Octobre 1929

Les Annales d’Hermétisme, nouvelle publication trimestrielle qui s’intitule « organe des groupements d’Hermétisme et de la Rose d’Occident », sont la suite de la revue Hermétisme, dirigée par Mme de Grandprey. La « Rose d’Occident » est, paraît-il, un groupement féminin « régi par des lois particulières dont toutes émanent des plans de l’invisible », et dont l’insigne, reproduit sur la couverture de la revue, « a été donné par une vision » ; nous avons déjà vu tant de choses de ce genre qu’il nous est bien difficile de ne pas rester quelque peu sceptique sur les résultats à en attendre. Dans les deux premiers numéros, il n’y a d’hermétique, pour justifier le titre, que le début d’une traduction du Traité de la Pierre philosophale d’Irénée Philalèthe.

Les Annales Initiatiques publient une bonne étude générale sur le Soufisme, par notre collaborateur J.-H. Probst-Biraben.

La Science Spirituelle (avril-mai) donne, sur Édouard Schuré et ses rapports avec Rudolf Steiner, un article qui contient quelques documents inédits.

— Dans le Lotus Bleu, il n’y a toujours d’intéressant à signaler que les excellentes études de M. J. Marquès-Rivière : Le Bouddhisme tantrique (no de mai), La Science du Vide dans le Bouddhisme du Nord (no de juin), auxquelles on ne pourrait reprocher qu’un peu trop de concision. De la conclusion du premier de ces deux articles, nous détachons ces quelques lignes qui expriment une pensée très juste : « Il ne faut pas se hâter de conclure d’une façon définitive, comme l’ont fait maints auteurs. La science des Tantras est multiforme. Elle peut être une très bonne et une effroyable chose. La volonté et l’intention de l’opération fait tout… C’est la Science de la Vie et de la Mort… Que l’on discute longuement sur le “comment” et le “quand” de l’introduction du Tantrisme dans le Bouddhisme, cela me paraît très secondaire, car sans solution possible. Le Tantrisme remonte fort loin dans la tradition. Que par l’évolution de l’âge actuel il ait pris et prenne encore une certaine prédominance, cela est possible. Mais conclure à la “dégénérescence” et à la “sorcellerie”, c’est ignorer les données du problème. »

Atlantis, dans son no de mai, reproduit la plus grande partie d’une remarquable conférence de Mario Meunier sur « la formation et le rôle de l’élite ». Dans le no de juin, nous notons un curieux article de M. Paul Le Cour sur cette étrange école d’ésotérisme catholique que fut le Hiéron du Val d’Or de Paray-le-Monial. À propos d’un autre article où il est question de l’ouvrage de de Grave, La République des Champs-Élysées, qui aurait été démarqué récemment par un certain M. Marcel Pollet, signalons qu’il semble exister en Belgique toute une école « celtisante » à laquelle se rattachent, non seulement les théories de de Grave, mais aussi celles de Cailleux, dont M. Le Cour ne parle pas ; il y aurait peut-être, surtout pour ceux qui se spécialisent dans l’étude des traditions occidentales, des recherches assez intéressantes à faire de ce côté. Dans le no de juillet-août, nous relevons une note, accompagnée de figures, sur les « graffites » de la cathédrale de Strasbourg.

Le Compagnonnage (no de juillet) publie un discours prononcé par M. J. Pradelle aux cours professionnels de Montauban, et qui est une éloquente protestation contre l’invasion des méthodes industrielles, d’importation américaine, désignées par les mots barbares de « standardisation », « taylorisation », « rationalisation », menaçant de ruiner ce qui subsiste encore des anciennes traditions corporatives. Il semble malheureusement bien difficile de remonter le courant qui, partout, tend à la substitution de la « quantité » à la « qualité » ; mais il n’y en a pas moins là des vérités qu’il serait bon de répandre, ne serait-ce que pour tenter de sauver ce qui peut l’être encore au milieu de la confusion actuelle.

