Novembre 1929

Krur a commencé dans ses derniers numéros la publication d’une importante étude sur la « tradition hermétique » ; l’interprétation qui y est donnée du symbolisme est très juste dans l’ensemble, mais peut-être l’auteur a-t-il voulu y mettre un peu trop de choses, et il est à craindre que la multiplicité et l’abondance des citations ne déroutent les lecteurs insuffisamment familiarisés avec le sujet.

— Dans Ultra (nos de mai-juin et juillet-août), nous relevons un article sur le Bouddhisme Mahâyâna, dans lequel nous avons vu, non sans quelque étonnement, celui-ci présenté comme le produit d’une pensée « laïque » et « populaire » ; quand on sait qu’il s’agit au contraire d’une reprise, si l’on peut dire, et d’une transformation du Bouddhisme par l’influence de l’esprit traditionnel, lui infusant les éléments d’ordre profond qui manquaient totalement au Bouddhisme originel, on ne peut que sourire de pareilles assertions et les enregistrer comme une nouvelle preuve de l’incompréhension occidentale.

Gnosi, organe théosophiste italien, ne publie guère que des traductions d’articles empruntés à d’autres publications de même caractère, généralement de langue anglaise ; on n’y voit presque jamais la signature d’un collaborateur italien, ce qui est assez étrange ; la section italienne de la Société Théosophique est-elle donc si pauvre en écrivains ?

—La revue Rays from the Rose Cross, d’Oceanside (Californie), est devenue, à partir du no d’août dernier, The Rosicrucian Magazine, simple changement de titre qui n’entraîne aucune autre modification ; au fond, ce soi-disant rosicrucianisme américain n’est guère qu’une sorte de théosophisme dépouillé de sa terminologie pseudo-orientale.

The Theosophical Quarterly, de New York, est l’organe d’une « Société Théosophique » qui s’affirme comme la continuation de la Société originelle fondée par H. P. Blavastky et W. Q. Judge, et qui déclare n’avoir aucun lien avec les organisations de même nom dirigées par Mme Besant, Mme Tingley ou autres, non plus qu’avec la Co-Maçonnerie, l’Ordre de l’Étoile d’Orient, etc. ; combien de « Sociétés Théosophiques » rivales existe-t-il donc aujourd’hui ? Dans le no d’avril 1929, nous notons un « éditorial » dans lequel est affirmée explicitement la supériorité des Kshatriyas sur les Brâhmanes (c’est-à-dire, en d’autres termes, du temporel par rapport au spirituel), ce qui conduit tout naturellement à l’exaltation du Bouddhisme ; on y prétend que les Rajputs (ou Kshatriyas) « venaient peut-être d’Égypte », ce qui est une hypothèse toute gratuite, et que les Brâhmanes, à l’origine, « ne paraissent pas avoir connu les Grands Mystères », parce que la réincarnation n’est pas enseignée dans le Vêda ! D’autres articles sont meilleurs, mais ne sont guère que des résumés de livres : l’un sur le Hako, un rite des Indiens Pawnees ; l’autre sur l’Antre des Nymphes, de Porphyre, où, d’ailleurs, l’idée de réincarnation est encore introduite de la façon la plus inattendue.

— Le Lotus Bleu (no d’août) publie une conférence de M. G. E. Monod-Herzen sur Dante et l’initiation occidentale, d’après le livre de M. Luigi Valli auquel nous avons consacré un article ici même il y a quelques mois(*) ; ce n’est guère qu’un aperçu de ce que contient l’ouvrage en question, et nous n’y trouvons pas la moindre indication des insuffisances et des lacunes que nous avons signalées en nous plaçant précisément au point de vue initiatique. — Le même numéro contient un article de M. J. Marquès-Rivière, terminant la série de ses études sur le Bouddhisme que nous avons mentionnées à diverses reprises ; cet article, intitulé Le Bouddhisme et la pensée occidentale, est excellent comme les précédents ; mais les vues qu’il exprime sont tellement contraires aux conceptions théosophistes (qui sont bien du nombre de ces « défigurations » occidentales qu’il dénonce si justement), que nous nous demandons comment de telles choses ont pu passer dans le Lotus Bleu !

