Mars-avril 1920

Londres, Williams and Norgate, 1919 ; vol. In-8o 220 pages.

Ce volume contient les communications lues à la session tenue en commun, du 11 au 14 juillet 1919, par l’Aristotelian Society, la British Psychological Society et la Mind Association.

Une proposition étant « ce que nous croyons », et la vérité ou la fausseté d’une croyance dépendant d’un fait auquel cette croyance se rapporte, il faut commencer par examiner la nature des faits (en entendant par « fait » n’importe quelle chose complexe). Deux faits étant dits avoir la même « forme » quand ils ne diffèrent que par leurs constituants, il y a une indéfinité de formes de faits. Pour le cas le plus simple, celui de faits à trois constituants (deux termes et une relation « dyadique »), il y a deux formes possibles, positive et négative, dont la différence est irréductible.

La signification d’une proposition comme « forme » de mots dépend évidemment de la signification des mots pris isolément. Si on maintient, contre la théorie « behaviouriste » du langage, l’existence d’images purement mentales (la négation de ces images apparaissant comme indéfendable sur le terrain de l’expérience), le problème de la signification des mots peut être réduit à celui de la signification des images. D’autre part, si on admet avec Hume que toutes les images sont dérivées d’impressions, c’est-à-dire que leurs constituants sont toujours des copies de « prototypes » donnés dans la sensation, la relation d’une image et de son prototype peut se définir ainsi : si un objet O est le prototype d’une image, nous pouvons, en présence de O, le reconnaître comme ce dont nous avions une image, et alors O est la « signification » de cette image.

Une proposition, qui est « le contenu d’une croyance », peut consister, soit en mots, soit en images ; généralement, une proposition de la première sorte en « signifie » une de la seconde. Dans tous les cas, une proposition est un fait qui a une certaine analogie de structure avec son « objectif », c’est-à-dire avec le fait qui la fait être vraie ou fausse. Quant à l’acte même de la croyance, il peut être constitué par différentes attitudes à l’égard d’une proposition (souvenir, attente, assentiment intemporel pur et simple), qui n’impliquent d’ailleurs pas autre chose que l’existence d’images ayant par elles-mêmes un certain pouvoir dynamique, sans l’adjonction d’aucun sentiment spécial.

Maintenant, quelle est la relation du contenu d’une croyance à son « objectif » ? La vérité consiste dans une correspondance plutôt que dans la cohérence interne ; la vérité ou la fausseté d’une croyance dépend de sa relation à un fait autre qu’elle-même, et qui est son « objectif ». Il y a deux questions relatives à la vérité et à la fausseté : l’une formelle, qui concerne les relations entre la forme d’une proposition et celle de son « objectif » dans ces deux cas ; l’autre matérielle, qui concerne la nature des effets respectifs des croyances vraies et fausses. La correspondance des propositions avec leurs « objectifs », définissant leur vérité ou leur fausseté, peut être plus ou moins complexe ; mais, en tout cas, la vérité et la fausseté, dans leur définition formelle, sont des propriétés des propositions plutôt que des croyances. Au contraire, si l’on envisage ce qui donne de l’importance à la vérité et à la fausseté au point de vue de l’action, ce ne sont plus les propositions qui importent, mais bien les croyances ; seulement le tort des pragmatistes est de vouloir définir la vérité de cette façon.

I. — M. Whitehead reproche aux conceptions scientifiques courantes de ne constituer qu’une systématisation hâtive et simpliste, qui ne s’accorde pas avec les faits : en particulier, la conception du temps comme une succession d’instants ne permet d’établir aucune relation physique entre la nature à un instant et la nature à un autre instant. D’après la théorie qui est ici esquissée, et dont l’auteur doit publier prochainement un exposé plus complet, il faut distinguer dans la nature deux types essentiellement différents d’entités, qui sont les « événements » et les « objets », puis définir certaines relations fondamentales des uns et des autres. Les événements peuvent être regardés comme des relations entre objets, et les objets comme des qualités d’événements ; mais chacun de ces points de vue donne d’ailleurs lieu à des difficultés. La théorie de la matière est la théorie des objets « uniformes » qui donnent aux événements dans lesquels ils sont situés un caractère quantitatif. La conclusion est que la conception d’une quantité de matière ayant une configuration spatiale définie à un instant du temps est une abstraction très complexe, et nullement une donnée fondamentale de la science.

II. — Pour Sir Oliver Lodge, ce que nous saisissons immédiatement et primitivement, c’est le mouvement et la force ; le temps, l’espace et la matière sont des inférences, des abstractions basées sur ces données et destinées à les interpréter. Cette conception, dont les principales notions des sciences physiques peuvent en effet se déduire d’une façon cohérente, suppose essentiellement que nos « expériences » les plus directes sont les sensations musculaires. En terminant, l’auteur met en garde contre toute théorie qui introduit la discontinuité dans l’espace, le temps, ou même l’énergie.

