Mai 1932

— Le Mercure de France (no du 15 janvier) publie, sous le titre : Un dispensateur de l’Absolu, une étude bio-bibliographique très documentée sur Wronski, par M. Z.-L. Zaleski.

— Dans le Rayonnement Intellectuel (no de novembre-décembre), étude symbolique de M. L. Charbonneau-Lassay sur La Poule et le poussin.

— Le Lotus Bleu (no de janvier) publie une conférence de Mme A. David-Neel sur La Vie surhumaine de Guésar de Ling, envisagée plus particulièrement dans son sens symbolique ; mais les indications données à cet égard, si intéressantes qu’elles soient, demeurent malheureusement un peu trop fragmentaires. — Dans le no de février, une note fort tendancieuse prétend nous viser à travers l’article de M. Clavelle dans le Voile d’Isis de janvier ; si le rédacteur de ladite note veut bien prendre la peine de se référer aux diverses attaques dont il est question ci-après, il comprendra peut-être à quel point il fait fausse route !

— Dans Psyché (no de février), M. A. Savoret (qui, soit dit en passant, ignore totalement le sens du mot « récipiendaire ») intitule Délivrance ou salvation ? un article où il poursuit la tâche précédemment entreprise par son collègue M. G. Huan, et qui consiste à chercher de prétendues oppositions entre le Christianisme et les doctrines orientales ; et, naturellement, c’est encore à nous qu’il en a plus particulièrement. Ce qui ressort surtout de cet article, c’est que ses « yeux d’Occidental », comme il dit lui-même, sont tout à fait incapables de discerner les choses dont il veut parler, à tel point qu’il ne s’est même pas aperçu que la « salvation » (qui en français s’appelle le « salut ») a aussi sa place dans les doctrines orientales, comme correspondant à un état encore « humain », qui n’a absolument rien à voir avec la « Délivrance ». Ce serait donc perdre notre temps que de nous y arrêter davantage ; mais nous noterons, dans les comptes rendus figurant à la fin du même numéro, les éloges significatifs décernés à certain livre… regrettable, et qui nous fournissent une nouvelle indication intéressante sur les ramifications plus ou moins souterraines de l’actuelle campagne « anti-orientale ».

— Dans la Nouvelle Revue Française (no du 1er février), sous le titre : La mise en scène et la métaphysique, M. Antonin Artaud expose des vues un peu confuses parfois, mais intéressantes, qui pourraient être regardées en quelque sorte comme une illustration de ce que nous disions récemment ici même sur la dégénérescence qui a fait du théâtre occidental quelque chose de purement « profane », tandis que le théâtre oriental a toujours conservé sa valeur spirituelle. Il est étonnant que le mot de « symbolisme » ne soit jamais prononcé au cours de cette étude qu’il aurait grandement éclairée, car c’est bien de l’application du symbolisme à l’art théâtral qu’il s’agit : la mise en œuvre de multiples moyens autres que la parole n’est pas autre chose en réalité. Nous ne savons pourquoi, d’autre part, on nous a attribué (et en la mettant entre guillemets) une phrase que nous n’avons jamais écrite ; ce n’est pas que nous ne puissions en approuver l’idée, pour autant que nous la comprenons, mais les termes en lesquels elle est exprimée sont totalement étrangers à notre vocabulaire, et, de plus, nous n’aurions jamais pu dire « nous » en parlant des Occidentaux.