— La Revue Internationale des Sociétés Secrètes publie maintenant une série d’articles intitulée Diana Vaughan a-t-elle existé ? Il s’agit de prouver que les Mémoires de cette hypothétique personne n’ont pu être écrits que par quelqu’un appartenant réellement à la famille du rosicrucien Thomas Vaughan ; mais les prétendues preuves apportées jusqu’ici ne sont que des allusions qui y sont faites à des choses beaucoup plus connues qu’on ne veut bien le dire, ou tout à fait invérifiables ; attendons donc la suite… — Dans le no du 25 août, nous notons une information reproduite d’après le Figaro, qui a, dit-on, « découvert une nouvelle petite secte » en Amérique ; or il s’agit tout simplement de l’organisation appelée Mazdaznan, qui est bien connue depuis longtemps, et qui possède, à Paris même, plusieurs restaurants et magasins de vente de produits alimentaires spéciaux. Si le Figaro peut bien ne pas être au courant de ces choses, une telle ignorance est-elle excusable de la part des « spécialistes » de la R. I. S. S. ? Et est-ce vraiment la peine, à propos d’une « secte » d’un caractère si banal, et parce qu’une certaine Mme Arrens a, paraît-il, quitté son mari et ses enfants pour suivre le « Maître », de venir évoquer encore Clotilde Bersone et Diana Vaughan ? — Le no du 8 septembre contient le commencement d’une étude ayant pour titre La Franc-Maçonnerie et son œuvre, et signée Koukol-Yasnopolsky ; il semble qu’il s’agisse de la traduction d’une brochure, mais on n’indique ni où ni quand celle-ci a été publiée. Le premier chapitre, consacré aux « origines maçonniques », ne contient que la réédition de quelques-unes des sottises les plus courantes sur les Templiers et les Rose-Croix ; c’est tout au plus un travail de troisième ou quatrième main. — Dans la « partie occultiste », M. Henri de Guillebert poursuit ses études sur La Question juive, qui sont toujours pleines des assertions les plus étonnantes : ainsi (no du 1er août), nous y lisons que, « pour conquérir le divin, l’initié prétend se servir de sa seule raison », alors qu’une telle prétention est justement au contraire la marque des « profanes », et que ne peut être considéré comme « initié », au vrai sens de ce mot, que celui qui fait usage de certaines facultés supra-rationnelles. Dans le même article, nous trouvons présenté comme « document initiatique » particulièrement « révélateur » un tableau emprunté à un ouvrage de M. Pierre Piobb, tableau n’exprimant que certaines conceptions personnelles de l’auteur, qui, pour si ingénieuses qu’elles soient, n’ont pas le moindre caractère traditionnel. Dans l’article suivant (no du 1er septembre), il y a une interprétation « sociologique » de la formule hermétique Solve coagula qui dépasse en fantaisie tout ce qu’on peut imaginer ; et il y aurait bien d’autres choses à relever, mais il faut nous borner. Notons cependant encore l’erreur de fait qui consiste à déclarer juifs, toujours pour les besoins d’une certaine thèse, des protestants comme Schleiermacher et Harnack, sans parler de l’affirmation d’après laquelle Renan aurait été « pratiquement converti au judaïsme », alors que tout le monde sait qu’il était en réalité devenu étranger à toute religion définie, pour ne garder qu’une vague religiosité qui, d’ailleurs, n’avait rien de judaïque, mais était simplement chez lui un dernier reste de christianisme « désaffecté ». — Dans ce même numéro du 1er septembre, M. A. Tarannes (l’auteur de l’article sur le Dragon dont nous avons parlé dans notre précédente chronique) traite de Quelques symboles de la Maçonnerie mixte, qu’il prétend interpréter dans le sens le plus grossièrement « naturaliste » ; ce qui est extraordinaire, c’est que les gens qui se livrent à ce petit jeu ne paraissent pas se douter que certains adversaires du catholicisme ne se sont pas gênés pour appliquer le même système à ses symboles et à ses rites ; cela réussit tout aussi bien, et c’est exactement aussi faux dans un cas que dans l’autre. Il y a encore dans cet article quelques méprises curieuses : on a pris les initiales du titre d’un grade pour les consonnes de son « mot sacré » (ce qui prouve qu’on ignore ce mot), et l’« âge » de ce même grade pour le numéro d’un autre, ce qui a conduit à attribuer à celui-ci la « batterie » du premier. L’auteur déclare remettre à plus tard le déchiffrement d’un soi-disant « carré magique » qui l’embarrasse probablement ; épargnons-lui donc cette peine : ce qu’il y a là-dedans, c’est tout simplement I. N. R. I. et Pax vobis. — Enfin, toujours dans le même numéro, il y a une petite note bien amusante au sujet de l’emblème des organisations de la Croix-Rouge : il y est dit que, « au lieu de Croix-Rouge, l’on pourrait aussi bien écrire Rose-Croix de Genève » ; à ce compte, il est vraiment bien facile d’être Rose-Croix… ou du moins de passer pour tel aux yeux des rédacteurs de la R. I. S. S. !