III. — Cette dernière remarque vise plus particulièrement la nouvelle théorie physique du « quantum ». D’après M. Nicholson, cette théorie implique l’existence d’une nouvelle constante universelle de la nature, qui serait, non pas un minimum d’énergie, mais un minimum d’action ; elle s’appliquerait d’ailleurs exclusivement aux phénomènes « microscopiques » (pour lesquels les conceptions de la force et de l’énergie ne seraient plus des données fondamentales), tandis que l’ancienne physique demeurerait valable pour les phénomènes « macroscopiques ». Le temps, l’espace et la matière seraient des données fondamentales communes à la physique tout entière, parce qu’ils entrent dans l’expression de toutes les constantes universelles qui existent dans la nature.

IV. — M. Head, admettant que toute sensation est la résultante d’innombrables changements d’ordre purement physiologique, s’attache spécialement à déterminer la base physiologique des aspects spatial et temporel de la sensation. Ces aspects seraient entièrement distincts des aspects qualitatif et affectif et pourraient en être dissociés ; tandis que ces derniers dépendraient de l’activité de la couche optique, ils seraient dus à celle de la couche corticale du cerveau.

V. — Mrs Adrian Stephen se place au point de vue bergsonien (les idées qu’elle expose sont surtout empruntées à Matière et Mémoire), et elle résume ainsi la réponse à la question posée : la matière est l’ultime donnée de la science ; l’espace est la forme que la science impose à ses objets (forme logique ou de la pensée, et non plus forme de la sensibilité comme pour Kant) ; enfin, la science ne peut avoir affaire au temps, parce qu’elle ne peut avoir affaire à la mémoire, c’est-à-dire à l’acte qui transforme la matière en « phénomènes », qui est le principe essentiel de toute vie, et qui distingue l’esprit de la matière.

VI. — Pour conclure cette discussion, M. Wildon Carr insiste surtout sur le « principe de la relativité », qui, pour lui, affecte non seulement la connaissance, mais l’être même de l’espace, du temps et de la matière. La vraie doctrine philosophique, à cet égard, est celle des philosophes du xviie siècle, notamment Malebranche et Berkeley : il n’y a pas de grandeurs, il n’y a que des perspectives. Si l’espace, le temps et la matière sont les données fondamentales de la science, cela ne signifie pas qu’ils sont des entités absolues, mais qu’ils sont dérivés de cette perspective particulière qui constitue le système de référence propre aux êtres humains.

I. — Contre MM. Bradley et Bosanquet, M. Rashdall soutient la thèse négative, parce que, dit-il, une conscience ne peut en aucune façon faire partie d’une autre conscience. On voit par là qu’il pose la question sur un terrain qui est plutôt psychologique ; il le déclare expressément, et d’ailleurs la métaphysique n’est-elle pas interdite à quiconque avoue, comme lui, ne pouvoir se placer en dehors du temps ? Il fait une distinction entre l’Absolu, qui peut inclure tous les esprits, mais dont il semble se désintéresser parce que ce n’est pas une « conscience », et Dieu, qui, comme « esprit » (mind) ou « conscience », ne peut pas inclure d’autres esprits. On pourrait même être tenté de penser que ce Dieu doit être limité, puisque « Dieu et l’homme sont deux esprits qui font partie d’un même univers ». Quant à la différence qu’il convient de faire entre « identité d’existence » et « identité de contenu », il y aurait beaucoup à en dire, mais nous ne pouvons aborder ici cette question.

II. — M. Muirhead ne pense pas que la conception de l’Absolu comme comprenant tout entraîne l’impossibilité que cet Absolu soit « esprit » en un certain sens, et il envisage une « inclusion » qui, sans supprimer l’existence séparée, se fonderait essentiellement sur une unité d’« intention » (purpose), donnant une direction commune aux actions particulières qui appartiennent aux individus.

III. — Pour M. Schiller, il y a peut-être une contradiction entre l’existence distincte des esprits individuels et leur inclusion en Dieu, et une contradiction de ce genre pourrait provenir de ce que les conceptions religieuses ont une source psychologique qui est plus sentimentale qu’intellectuelle ; mais, pourtant, on constate expérimentalement des exemples d’une sorte d’inclusion d’un esprit dans un autre, soit dans les cas anormaux de « dissociation de la personnalité », soit même dans les relations normales entre la conscience à l’état de veille et la conscience dans l’état de rêve. Seulement, ces analogies ne suggèrent aucune explication, et, pour ce qui est de l’unité d’intention qu’envisage M. Muirhead, M. Schiller objecte qu’une intention suppose une limitation qui ne saurait être applicable aux opérations d’un esprit universel.

