Février 1931

— Le no de novembre d’Eudia est consacré au Livre du Sômatiste, qui vient de paraître ; cette désignation de « sômatiste » (du grec sôma, corps) est celle du premier des trois « grades mineurs » de l’« initiation eudiaque » ; le second est celui de « dianoïste » (de dianoia, entendement), et le troisième est celui de « pneumatiste » (de pneuma, souffle) ; quant aux « grades majeurs », on n’en parle pas encore… Beaucoup de fantaisies sur les anciens mystères égyptiens ; ce n’est pas avec des essais de reconstitution de ce genre, sans la moindre transmission régulière (et pour cause), qu’on arrivera jamais à réaliser une initiation authentique et effective.

— Dans le Symbolisme de décembre, nouvel article de Diogène Gondeau sur Occultisme et Franc-Maçonnerie, faisant une distinction très juste et raisonnable entre l’occultisme sérieux et… l’autre ; mais, pour éviter toute confusion, ne vaudrait-il pas mieux abandonner purement et simplement à ce dernier cette dénomination si discréditée, et d’ailleurs d’invention fort récente, donc n’ayant même pas ce qu’on pourrait appeler une valeur « historique » ?

— Dans le Grand Lodge Bulletin d’Iowa (no d’octobre), une discussion sur le temps qui est censé s’être écoulé entre la mort d’Hiram et la découverte de son corps par Salomon : certains disent quatorze jours, d’autres quinze. Les extraits cités sur ce sujet contiennent des remarques intéressantes, notamment sur les correspondances astronomiques (il s’agirait de la durée de la demi-lunaison décroissante) et sur le rapprochement qu’il y a lieu de faire avec la légende d’Osiris.

— Dans la Revue Caodaïste (no de septembre), nous voyons que, outre la secte dont elle est l’organe, plusieurs autres (Minh-Ly, Minh-Tân, Minh-Thiên), en Indo-Chine également, sont « nées du spiritisme depuis ces dernières années ». Nous savons d’autre part que, en Chine et au Japon, quelques religions bizarres ont aussi vu le jour sous l’influence d’idées occidentales ; où ce désordre s’arrêtera-t-il ? Le no d’octobre nous prouve d’ailleurs à quel point les « Caodaïstes » sont occidentalisés : il contient un article sur Quan-An, fait entièrement d’après des orientalistes européens, et un autre très bref sur le Tao, où les citations de Lao-Tseu sont tirées de la moins sérieuse de toutes les traductions françaises !

— Nous avons entre les mains les premiers nos du Bulletin des Polaires, qui a commencé à paraître en mai dernier ; leur contenu est parfaitement insignifiant, et si c’est là le résultat de communications avec des « grands initiés » de l’Himâlaya ou d’ailleurs, c’est plutôt pitoyable. Nous n’en aurions même pas parlé si nous n’avions appris qu’on a, dans cette organisation, une fâcheuse tendance à invoquer notre nom comme recommandation auprès des personnes qu’on veut y attirer, et ceci nous oblige à mettre les choses au point. En fait, nous avons quelque peu suivi les manifestations de la méthode divinatoire dite « oracle de force astrale » en un temps où il n’était nullement question de fonder un groupement basé sur les « enseignements » obtenus par ce moyen ; comme il y avait là des choses qui semblaient assez énigmatiques, nous avons tâché de les éclaircir en posant certaines questions d’ordre doctrinal, mais nous n’avons reçu que des réponses vagues et échappatoires, jusqu’au jour où une nouvelle question a enfin amené, au bout d’un temps d’ailleurs fort long en dépit de notre insistance, une absurdité caractérisée ; nous étions dès lors fixé sur la valeur initiatique des hypothétiques inspirateurs, seul point intéressant pour nous dans toute cette histoire. C’est précisément, si nous nous souvenons bien, dans l’intervalle qui s’est écoulé entre cette dernière question et la réponse qu’il a été parlé pour la première fois de constituer une société affublée du nom baroque de « Polaires » (si l’on peut parler de « tradition polaire » ou hyperboréenne, on ne saurait sans ridicule appliquer ce nom à des hommes, qui, au surplus, ne paraissent connaître cette tradition que par ce que nous en avons dit dans nos divers ouvrages) ; nous nous sommes formellement refusé, malgré maintes sollicitations, non seulement à en faire partie, mais à l’approuver ou à l’appuyer d’une façon quelconque, d’autant plus que les règles dictées par la « méthode » contenaient d’incroyables puérilités. Nous avons appris depuis lors que les quelques personnes sérieuses qui avaient tout d’abord donné leur adhésion n’avaient pas tardé à se retirer ; et nous ne serions pas surpris si tout cela finissait par sombrer dans le vulgaire spiritisme. Nous regrettons que quelques-unes des idées traditionnelles que nous avons exposées dans Le Roi du Monde soient mêlées dans cette affaire, mais nous n’y pouvons rien ; quant à la « méthode » elle-même, si l’on a lu ce que nous avons écrit plus haut sur la « science des lettres »(*), on pourra facilement se rendre compte qu’il n’y a là rien d’autre qu’un exemple de ce que peuvent devenir des fragments d’une connaissance réelle et sérieuse entre les mains de gens qui s’en sont emparés sans y rien comprendre.