— C’est aussi une phrase apocryphe, mais beaucoup moins inoffensive, et d’ailleurs toujours la même, que nous prête, pour la vingtième fois peut-être, M. paul le cour dans Atlantis (no de janvier-février) ; il est vrai que, de sa part, rien de ce genre ne peut nous étonner, après avoir vu comment deux noms propres écrits à plusieurs reprises sur un mur pouvaient, à ses yeux, se métamorphoser en une phrase… approximativement latine. Du reste, il n’est même pas besoin d’une imagination aussi fertile pour faire dire à quelqu’un ce qu’il n’a jamais dit, et parfois même tout le contraire de ce qu’il a voulu dire ; il suffit pour cela de détacher un lambeau de phrase de son contexte, et il en est des exemples fameux (Qâla Allahu taâla : Fawaylun lil-muçallîn…). Quoi qu’il en soit, M. paul le cour, dans ce numéro, ne consacre pas moins de deux articles à nous attaquer, d’abord à propos du Symbolisme de la Croix, dont il prétend à son tour traiter à sa façon (ou plutôt à celle du Hiéron de Paray-le-Monial : Aor-Agni et autres fantaisies déjà connues), puis à propos de l’hermétisme et de quelques-uns de nos articles du Voile d’Isis. Il évoque même le témoignage de tous les gens qui n’ont rien compris à ce que nous écrivons ; s’il savait à quel point nous est indifférente cette « critique » profane, incompétente par définition en matière initiatique ! Nous écrivons pour instruire ceux qui sont aptes à comprendre, non pour solliciter l’approbation des ignorants ; et ce que nous faisons n’a rien à voir avec la littérature, n’en déplaise à M. paul le cour qui confond l’hermétisme avec l’esthétique et qui s’amuse à compter les mots de nos phrases (ce qui l’a sans doute empêché de voir que nous parlions, dans Le Symbolisme de la Croix, d’une représentation géométrique à trois dimensions et d’un sphéroïde indéfini, puisqu’il nous reproche de n’en avoir rien fait !). Il reproduit aussi, contre nous, une lettre d’un certain M. Alvart, en lequel nous croyons bien reconnaître un ancien « adorateur » de Mme Blavatsky (voir Le Théosophisme, chapitre IV, dernier §) ; comme nous y avons déjà implicitement répondu dans notre article du mois dernier(*), nous n’y reviendrons pas. Mais nous nous en voudrions de ne pas signaler la nouvelle trouvaille linguistique de M. paul le cour : il énonce gravement que « le mot chrétien est un développement du mot croix » ; mais que dire à quelqu’un qui pense apparemment que le latin est dérivé de l’espagnol, puisqu’il écrit que « hermoso en espagnol est devenu formosus en latin » ? Quant à notre article sur La langue des oiseaux (et non pas Le langage des oiseaux), nous maintenons intégralement ce que nous y avons dit de l’origine et du sens premier du mot latin carmen, en dépit de la bizarre et fort peu « normale » étymologie qui a été « signalée » à M. paul le cour, et qui, peut-être, « peut en imposer à certains esprits manquant de sens critique » ; et, franchement, de quel poids s’imagine-t-on que puissent être pour nous des assertions d’orientalistes ? D’autre part si nous avons parlé des oiseaux en question comme symbolisant les anges, c’est que la tradition islamique est formelle sur ce point ; nous n’exprimons pas d’opinions individuelles, et nous n’avons à connaître que la tradition. C’est d’ailleurs bien de la « langue des oiseaux » qu’il s’agissait (le Qorân dit expressément : mantiqat-tayri), et nullement du « chant des oiseaux », qui pourrait avoir une autre signification, mais qui en tout cas n’était pas en cause ; vraiment, notre contradicteur « ne nous paraît pas qualifié pour parler de ces choses ». Souhaitons pourtant que les variations plus ou moins brillantes auxquelles il se livre à ce sujet ne soient pas pour lui le… « champ du signe » ! En effet, s’il est possible que nous « fassions sourire » quelques ignorants qui se croient très forts, M. paul le cour, lui, nous fait franchement rire aux éclats, et les occasions en sont trop rares, en cette maussade fin de Kali-Yuga, pour que nous ne lui en sachions pas quelque gré. Rabbuna ikhallîk, yâ bafuna !