— Dans Le Symbolisme (no de mai), un article de M. Armand Bédarride, intitulé Les Idées de nos Précurseurs, expose, à propos des anciens Maçons opératifs, et particulièrement des constructeurs de cathédrales, des vues intéressantes, quoique incomplètes à bien des égards et parfois contestables ; peut-être aurons-nous l’occasion d’y revenir. Le no de juin contient deux articles d’Oswald Wirth, l’un sur Le Sacerdoce, l’autre sur La Science traditionnelle, dont les intentions sont certainement excellentes, mais dont l’inspiration est bien fâcheusement « rationaliste » ; pourquoi ne pas laisser aux « profanes » cette tournure d’esprit qui convient essentiellement à leur condition d’êtres non « illuminés » ? Réduire tout à des proportions purement humaines, au sens le plus étroit de ce mot, c’est se fermer à la connaissance de toute vérité profonde ; au point de vue initiatique, le sacerdoce est bien autre chose que cela, et la science traditionnelle aussi ; nous nous sommes toujours, pour notre part, montré assez sévère à l’égard de tout « occultisme » plus ou moins fantaisiste pour n’être pas suspect en formulant cette affirmation. Nous préférons un autre article d’Oswald Wirth, sur La mission religieuse de la Franc-Maçonnerie (no de juillet), qui, sans se placer non plus sur le terrain vraiment initiatique, laisse du moins certaines possibilités ouvertes pour ceux qui voudraient aller plus loin.

— Le Grand Lodge Bulletin d’Iowa (no de mai et juin) donne une étude sur les deux colonnes, plus historique à vrai dire que symbolique, mais qui contient, en dehors des références proprement bibliques, des détails intéressants et dont certains sont assez peu connus. Ainsi, sait-on que le signe usuel du dollar est une figuration schématique des « colonnes d’Hercule » réunies par une sorte de banderolle, et que cette figuration, empruntée aux monnaies espagnoles, se trouvait déjà, dans l’antiquité, sur celles de Tyr ?