— Le no du 1er novembre de la Revue Internationale des Sociétés Secrètes (« partie occultiste ») est occupé presque entièrement par un article du Dr G. Mariani sur Le Christ-Roi et le Roi du Monde, qui contient à notre adresse beaucoup de phrases élogieuses recouvrant de fort perfides insinuations. Nous ne relèverons pas en détail, pour le moment du moins, tous les points sur lesquels il y aurait quelque chose à dire, car il y en a trop ; nous nous bornerons aux plus importants. Tout d’abord, est-il possible, après les explications que nous avons données dans notre livre, de soutenir sérieusement que le « Roi du Monde » (désignation d’ailleurs très exotérique, comme nous avons eu soin de le faire remarquer) n’est autre que le Princeps hujus mundi de l’Évangile ? Nous ne le pensons pas, pas plus que nous ne pensons qu’on puisse de bonne foi identifier l’Agarttha à la « Grande Loge Blanche », c’est-à-dire à la caricature qu’en ont imaginée les Théosophistes, ou interpréter dans un sens « infernal » sa situation « souterraine », c’est-à-dire cachée aux hommes ordinaires pendant la durée du Kali-Yuga. Par ailleurs, l’auteur, en disant, à propos de textes hébreux, que ce sont seulement « certains Kabbalistes » qui donnent à « leur Dieu » (sic) le titre de « Roi du Monde », montre qu’il ignore les formules de prières juives les plus courantes, où cette expression Melek ha-Olam revient constamment. Il y a mieux : on soutient ici que le « Roi du Monde » est l’Antéchrist (et la rédaction de la revue a cru bon d’ajouter à ce propos une note invoquant le Secret de la Salette !) ; nous ne nous étions pas douté jusqu’ici que l’Antéchrist existait déjà, ni surtout qu’il avait toujours existé depuis l’origine de l’humanité ! Il est vrai que cela fournit l’occasion de nous présenter, d’une façon à peine dissimulée, comme spécialement chargé de préparer la prochaine manifestation dudit Antéchrist ; nous pourrions nous borner à sourire de ces histoires fantastiques si nous ne savions trop combien elles sont propres à tourner la tête de pauvres gens qui n’ont vraiment pas besoin de cela… D’autre part, on prétend identifier « notre doctrine » (sic) avec l’« hérésie de Nestorius », qui n’a pas pour nous le moindre intérêt en réalité, pour la bonne raison que nous ne nous plaçons jamais au point de vue de la religion exotérique, et avec laquelle ceux qu’on qualifie communément de « Nestoriens » et auxquels nous avons fait allusion n’avaient sans doute eux-mêmes rien à voir ; on oublie, plus ou moins volontairement, que cette doctrine est antérieure de bien des siècles au Christianisme, avec lequel le monde n’a tout de même pas commencé, et aussi que l’initiation des Kshatriyas, dont relevaient apparemment ces prétendus « Nestoriens », en tout état de cause, ne comporte que les applications contingentes et secondaires de ladite doctrine ; nous avons pourtant assez souvent exposé la différence entre les Brâhmanes et les Kshatriyas, et donné à comprendre que le rôle de ces derniers ne saurait en aucun cas être le nôtre. Enfin, nous noterons une allégation véritablement monstrueuse, contre laquelle nous ne saurions protester assez énergiquement : on ose nous accuser (en invoquant l’autorité d’un certain M. Robert Desoille que nous ignorons totalement) de tendances « matérialistes » et « politiques » ! Or, et tout ce que nous avons écrit le prouve surabondamment, nous n’avons que la plus parfaite indifférence pour la politique et tout ce qui s’y rattache de près ou de loin, et nous n’exagérons rien en disant que les choses qui ne relèvent pas de l’ordre spirituel ne comptent pas pour nous ; qu’on estime d’ailleurs qu’en cela nous avons tort ou raison, peu importe, le fait incontestable est que c’est ainsi et non autrement ; donc, ou l’auteur de l’article est inconscient, ou il trompe ses lecteurs pour un but que nous ne voulons pas chercher à définir. D’autre part, nous avons reçu personnellement, de la part du Dr G. Mariani lui-même, une lettre si étrange que la première de ces deux hypothèses nous en paraît moins invraisemblable ; comme l’article doit avoir une suite, nous y reviendrons s’il y a lieu. — Signalons aussi, dans le numéro du 7 décembre de la même revue, la conclusion de la longue série d’articles intitulée Diana Vaughan a-t-elle existé ? Cette conclusion revient en somme à dire qu’il n’est pas possible que Taxil ait tout inventé ; on sait bien qu’en effet il a pillé un peu partout des documents qu’il a d’ailleurs souvent déformés, et aussi qu’il avait des collaborateurs, ne serait-ce que le fameux Dr Hacks ; quant à prétendre voir dans cette documentation aussi abondante qu’hétéroclite une preuve de l’existence de Diana Vaughan et de ses « papiers de famille », cela n’est vraiment pas sérieux. Il paraît aussi que Taxil n’aurait pas pu faire lui-même « cette révélation sensationnelle que l’essence de l’alchimie est le pacte avec Satan » ; ici, tous ceux qui ont la moindre notion de ce qu’est l’alchimie ne pourront s’empêcher d’éclater de rire !