— Nous n’avons jamais relevé jusqu’ici les attaques, d’un ton parfois assez inconvenant, lancées contre nous par le P. E.-B. Allo, d’abord dans divers articles de la Revue des Jeunes, puis plus récemment dans un livre intitulé Plaies d’Europe et baumes du Gange ; mais voici que le même polémiste vient de faire paraître, dans la Vie Spirituelle (no du 1er février), un factum de 35 pages intitulé Le sens de la Croix chez les ésotéristes, qui a la prétention d’être une réponse à notre Symbolisme de la Croix. Nous n’avons ni le temps ni le goût de répondre à notre tour à de vaines discutailleries philosophiques ; le terrain sur lequel nous nous plaçons est tout autre, et nous n’avons pas de concessions à faire aux points de vue « profanes ». Du reste, à quoi bon chercher à faire entendre raison à quelqu’un qui s’obstine à parler de « panthéisme » et de « quiétisme » après tout ce que nous avons dit contre les doctrines que ces vocables désignent légitimement, qui prend l’adwaita-vâda pour du « monisme », et qui se montre incapable de comprendre la distinction fondamentale du « Soi » et du « moi » ? Et n’avoue-t-il pas lui-même cette incompréhension, de façon tout à fait explicite, en déclarant que certaines conceptions sont « insaisissables pour son intelligence profane » ? Il semble d’ailleurs croire que nous écrivons en nous ne savons quel jargon, puisque, quand nous disons « forme », il traduit par « âme », ce qui n’a pas le moindre rapport ; il nous attribue à la fois une Weltanschauung (qu’est-ce que cela veut dire ?), des vues « mystiques » qui nous sont totalement étrangères (il est vrai qu’il parle de « mystique d’initié », ce qui est une contradiction dans les termes), une « négation du surnaturel » alors que, au contraire, rien d’autre ne compte pour nous en réalité (et n’avons-nous pas suffisamment expliqué ce que veut dire étymologiquement le mot « métaphysique » ?) ; il qualifie de « magiques » les extensions de l’être humain dont nous avons parlé, alors que nous avons répété tant de fois combien la magie était pour nous chose négligeable (et le plus curieux est qu’il ne paraît pas se douter que lesdites extensions comprennent notamment l’« immortalité » entendue au sens religieux) ; il affecte de nous appliquer à plusieurs reprises l’étiquette de « spiritualiste », après que nous avons pris la peine d’expliquer que spiritualisme et matérialisme étaient à nos yeux choses parfaitement équivalentes… et également nulles ; comment s’y reconnaître au milieu de tout ce gâchis ? Quoi qu’il en soit, il lui arrive, quant à lui, de raisonner comme le plus épais matérialiste, par exemple à propos des idées mathématiques, auxquelles il attribue une origine purement empirique (il semble confondre les mathématiques pures avec leur application physique et les figures géométriques avec des dessins), et qu’il regarde comme une simple « création de l’esprit humain » (quels pouvoirs extraordinaires attribuent parfois à celui-ci ces prêcheurs d’« humilité » !) ; et il nous reproche de n’avoir pas employé de préférence des « symboles biologiques » ! D’abord, le symbolisme mathématique existe traditionnellement, et nous n’avons pas à inventer ni à innover, mais à exposer ce qui est ; ensuite, ce symbolisme se réfère, quoi qu’on en dise, à un ordre de réalité plus élevé que celui qui constitue le monde sensible, et tout aussi indépendant de notre fantaisie ; enfin, quand des symboles sont empruntés à l’ordre sensible, ce qui arrive aussi, ils n’ont en tout cas rien à voir avec les théories de la science moderne et profane, dont nous n’avons pas à nous préoccuper. Ce qui est curieux aussi, à propos de « symboles biologiques », c’est de voir présenter comme une objection contre nous le fait que « jamais un être développé ne rentre dans son germe » ; or il se trouve que nous avons nous-même indiqué, dans L’Erreur spirite(**), ce fait comme une analogie pouvant aider à faire comprendre l’impossibilité de la réincarnation ; mais notre contradicteur ne va-t-il pas jusqu’à confondre « transmigration » avec « métempsychose » ? On devrait bien s’abstenir de parler de ce qu’on ignore ; on s’éviterait ainsi, par exemple, le ridicule de prendre le nirukta