Juin 1932

— La Vie Intellectuelle (no du 10 mars) contient un très intéressant article du P. Sertillanges, intitulé L’Apport philosophique du Christianisme d’après M. Étienne Gilson : il reproche à celui-ci de diminuer outre mesure la part de l’antiquité ; il défend contre lui Aristote de l’accusation de « polythéisme », et expose des vues remarquablement justes sur la différence qui existe entre l’« éternité du monde » au sens aristotélicien et l’éternité attribuable à Dieu. Cet article forme un étrange et heureux contraste avec celui du P. Allo paru dans la Vie Spirituelle (revue dont la direction est cependant la même que celle de la Vie Intellectuelle) et dont nous avons eu à nous occuper le mois dernier ; félicitons-nous d’avoir une si prompte occasion de constater qu’il est des Dominicains, et non des moindres, qui ne partagent point l’étroit sectarisme de leur confrère de Fribourg !

Atlantis (no de mars-avril) publie un ensemble de conférences et d’allocutions auquel on a donné pour titre général La Tradition, salut du monde ; rien ne serait plus juste… si ceux qui prétendent parler de la Tradition savaient ce qu’elle est véritablement. M. paul le cour, pour sa part, n’a pas manqué l’occasion de rééditer encore une fois de plus la fameuse citation apocryphe que nous relevions dans notre dernière chronique, et même avec une aggravation, car le mot « assimilé » y est devenu « asservi » ; mais il a eu cette fois la bonne idée de n’en point nommer l’auteur, et même il le désigne de façon si peu adéquate que, si nous n’avions connu d’avance la « citation » en question, nous aurions certainement cru qu’il s’agissait de quelqu’un d’autre. Par ailleurs, il donne la mesure de sa pénétration en présentant comme un « aveu dénué d’artifice », de notre part, une phrase que nous avons écrite précisément pour provoquer un « aveu » chez certains adversaires, ce qui du reste, comme on a pu le voir également le mois dernier, a parfaitement réussi. Au surplus, nous n’avons rien à « avouer » : nous revendiquons très hautement le droit d’être oriental ; comme nous ne contestons nullement à M. paul le cour celui d’être occidental (voire même « français », quoique nous ne voyions pas trop bien ce qu’une question de nationalité peut avoir à faire ici), nous ne lui demandons que la réciproque, tout simplement…

— La Revue Spirite (no d’avril) publie un article de M. Gaston Luce intitulé Orient contre Occident (l’inverse, dans les circonstances présentes, eût mieux répondu à la réalité) ; l’auteur invoque, comme de juste, l’autorité de Gobineau et celle de M. Henri Massis… Voici donc que les spirites se joignent en quelque sorte « officiellement » à la campagne « anti-orientale » ; cette constatation n’est pas pour nous déplaire !

— La revue Hain der Isis (nos de novembre et décembre) a donné une traduction allemande de l’étude de notre collaborateur Avitus sur le Yi-king ; mais cette traduction est demeurée incomplète, la revue ayant suspendu temporairement sa publication.

Die Säule (no 1 de 1932) a commencé également la publication d’un article sur le Yi-king, d’après le livre du sinologue Richard Wilhelm. — Le no 2 de la même revue est entièrement consacré à L’Art enfantin, avec des reproductions de curieux dessins ; mais les rapprochements avec des figurations de l’antiquité égyptienne nous paraissent bien superficiels.

— Dans le Symbolisme (no d’avril), Oswald Wirth, sous le titre Babel et Maçonnerie, déplore la diversité chaotique des rituels, dans laquelle il voit, non sans quelque raison, une marque d’ignorance de la vraie tradition : il se demande « comment en sortir », mais ne trouve finalement aucun remède bien défini à proposer, et nous ne saurions nous en étonner, car le « travail d’approfondissement » dont il parle en termes plutôt vagues n’est guère à la portée des « rationalistes », dont les aptitudes à « sonder le mystère » nous semblent plus que douteuses. — Armand Bédarride parle de La Religion et la Maçonnerie ; il faudrait tout d’abord s’entendre sur le sens précis à donner au mot « religion », et ce ne sont pas les définitions des philosophes profanes, dont la plupart confondent plus ou moins « religion » avec « religiosité », qui peuvent beaucoup contribuer à éclaircir la question. Il y aurait bien à dire aussi sur ce mystérieux « noachisme », qui vient assurément de fort loin, et dont les Maçons actuels ne semblent guère connaître la signification ; mais déjà ceux du xviiie siècle, lorsqu’ils se servirent de ce mot, en savaient-ils beaucoup plus long là-dessus ?

