce propos, il exprime même le vœu de voir les métaphysiciens employer une terminologie aussi rigoureuse que celle des mathématiciens. Nous sommes tout à fait de cet avis, mais il nous semble en même temps que ce vœu serait facilement réalisable si l’on arrivait simplement à comprendre que les questions métaphysiques doivent être traitées métaphysiquement.

Il s’agit de préciser la signification du verbe « être », ou plutôt les différentes significations qu’il peut avoir dans les propositions, et, pour cela, de marquer une distinction entre « être », « existence » et « réalité ». L’être, suivant M. Russell, se distingue en « existant » et « subsistant » : l’« existant » peut être réel ou irréel, ce dernier étant seulement un objet pour la pensée et ne faisant pas partie d’un système causal ; le « subsistant », forme logique de l’être, peut être contradictoire ou non-contradictoire. Il résulterait de cette division que l’« existant » n’est pas nécessairement en conformité avec les principes logiques, bien qu’il ne soit connaissable qu’à cette condition ; une telle conclusion est assurément assez discutable. Une autre question intéressante est celle qui concerne les propositions « existentielles » : l’auteur soutient qu’elles ne diffèrent en rien des autres propositions quant à leur forme, et que celle-ci ne peut aucunement nous renseigner sur la nature ou le mode d’être du sujet.

La valeur d’un ensemble de plusieurs plaisirs ne peut pas être regardée comme égale à la somme des valeurs de ces divers plaisirs pris à part : il faut ajouter à cette somme l’influence, positive ou négative, de chacun de ces plaisirs sur les autres. Ceci, d’après l’auteur, ne suppose pas que le plaisir est quantitatif, mais seulement que les plaisirs peuvent être rangés dans un ordre impliquant entre eux une série d’inégalités. Il est vrai qu’on échappe ainsi aux difficultés que soulèverait une définition de l’égalité de deux plaisirs, mais on peut se demander si une addition qui porte sur une autre chose que sur des quantités est susceptible d’une signification bien définie. D’ailleurs, une théorie de ce genre ne rappelle-t-elle pas un peu trop la fameuse « arithmétique des plaisirs » de Bentham, avec tout ce qu’elle avait d’arbitraire et d’inconsistant ?

Si l’on considère l’association des éléments de tout ordre qui constituent un être et les réactions de ces éléments les uns sur les autres, on peut énoncer le principe suivant : étant donné un système, tel qu’un être humain par exemple, composé de certains éléments physiques et mentaux, et étant donné aussi le pouvoir d’interpréter les réactions des forces physiques et mentales à l’intérieur du système, on pourra déterminer les mouvements de ce système dans un milieu donné. Cette possibilité est évidemment théorique, mais elle est néanmoins susceptible d’ouvrir une voie intéressante pour certaines recherches psychologiques : ainsi, la considération du « facteur personnel » dans une activité d’un ordre quelconque permet d’envisager la solution de problèmes tels que la détermination du caractère et du tempérament d’un auteur d’après un examen méthodique de ses œuvres.

Il a été fait depuis peu un effort sérieux pour étudier et comprendre la philosophie néo-platonicienne ; mais il est regrettable que l’on n’ait pas accordé à Proclus toute l’attention qu’il mérite. M. Taylor donne ici un exposé de l’ensemble de la doctrine de ce philosophe d’après sa Στοιχείωσις θεολογική, qui peut être regardée comme une sorte de manuel élémentaire du néoplatonisme ; les idées de Proclus sont d’ailleurs très voisines de celles de Plotin, sauf sur quelques points. Dans cet exposé, M. Taylor insiste particulièrement sur la conception de la causalité comme relation « transitive » et « asymétrique » : l’effet « participe » de la cause, et il lui est toujours inférieur, il n’en reflète la nature qu’imparfaitement. À ce propos, il montre les rapports que présente la scolastique avec le néo-platonisme ; et il fait voir aussi, avec beaucoup de raison, que ce dernier est allé bien plus loin que certaines philosophies modernes auxquelles on a parfois voulu le comparer, notamment celles de Spinoza et de Hegel. L’Un absolu et transcendant est un principe beaucoup plus primordial que la Substance spinoziste ; d’autre part, comme il est au delà de l’Esprit (νοῦς), ce n’est pas là un « idéalisme », et c’est d’ailleurs ce qui permet à cette doctrine d’éviter le dualisme. Nous ne ferons à M. Taylor qu’un léger reproche : c’est d’avoir peut-être un peu trop schématisé et « rationalisé » le néo-platonisme, dont le point de vue nous paraît encore plus éloigné qu’il ne le croit de celui des modernes. Pour nous, il y a là quelque chose de plus purement métaphysique, malgré l’identification de l’Un avec l’Idée platonicienne du Bien, qui nous fait l’effet d’être comme une introduction après coup d’une conception spécifiquement grecque dans une doctrine dont une grande partie est d’inspiration orientale. C’est en ce sens, croyons-nous, qu’il faudrait chercher si l’on veut arriver à comprendre vraiment les Alexandrins, car il y a certainement chez eux quelque chose d’étranger et même, à plus d’un égard, d’opposé à la mentalité grecque, dont Platon est peut-être le représentant le plus complet. Cette double origine des idées néo-platoniciennes n’est pas sans entraîner quelque incohérence ; l’aristotélisme se fût beaucoup mieux prêté que le platonisme à une adaptation de ce genre.