pour de l’étymologie (et que nous importent les « lois de la sémantique » et autres inventions des philologues profanes, qui n’eurent jamais le moindre soupçon de ce que peut être une « langue sacrée » ?), ou de voir une fantaisie gratuite dans la formation de la croix par la réunion des deux lettres arabes alif et be, chose si élémentaire et si généralement connue qu’elle s’enseigne couramment aux petits enfants dans les katâtîb… Mais notre polémiste parle ici de « rapports fortuits », ce qui prouve, hélas ! qu’il croit au hasard ; et n’est-ce pas là encore une autre façon de manifester inconsciemment son ignorance ? Il est, par ailleurs, fortement imbu des préjugés du scientisme évolutionniste, dont il ressasse, en bon « historien des religions », les habituels lieux communs sur les « peuples-enfants », les « croyances primitives », les « systèmes naïfs sortis d’imaginations puériles », les « mythes explicatifs enfantins qui personnifiaient les agents naturels » (c’est ainsi qu’Auguste Comte interprétait la théologie), et autres sornettes de même qualité ; et, en ce qui concerne la « Tradition primordiale », il va jusqu’à l’appeler « cette espèce de révélation que l’humanité aurait reçue je ne sais d’où aux origines », ce qui, de la part d’un religieux catholique, est vraiment un peu fort : n’aurait-il jamais entendu parler du Paradis terrestre ? Et puisqu’il semble, avec son épouvantail du « panthéisme », vouloir jeter la suspicion sur le caractère de cette « Tradition primordiale », nous lui dirons, nous, qu’elle constitue en réalité le « monothéisme » le plus transcendant et le plus absolu ! Quant à ce qu’il dit au sujet des sens supérieurs contenus dans la Bible et dans l’Évangile (ils y sont et nous n’y pouvons rien), mais que son parti pris d’« exotérisme » exclusif se refuse à voir, le fait qu’ils ne sont point en opposition avec le sens littéral et historique paraît le gêner tout particulièrement ; au surplus, toute son argumentation sur ce point pourrait assez exactement se résumer en ces termes : ce qui distingue essentiellement le Christianisme de toute autre doctrine, c’est qu’il ne signifie rien et ne doit rien signifier ; c’est là une assertion que nous lui laisserons pour compte, car nous en avons, pour notre part, une meilleure opinion… Mais en voilà assez là-dessus ; nous ajouterons seulement, pour que nul ne s’y méprenne, que nous n’avons jamais entendu « donner une conviction » à qui que ce soit, étant résolument opposé à tout prosélytisme, et que, d’autre part, n’ayant rien à voir avec un enseignement occidental quelconque, nous n’avons nullement été « éduqué » dans des « cercles » de pseudo-ésotéristes que nous avons toujours jugés avec la plus implacable sévérité, et qui ne sont à nos yeux que de vulgaires « profanes » ; mais nos adversaires auront-ils jamais assez de bonne foi pour tenir compte de ces observations ? — Au début de ce long article, si parfaitement nul à notre point de vue, il est pourtant une phrase qui, à elle seule, a pour nous beaucoup plus d’intérêt que tout le reste, car elle nous a permis d’établir un rapprochement vraiment extraordinaire. Le P. Allo écrit textuellement ceci : « Le lecteur le moins averti doit se douter, en voyant la vignette de la couverture qui représente Ganeça, le dieu hindou à tête d’éléphant, et en s’apercevant que l’ouvrage est dédié à la mémoire d’un savant musulman et daté des années de l’hégire, qu’il y trouvera bien autre chose que de la spiritualité chrétienne. » Et M. paul le cour, dans l’article cité plus haut : « En fait, il est singulier qu’un ouvrage sur la croix porte sur sa couverture l’image du dieu Ganeça à tête d’éléphant…, puis de lire une dédicace à un cheik (sic) arabe disciple du croissant (?!), de le voir daté d’une année de l’Egire (resic) et de lire qu’il fait suite à un ouvrage sur le Vêdânta ; il n’y a rien de chrétien dans tout cela ». Comme ces gens se rencontrent ! La concordance va même un peu trop loin, et nous serions tenté de demander tout simplement : lequel des deux a copié l’autre ? À moins pourtant, étant donné la simultanéité de leurs articles, que quelque « autre » ne leur ait dicté à tous deux cette même phrase… sensationnelle !