IV. — Suivant M. d’Arcy, il faut, parmi les différents sens du mot « inclusion », partir de celui dans lequel on peut dire que notre expérience inclut tous nos objets. De même que chaque esprit est le principe d’unité de sa propre expérience, de même il doit y avoir, analogiquement, un principe suprême d’unité qui dépasse les oppositions entre les existences individuelles et produit l’unification finale ; et, dans les deux cas, l’unification assure à chacun des éléments qu’elle comprend la conservation de sa propre nature particulière. Pour qu’il en soit ainsi, il est d’ailleurs insuffisant de concevoir Dieu comme « personnel » ; il faut qu’il soit « personnel et quelque chose de plus ». Cela est beaucoup plus vraiment métaphysique que tout ce qui avait été dit jusque-là dans cette discussion, et aussi, quoi que semble en penser l’auteur lui-même, que les diverses considérations auxquelles il se livre ensuite, et qui font intervenir la question d’une vue « spirituelle » ou « matérielle » de la réalité.

La question posée ici est difficilement traduisible, car il n’y a guère, en français, que le mot « connaissance » pour rendre à la fois « Knowledge » et « acquaintance » ; mais M. Russell distingue deux sortes de « Knowledge » : l’une, qu’il appelle « présentation » ou « acquaintance », est une relation à deux termes d’un sujet à un seul objet ; l’autre, qu’il appelle « judgment », est une relation multiple d’un sujet à plusieurs objets. La question est donc de savoir si cette distinction est fondée ; la connaissance par « acquaintance », si elle existe vraiment, serait d’ailleurs exempte d’erreur, car c’est seulement dans le jugement que nous pouvons nous tromper, toute erreur portant sur les relations de plusieurs objets entre eux.

I. — Pour M. Dawes Hicks, on confond, sous le terme d’« acquaintance », deux sortes différentes de relations : la relation d’un sujet à un objet, et la relation de ce sujet à sa conscience d’un objet ; or c’est la seconde seulement qui est « directe », caractère que M. Russell attribue à l’« acquaintance ». En répondant négativement à la question, M. Hicks entend donc, au fond, dénier à la connaissance sensible le caractère « intuitif » ; et, pour cela, il insiste sur la difficulté de tracer une limite définie entre l’« acquaintance » et le jugement, notamment dans le cas des relations et des qualités sensibles envisagées abstraitement : si tout acte de connaissance implique distinction et comparaison, il est inséparable de quelque jugement. Quant à l’opposition qu’on veut établir entre la connaissance des « choses » et celle des « vérités », si un objet des sens ne peut être dit proprement vrai ou faux, la façon dont un objet apparaît peut l’être, et dans le sens même où le sont les propositions.

II. — M. Moore maintient que ce que M. Russell veut dire par « acquaintance » est un fait dont l’existence est incontestable, quoi qu’il en soit de ses théories à ce sujet. L’« acquaintance » est identique, soit avec la relation de sujet et d’objet, soit avec une variété particulière de cette relation ; mais il faut d’ailleurs admettre qu’elle ne peut pas avoir pour les qualités abstraites la même signification que pour les données des sens proprement dites. Ce qui est véritablement en question, ce n’est pas tant l’existence de la connaissance par « acquaintance » que la théorie de M. Russell suivant laquelle il peut y avoir « acquaintance » sans jugement, en ce sens que l’« acquaintance » serait logiquement indépendante de la connaissance des vérités ; et il est possible en effet que cette théorie soit fausse, les arguments qui l’appuient ne semblant pas très concluants.

III. — Mais, pour Miss Edgell, cette théorie équivaut à l’affirmation même de l’« acquaintance » en tant que relation cognitive ; en niant la théorie, elle entend donc nier la connaissance par « acquaintance », qu’elle déclare psychologiquement impossible, parce que rien ne pourrait en sortir, et qu’elle regarde simplement comme « un mythe inventé par l’épistémologie ».

IV. — M. Broad trouve préférable de diviser la question : en premier lieu, y a-t-il « acquaintance » ? Il répond affirmativement sur ce point, en définissant l’« acquaintance » comme la relation que nous avons avec les données des sens antérieurement à tout acte de jugement, et qui subsiste d’ailleurs lorsque le jugement s’est produit. En second lieu, cette « acquaintance » est-elle une connaissance ? Elle ne l’est pas dans le même sens que le jugement vrai, qui constitue la véritable connaissance ; elle peut être dite « cognitive », mais il faut faire une distinction entre « acquaintance » et connaissance par « acquaintance ». Cette dernière peut être regardée comme directe en ce sens qu’elle n’est pas atteinte par inférence, et elle s’oppose à la connaissance par « description » ; mais il ne résulte pas de là que les jugements fondés sur l’« acquaintance » soient nécessairement infaillibles, bien que le risque d’erreur semble y être à son plus bas degré.