La Revue Internationale des Sociétés Secrètes continue – et le contraire nous eût bien étonné – à s’efforcer de ressusciter l’affaire Taxil ; elle publie (nos des 7, 14 et 21 juillet) une longue biographie de Diana Vaughan, qui n’a probablement jamais existé, mais qu’elle présente en quelque sorte comme une seconde Jeanne d’Arc, ce qui, en tout état de cause, est vraiment un peu excessif. Cette publication a été précédée (no du 23 juin) de la reproduction d’une lettre de ladite Diana Vaughan à l’abbé de Bessonies, qui a été pour nous l’occasion d’une remarque bien amusante ; comme il y est question du « digne abbé Joseff », on a ajouté la note suivante : « Ce nom est ainsi orthographié dans le texte. Il s’agit sans doute de l’abbé Tourmentin. Ces deux ff, uniques dans cette lettre où le nom de Joseph est parfaitement orthographié (quand il s’agit de saint Joseph), semblent bien venir d’une distraction involontaire d’une personne originaire de Russie. » On prétend en effet, dans le commentaire qui suit la lettre, que cette soi-disant Américaine aurait été en réalité une Russe, ce qui ne s’accorde d’ailleurs nullement avec la biographie susdite ; mais, quand on s’engage dans de telles histoires, on n’en est pas à une contradiction près… Il n’y a qu’un malheur à tout cela : c’est bien de l’abbé Tourmentin qu’il s’agit, mais Tourmentin n’était qu’un pseudonyme, et son nom véritable (nous disons bien son nom de famille, et non pas son prénom) s’orthographiait exactement Josepff ; il y a donc bien une faute, mais qui consiste dans l’omission du p et non pas dans les deux ff qui doivent parfaitement s’y trouver. Les rédacteurs de la R. I. S. S. sont-ils donc si ignorants qu’ils ne connaissent même pas le vrai nom de leur ancien confrère en antimaçonnerie ? Quoi qu’il en soit, en fait de lettres de Diana Vaughan, nous avons quelque chose de mieux : nous en avons une qui est écrite sur un papier en tête duquel on voit une queue de lion entortillée autour d’un croissant d’où émerge une rose, avec les initiales D. V. et la devise : Me jubente cauda leonis loquitur ! — Dans la « partie occultiste » de la même revue (no du 1er juillet), il y a un article signé A. Tarannes et intitulé Essai sur un symbole double : Quel est donc ce Dragon ? Nous nous attendions à des considérations sur le double sens des symboles, auquel nous avons nous-même fait assez souvent allusion, et qui, en effet, est particulièrement net en ce qui concerne le serpent et le dragon ; nous avons été entièrement déçu. Il s’agit seulement de donner du poids, si l’on peut dire, à la trop fameuse Élue du Dragon, à l’aide d’une documentation assez bizarre en elle-même et encore plus bizarrement commentée. Nous nous permettrons, à ce sujet, une question probablement fort indiscrète : la figure de la page 207 est, dit-on, « empruntée à un fragment malheureusement éprouvé d’un ouvrage assez rare » ; quels sont donc le titre de cet ouvrage, le nom de son auteur, le lieu et la date de sa publication ? Faute de ces indications essentielles, on pourrait être tenté de penser que le document est apocryphe, et ce serait vraiment dommage ! D’autre part, il est bien difficile de garder son sérieux devant l’importance attribuée aux fumisteries d’Aleister Crowley ; décidément, il faut croire que les élucubrations de ce personnage vont bien dans le sens voulu pour appuyer les thèses soutenues par la R. I. S. S. ; mais ce que celle-ci ne fera sûrement pas connaître à ses lecteurs, c’est que l’O. T. O. et son chef ne sont reconnus par aucune organisation maçonnique, et que, si ce soi-disant « haut initié » se présentait à la porte de la moindre Loge d’apprentis, il serait promptement éconduit avec tous les égards dus à son rang ! Nous avons encore noté, dans le même article (page 213), autre chose qui permet d’être fixé sur la valeur des informations de la R. I. S. S. : c’est une allusion à un écrivain récemment décédé, qui n’est pas nommé, mais qui est assez clairement désigné pour qu’on le reconnaisse sans peine, et qui est qualifié de « prêtre défroqué ». Nous mettons l’auteur de l’article au défi – et pour cause – de prouver son assertion ; et, s’il garde le silence, nous insisterons. — En attendant, la R. I. S. S. a reçu dernièrement, pour son zèle souvent intempestif, un blâme motivé de l’Archevêché, ou plus précisément du Conseil de Vigilance du diocèse de Paris ; elle s’est bornée à en « prendre acte » purement et simplement (no du 14 juillet), en se gardant bien d’en reproduire les termes plutôt sévères. Pour l’édification de nos lecteurs, voici le texte de ce document, tel qu’il a paru dans la Semaine Religieuse : « Le Conseil de Vigilance de Paris a été saisi, dans sa séance du 31 mai 1929, de plaintes formulées par plusieurs groupements d’œuvres de jeunesse et d’écrivains catholiques contre la Revue Internationale des Sociétés Secrètes. Des renseignements fournis, il résulte que les jugements de cette Revue ont jeté le trouble dans certains diocèses de province, où ils ont pénétré, et que la rédaction de la Revue, citée devant l’Officialité de Paris par les fondateurs et directeurs de la J. O. C., l’un des groupements diffamés, s’est abstenue de comparaître. Le Conseil de Vigilance de Paris, au courant déjà de ces attaques, a été unanime à reconnaître, devant les documents produits, que les jugements incriminés sont dénués de toute autorité ; qu’ils méconnaissent les services rendus à l’Église par des écrivains d’un mérite et d’une orthodoxie éprouvés ; qu’ils vont témérairement à l’encontre des approbations pontificales les plus autorisées ; qu’ils témoignent enfin d’un esprit de dénigrement systématique, qui va jusqu’à atteindre les décisions solennelles du Souverain Pontife, en ce qui concerne, par exemple, la question romaine. Le Conseil de Vigilance ne peut donc que blâmer et réprouver cette attitude, offensante pour l’Église elle-même et pour quelques-uns de ses meilleurs serviteurs. » Il y a déjà longtemps que nous prévoyons, et sans avoir besoin pour cela de recourir à la moindre « clairvoyance », que toutes ces histoires finiront par mal tourner…