— Dans le Symbolisme (no de février), article d’Oswald Wirth sur Le Rosicrucisme (on dit habituellement « Rosicrucianisme ») : explications enfantines sur le symbolisme de la rose, de la croix et des nombres ; à vrai dire, ce n’est même plus du symbolisme, c’est tout au plus de l’allégorie ; et l’auteur donne de l’« initiation chrétienne » une idée… qui n’a rien d’initiatique. — Dans un autre article intitulé L’Église maçonnique anglaise et signé Diogène Gondeau, nous trouvons une étrange méprise : les Old Charges sont confondues avec les Constitutions de 1723, dont les auteurs s’appliquèrent précisément, tant qu’ils le purent, à faire disparaître les dites Old Charges, c’est-à-dire les documents de l’ancienne « Maçonnerie opérative ». Il est vrai que, dans un récent ouvrage antimaçonnique, dont l’auteur est pourtant un ex-Maçon, les mêmes Constitutions sont non moins curieusement identifiées aux landmarks, lesquels ont au contraire pour caractère essentiel d’être des règles qui ne furent jamais écrites et auxquelles on ne peut assigner aucune origine historique définie. — Dans le no de mars, Oswald Wirth parle de La conception initiatique de Goethe, à l’occasion du centenaire de la mort de celui-ci : de certaines citations de Wilhelm Meister, il semble résulter que Goethe a quelque peu méconnu la valeur du rituel ; mais nous voulons croire qu’il est tout de même allé plus loin qu’un « rationalisme humanitaire ». — Armand Bédarride traite de L’étude de la morale ; il y aurait beaucoup à dire sur ce sujet, notamment en ce qui concerne la connexion de la dégénérescence « moraliste » avec les influences protestantes qui se sont exercées à l’origine de la Maçonnerie moderne ; si vraiment il ne devait s’agir que de morale, à quoi bon le symbolisme ? Nous nous bornerons à remarquer une fois de plus combien il est regrettable qu’une notion insuffisamment nette de la « régularité » initiatique conduise à un « éclectisme » qui met tout sur le même plan, et qui fait aux conceptions profanes une place tout à fait illégitime.

— Dans le Grand Lodge Bulletin d’Iowa (no de janvier), suite de l’étude sur la construction du Temple de Salomon. — Dans le no de février, étude sur « la pierre angulaire et la clef de voûte », qui font partie du symbolisme de la Maçonnerie de Royale Arche.

La Flèche a reparu après une éclipse de quelques mois ; nous y retrouvons, sans aucun changement, les tendances plus que suspectes que nous avons déjà signalées précédemment. Le no du 15 février contient une réponse au « Dr G. Mariani » (qualifié d’ailleurs de « distingué critique » !) ; on y lit, au sujet du « chef spirituel » qui aurait inspiré l’« action magique » dont cette publication se déclare l’organe, une histoire fort étrange, mais à laquelle nous sommes peu tenté d’ajouter foi jusqu’à plus ample informé. — À propos de La Flèche, nous avons constaté que l’article déjà reproduit par les Cahiers de l’Ordre (no d’octobre) l’avait été également dans l’ouvrage antimaçonnique auquel nous faisions allusion tout à l’heure ; mais cette fois, au lieu d’en indiquer clairement la provenance, on le déclare seulement « extrait d’une revue à petit tirage d’un groupe luciférien très fermé, d’origine caucasienne ». Il faut sans doute grossir l’importance de l’adversaire et l’envelopper de mystère pour se donner à soi-même une raison d’être ; mais, franchement, les antimaçons qui emploient de tels procédés sont-ils bien qualifiés pour blâmer le charlatanisme de certains pseudo-ésotéristes ?

