Juillet-août 1920
- Ettore Galli. — Nel regno del conoscere e del ragionare. — (Dans le domaine de la connaissance et du
raisonnement.)
1 vol. in-8o, 300 pp., Fratelli Bocca, Turin, 1919.
- Alle radici della morale. — (Aux racines de la morale.)
1 vol. in-8o, 415 pp., Società Editrice « Unitas », Milan, 1919.
Dans le premier de ces deux ouvrages, l’auteur tente de rapprocher le point de vue logique du point de vue psychologique, nous devrions même dire de le réduire à celui-ci, en montrant que le processus du raisonnement ne fait que reproduire et continuer le processus formatif ou génétique de la connaissance. Il insiste, trop exclusivement peut-être, sur l’action « synthétisante » de la pensée : un « schéma général » se formerait par la superposition de sensations successives produisant le renforcement de leurs éléments communs, et non par l’élimination de leurs différences : quand un tel schéma est constitué, le jugement consiste à y faire rentrer un fait nouveau. L’induction serait le mode fondamental du raisonnement, parce qu’elle procède dans le sens qui est celui de l’acquisition de la connaissance, en rapportant les cas particuliers à un schéma général ; la déduction, au contraire, devrait se fonder sur une induction préalable, qu’elle ne ferait que reproduire en sens inverse. La logique, telle qu’on la conçoit d’ordinaire, aurait donc le tort d’envisager sous un point de vue statique des faits qu’on ne peut expliquer qu’en les considérant dynamiquement, dans leur développement psychologique, parce que, la pensée étant une, les lois logiques ne sont au fond que des lois psychologiques.
Cette réduction est-elle vraiment justifiée ? Sans doute, les opérations logiques sont, en un sens, des faits psychologiques, et peuvent être étudiées sous cet aspect ; mais ce n’est point ce que se propose la logique, qui, à vrai dire, ne les envisage même aucunement en tant que « faits ». La distinction et même la séparation des deux points de vue logique et psychologique aura donc toujours sa raison d’être, car deux sciences peuvent être réellement distinctes tout en étudiant les mêmes choses, par cela seul qu’elles les étudient sous des points de vue différents. Ainsi, vouloir absorber la logique dans la psychologie reviendrait pour nous à la supprimer ; mais il est possible, après tout, que le point de vue même de la logique apparaisse comme inexistant ou illégitime aux yeux de certains, et surtout de ceux qui, comme c’est ici le cas, veulent faire dériver toute connaissance de la seule sensation et se refusent à y admettre aucun principe d’un autre ordre, aussi bien qu’à distinguer l’idée de l’image. Mais n’est-il pas un peu étrange, alors qu’on veut mettre en discussion les fondements mêmes de la certitude logique, qu’on tienne d’autre part pour indiscutables certaines théories « évolutionnistes », qui ne sont pourtant que de simples hypothèses ?
La même tendance à tout ramener à la psychologie s’affirme également dans le second ouvrage, cette fois à l’égard de la morale : mais elle est ici, selon nous, beaucoup plus justifiée que dans le cas précédent, car la morale, n’ayant qu’une portée toute pratique, ne serait rien si elle ne prenait sa base dans la psychologie. La thèse de l’auteur peut se résumer brièvement en ceci : la morale est une expression de la tendance qui pousse l’homme, comme tout être vivant, à rechercher spontanément les conditions d’existence les plus favorables ; le sentiment fait trouver bon ce qui est utile ou avantageux à la vie, ce qui produit le bien-être sous toutes ses formes, et de là est dérivée, par abstraction, la notion du bien moral. Les tendances que la morale a pour but de satisfaire sont donc, au fond, des forces biologiques qui ont revêtu chez l’homme un caractère psychique : si l’on fait intervenir, en outre, les conditions de la vie sociale, envisagée essentiellement comme une collaboration, on pourra s’expliquer l’origine des notions comme celles de droit et de devoir. Si la morale suppose que la vie a une valeur par elle-même, c’est parce qu’il est de la nature de la vie de tendre toujours à se conserver et à s’améliorer ; et c’est cet attachement à la vie, fait purement sentimental tout d’abord, qui conduit ensuite à postuler le bien comme une exigence de la raison.
Nous sommes tout à fait d’accord avec l’auteur lorsqu’il ne veut voir dans les notions morales qu’une transformation d’éléments sentimentaux, et encore ces éléments ne sont-ils peut-être jamais aussi complètement rationalisés qu’il le pense : ainsi, la conception du « devoir pour le devoir » peut-elle être regardée comme ayant un caractère absolument logique ? Seulement, les facteurs qui concourent à l’élaboration de ces notions sont extrêmement complexes, et nous ne croyons pas qu’il soit possible d’en rendre compte entièrement par ce que nous pourrions appeler un « utilitarisme biologique » : on arrive ainsi, sans doute, à quelque chose qu’on peut appeler « bien » si l’on veut, mais qui n’est pas précisément le bien moral. Ce qui n’est pas vraiment expliqué par cette théorie, ce sont les caractères particuliers qui constituent proprement le point de vue moral ; pour nous, non seulement ce point de vue ne se comprend aucunement en dehors de la vie sociale, mais il suppose en outre des conditions psychologiques beaucoup plus spéciales qu’on ne le pense d’ordinaire. D’ailleurs, il ne faudrait pas exagérer l’importance du sentiment et de ce qui en dérive jusqu’à en faire tout l’essentiel de la nature humaine ; il est vrai que l’intelligence doit se réduire à bien peu de chose pour qui veut la faire sortir tout entière de la sensation.