Mai-juin 1921
- Ettore Galli. — Nel dominio dell’« io ». — (Dans le domaine du « moi ».)
1 vol. in-8o, 206 pp., Società Editrice « Unitas », Milan et Rome, 1919.
- Nel mondo dello spirit. — (Dans le monde de l’esprit.)
1 vol. in-8o, 252 pages, Società Editrice « Unitas », Milan et Rome, 1919.
Le « moi » peut être considéré, soit dans sa constitution interne, dans son contenu subjectif, soit dans son développement extérieur ; c’est sous le premier de ces deux points de vue, que l’on peut appeler statique, qu’il a été étudié le plus généralement. M. Galli, au contraire, a voulu traiter ici la question du point de vue dynamique, et cela en envisageant ce qu’il appelle le sens du « mien » : le « mien » est une expansion du « moi », et, en l’étudiant, on atteint le « moi » dans son processus même de formation. Ce sens du « mien » est d’ailleurs un fait psychologique très complexe ; l’auteur en analyse les éléments constitutifs, puis il en examine les variétés multiples, d’abord suivant les objets auxquels il s’applique, et ensuite suivant la nature propre du « moi » et la diversité des tempéraments individuels. Il y a là des nuances qui nous paraissent vraiment trop subtiles, ainsi qu’il arrive fréquemment chez les psychologues, et, de plus, tout cela est un peu diffus ; ce dernier défaut est d’ailleurs commun à tous les ouvrages de M. Galli, dont la pensée gagnerait certainement à s’exprimer sous une forme plus concise. Les deux derniers chapitres sont consacrés à la formation « psychogénétique » du sens du « mien », étudiée chez l’enfant, et à son origine « phylogénétique », en correspondance avec le développement mental et social de l’humanité ; il y a ici, naturellement, une très large part d’hypothèse ; l’idée essentielle est que le « mien », tout en étant une extension du « moi » sur les choses, est en même temps une condition pour la constitution même du « moi ».
Le second ouvrage comprend quatre parties qui n’ont pas d’autre lien entre elles que de se rapporter toutes à des questions psychologiques. La première est une justification de la valeur de l’introspection comme méthode d’observation ; peut-être est-ce tout de même aller un peu loin en ce sens que de vouloir réduire l’observation externe à l’observation interne, et de prétendre qu’elle ne peut être dite externe que « par convention », sous le prétexte que l’idée ou la représentation que nous pouvons avoir de n’importe quoi est toujours un fait interne. Nous savons bien que les psychologues sont assez coutumiers de cette exagération, qui ne tend à rien moins qu’à faire dépendre toutes les autres sciences de la leur, mais nous doutons fort qu’ils arrivent jamais à faire accepter ce point de vue par les représentants de ces autres sciences. La seconde partie est une étude psychologique et sociologique sur la « plaisanterie » (le mot italien scherzo présente une nuance qu’il est difficile de rendre en français : c’est plus proprement un « tour », bon ou mauvais, que l’on joue à quelqu’un). Dans la troisième, l’auteur analyse le phénomène de l’attente, qu’il s’attache à distinguer soigneusement de l’attention, et dont il envisage séparément différents cas, suivant qu’il y a, par rapport aux événements qui vont se produire, prévision certaine, prévision incertaine, ou imprévision, et aussi, d’un autre côté, suivant les émotions variées qui accompagnent ou suivent l’attente. Enfin, la quatrième partie traite de « la liberté à la lumière de la psychologie » : il semble que M. Galli se soit proposé surtout de montrer que la « liberté d’indifférence » est illusoire et même inconcevable, et qu’il ait voulu pour cela reprendre et développer, en le transposant sur le terrain purement psychologique, l’argument spinoziste de l’« ignorance des motifs » ; mais il a eu le tort de ne pas marquer nettement la distinction qu’il convient de faire entre la prétendue « liberté d’indifférence » et le véritable « libre arbitre », ce dernier s’accommodant fort bien de l’existence des motifs, et la supposant même essentiellement. En somme, ce qui est surtout à retenir dans la conclusion, c’est qu’il n’y a pas de conscience de la liberté ; sur ce point, nous sommes tout à fait d’accord avec l’auteur : la conscience ne peut saisir qu’une croyance à la liberté, et non la liberté elle-même, qui n’est pas de l’ordre des phénomènes mentaux ; mais, s’il en est ainsi, c’est perdre son temps que de chercher à argumenter psychologiquement pour ou contre la liberté ; cette question, parce qu’elle est au fond une question de « nature », n’est pas et ne peut pas être une question psychologique, et on devrait bien renoncer à vouloir la traiter comme telle.
- Dr Eugène Osty. — Le sens de la vie humaine.
1 vol. in-16o, XII-272 pages, « La Renaissance du Livre », Paris, 1919.
L’auteur annonce dans son introduction qu’« on ne trouvera pas ici un système philosophique », et que « ce livre se donne pour but de prendre une sorte de vue scientifique de notre vie d’êtres pensants, en ne perdant jamais le contact des faits ». Ce sont là d’excellentes intentions, mais malheureusement l’esprit « scientiste » n’est pas le véritable esprit scientifique, et les hypothèses évolutionnistes ne sont point des faits. Ceux qui se proclament volontiers, et de la meilleure foi du monde, « affranchis des préjugés », sont quelquefois ceux qui en ont le plus en réalité : croyance au « progrès intellectuel », au « progrès moral », à la « civilisation intégrale », en un mot à toutes les idoles de l’esprit moderne, sans oublier la « nature », la « raison » et la « vie ». Nous ne pouvons songer à discuter ici toutes ces conceptions, mais nous trouvons bien étrange que, dès que ces idées entrent en jeu, on se contente si facilement de simples affirmations : ce sont là articles de foi… Si, au lieu de se lancer dans d’aventureuses spéculations sur les conditions d’existence de l’« homme primitif », on se bornait plus modestement à une étude un peu approfondie de l’antiquité historique ou même du Moyen Âge, on serait sans doute amené à modifier bien des conclusions, et, par exemple, on hésiterait peut-être à écrire que « ce fut seulement au xvie siècle de notre ère que l’humanité passa de sa longue enfance intellectuelle à l’âge de raison ». Il est vrai que l’intellectualité, telle que l’auteur la comprend, paraît consister à peu près uniquement dans la connaissance et l’utilisation des phénomènes naturels, ce qui est un point de vue très spécial. La partie la plus curieuse est peut-être celle qui concerne l’avenir possible de l’humanité : on nous annonce qu’une faculté psychique nouvelle, qualifiée de « métanormale » (ce néologisme et quelques autres du même genre sont bien près d’être des barbarismes), est « en voie d’installation dans l’espèce humaine ». Cette faculté comprend un ensemble très complexe de phénomènes, réunis sous le nom un peu vague de « lucidité » ; nous sommes fort loin, pour notre part, de contester la réalité de ces phénomènes, qu’il faut toujours séparer des explications fantaisistes ou même déraisonnables qui en ont été données ; mais nous ne pensons pas qu’on puisse y voir le germe d’une sorte de sens supplémentaire dont seront doués les hommes futurs. D’ailleurs, nous ne voyons pas ce qu’il y a là de vraiment nouveau : les faits dont il s’agit étaient bien connus dès l’antiquité ; pourquoi dire qu’ils ont pu être « illusoires » alors, tandis qu’ils ne le seraient plus aujourd’hui ? C’est que, sans cela, la théorie de l’évolution serait en défaut… Si un livre comme celui-là présente de l’intérêt, c’est surtout à titre de document psychologique, très caractéristique de la mentalité de certains de nos contemporains.