— Dans la Revue Internationale des Sociétés Secrètes (no du 1er février, « partie occultiste »), le premier article s’intitule gracieusement Les poisons de l’Orient ; il est signé cette fois des seules initiales G. M., que précède cette mention quelque peu énigmatique : « Rédigé, ce 28 mai (sic) 1932, en la Saint Charlemagne, d’après les notes de notre regretté collaborateur » (s’agit-il de M. de Guillebert ?). Après avoir présenté comme un « parfait Français » le pangermaniste Gobineau, ce qui n’est pas une idée des plus heureuses, l’auteur y expose une caricature des doctrines orientales où le grotesque le dispute à l’odieux ; il y a là à peu près autant d’erreurs que de mots, sans oublier la rengaine du « panthéisme » qui est décidément la grande ressource de tous ces gens-là ; n’insistons pas davantage… Mais tout cela se termine par un aveu des plus précieux : « Devant les poisons de l’Orient, je me sens solidaire du Huguenot » ; et, après avoir cité notre allusion à l’« unité de front » (nous avions écrit « union sacrée ») pour la « défense de l’Occident », on ajoute : « Nous souhaiterions qu’il fût effectivement bon prophète ». Le « Dr G. Mariani » (car, ici tout au moins, c’est bien certainement lui qui parle, et, par un « synchronisme » bon à noter, il se réfère dans le même paragraphe au livre du P. Allo) n’est décidément pas de force à jouer son rôle : c’est là, très exactement, ce que nous avions voulu lui faire dire ! Et, quant à nous, nous lui répondrons très nettement et sans la moindre ketmah, en lui retournant sa phrase : devant les poisons de l’Occident moderne, nous nous sentons solidaire de l’Orient tout entier ! — Après cet article viennent quelques « diableries » sans importance, puis un autre article intitulé Les « Grands Serviteurs intellectuels » occultes ou une esquisse des positions de M. René Guénon, reproduit d’après certaines Nouvelles critiques d’Ordre que nous ne connaissons pas, mais qui sont, paraît-il, une annexe des Cahiers de l’Ordre. Cet écrit, dont l’ignominie dépasse tout ce qu’on peut imaginer, a toutes les allures d’une note policière de la plus basse catégorie ; son rédacteur anonyme est d’ailleurs assez mal informé, et, sur certains points, il fait preuve d’une imagination si délirante que nous nous demandons s’il n’aurait pas été inspiré par quelque « voyante »… très peu lucide ! Ainsi, chacun sait que notre œuvre n’est nullement « philosophique », et encore moins « historico-sociale » ; mais, pour la présenter comme telle sans que l’invraisemblance éclate aux yeux des moins avertis, on a bien soin de ne citer que les titres de quelques-uns de nos ouvrages en passant les autres sous silence, et, pour l’un d’eux, on va jusqu’à faire état d’une étiquette qui lui avait été imposée contre notre gré par son premier éditeur, soucieux, pour des raisons purement commerciales, de le faire rentrer tant bien que mal dans une « collection » avec laquelle il n’avait aucun rapport. D’autre part, on croit nous gêner en évoquant de vieilles histoires, dont on voudrait bien donner l’impression qu’elles se rapportent au présent (nous avons déjà eu l’occasion de noter ce procédé frauduleux), et qui nous sont aussi parfaitement indifférentes que si elles ne nous concernaient en rien ; nous n’en aurions pas fini si nous devions attacher une importance quelconque à tous les grades ou titres dont nous gratifièrent jadis de multiples organisations, parmi lesquelles il en est qui n’existèrent probablement jamais que sur le papier ; et, pour celle qui est nommément désignée en la circonstance, nous l’avons nous-même caractérisée dans un de nos livres en les termes les moins flatteurs (Le Théosophisme, ch. XXV, § 2) ; c’est donc nous qui avons le droit de dire : « Alors qui trompe-t-on ? » Si nous avons dû, à une certaine époque, pénétrer dans tels ou tels milieux, c’est pour des raisons qui ne regardent que nous seul ; et de plus, actuellement, pour d’autres raisons dont nous n’avons pas davantage à rendre compte, nous ne sommes membre d’aucune organisation occidentale, de quelque nature qu’elle soit, et nous mettons quiconque au défi d’apporter à l’assertion contraire la moindre justification. Si nous avons répondu favorablement à certaines demandes de collaboration (demandes expresses à nous adressées, et non pas « infiltrations » de notre part, ce qui serait absolument incompatible avec notre caractère), de quelque côté qu’elles soient venues, cela est encore exclusivement notre affaire ; et, quelles que soient les publications où aient paru des articles de nous, que ce soit « en même temps » ou non, nous y avons toujours exposé exactement les mêmes idées, sur lesquelles nous n’avons jamais varié. Nous ne saurions tolérer qu’on dise que nous avons « combattu en apparence » le spiritisme et le théosophisme, dont les partisans semblent bien, en réalité, ne redouter nul autre que nous ; et nous mettons le policier anonyme au défi de citer les « écrits catholiques orthodoxes » dont nous aurions rendu compte dans le Voile d’Isis (revue non pas « occultiste », mais entièrement indépendante) avec des « sarcasmes d’idées et de principes » (sic), car nous ne supposons tout de même pas qu’il puisse s’agir des élucubrations de ses confrères de la R. I. S. S. ! Au surplus, nous ne sommes le « serviteur » de personne ni de rien, si ce n’est de la Vérité ; nous ne demandons rien à qui que ce soit, nous ne travaillons « pour le compte » de personne, et nous nous passons de tout « appui » ; nous avons donc le droit absolu de vivre comme bon nous semble et de résider où il nous convient, sans que nul ait rien à y voir, et nous ne sommes aucunement disposé à admettre la moindre ingérence dans ce domaine. Notre œuvre est d’ailleurs rigoureusement indépendante de toute considération individuelle, et n’a par conséquent rien à faire avec ces choses qui ne peuvent véritablement intéresser personne ; et nous ajoutons même que nous ne voyons pas du tout pourquoi nous serions obligé de vivre toujours dans la peau d’un même personnage, qu’il s’appelle « René Guénon » ou autrement… Quant aux autres assertions contenues dans le rapport de police en question, nous ignorons totalement si telle librairie « abrite un groupement philosophique et métaphysique à tendances ésotériques et théosophiques » ; la seule chose que nous sachions, c’est que, si ce groupement existe vraiment, il ne peut que nous être des plus hostiles ; mais cette insinuation, fondée ou non, aura tout au moins l’utilité de prouver à certains que le mensonge et la trahison ne profitent pas toujours à leurs auteurs… Enfin, nous avons eu la stupéfaction d’apprendre que nous avions « de nombreux amis » en Allemagne ; nous étions loin de nous en douter, car ils ont toujours négligé de se faire connaître à nous, et il se trouve justement que c’est un des rares pays où nous n’ayons aucune relation ; notre policier ne pouvait plus mal tomber ! D’ailleurs, même si cela était, ce ne serait nullement là une raison pour « nous orienter vers l’Allemagne », (ce qui serait plutôt nous « occidenter », comme dit l’autre), car elle ne nous intéresse pas plus que toute autre nation européenne ; d’abord la politique n’est point notre fait, et puis, vus de l’Orient, les peuples occidentaux se ressemblent tous terriblement… Maintenant, pour parler nettement, il n’y a que deux mots qui conviennent pour qualifier de si monstrueuses infamies : ce sont ceux de calomnie et de diffamation ; normalement, de telles histoires doivent mener leurs auteurs devant les tribunaux ; il nous a toujours répugné de recourir à ces moyens, mais, en présence de ce flot montant de boue et d’insanités, nous finirons bien, si grande que soit notre patience, par en avoir assez et par prendre toutes les mesures nécessaires pour que, par la force s’il le faut, on nous laisse enfin la paix à laquelle nous avons le droit le plus incontestable ; qu’on se le tienne pour dit !