— Dans la Revue Internationale des Sociétés Secrètes, le no du 1er mars (« partie occultiste ») est occupé presque en entier par la traduction d’extraits de l’ouvrage du « Maître Therion », alias Aleister Crowley, sur La Magie en théorie et en pratique, et des Constitutions de l’O. T. O. Vient ensuite une courte note intitulée Précisions, qui a la prétention d’être une mise au point de l’infâme article des Nouvelles critiques d’Ordre reproduit dans le no précédent ; pourquoi n’a-t-elle pas été placée immédiatement à la suite dudit article, si ce n’est qu’il fallait tout d’abord laisser à la calomnie le temps de faire son chemin, sans risquer de l’affaiblir si peu que ce soit ? D’ailleurs, à vrai dire, on ne rectifie pas grand’chose, en ce qui nous concerne du moins, car, par contre, la direction de certaine librairie reçoit toute satisfaction, ce qui ne nous surprend point ; on veut bien cependant reconnaître que nous ne « voyageons » pas… Quant aux « appuis » qu’on nous prête, nous ne nous arrêterons pas à relever des insinuations auxquelles nous nous reconnaissons incapable de comprendre quoi que ce soit ; nous admirerons seulement que ces gens puissent nous croire assez… naïf pour avoir été leur fournir une « clef », en toutes lettres, dans la dédicace d’un de nos livres ; c’est le comble du grotesque ! — Dans le no du 1er avril (« partie occultiste » également), suite des extraits d’Aleister Crowley, dont l’intérêt n’apparaît pas très clairement, et article sur L’Efficience morale nouvelle, sorte d’entreprise « mystico-commerciale » comme il en naît tous les jours en Amérique. La revue des revues et la bibliographie fournissent encore l’occasion de quelques attaques contre nous, mais d’une si lamentable pauvreté que nous n’y perdrons pas notre temps : faut-il être à court d’arguments pour borner le compte rendu des États multiples de l’être à la reproduction d’une phrase par laquelle un universitaire manifestait sa parfaite incompréhension du Symbolisme de la Croix ! Pour ce qui est du reste, nous n’avons pas l’habitude de répondre à des grossièretés ; ajoutons seulement qu’il est bien imprudent d’évoquer le souvenir de l’Élue du Dragon : s’il y a lieu de revenir un jour sur ces « diableries », ce ne sont pas certaines disparitions qui nous en empêcheront… — Est-il vrai que le « Dr G. Mariani » ait trouvé une mort tragique, vers la fin de décembre dernier, dans un accident d’aviation ? S’il en est bien ainsi, ce serait donc à lui-même, et non pas à M. de Guillebert comme nous l’avions pensé, que se rapporterait la mention placée à la fin de son article publié dans le no du 1er février ; mais alors comment se fait-il que la R. I. S. S. n’ait pas annoncé clairement cette nouvelle, ni consacré la moindre note nécrologique à ce « regretté collaborateur » ? Craindrait-elle que la sombre atmosphère de drame dont elle est entourée n’impressionne fâcheusement ses lecteurs ! Quel est encore ce nouveau mystère ?

Il y a bien, dans le no du 1er avril, une phrase où il est parlé de « Mariani » au passé, mais cela ne saurait suffire ; nous ne voulons pourtant pas supposer qu’il ne s’agisse que d’une mort simulée… à la manière du pseudo-suicide d’Aleister Crowley ! Nous attendons des explications sur cette étrange affaire ; et, si elles tardent trop à venir, nous pourrions bien apporter nous-même des précisions en citant nos sources, ce qui ne serait sans doute pas du goût de tout le monde. Quoi qu’il en soit cette « disparition » a suivi de bien près celle de M. de Guillebert ; mais, au fait, pourquoi celui-ci, devenu subitement silencieux à la suite de nos allusions à l’affaire Le Chartier, n’a-t-il attendu que notre article sur Sheth pour mourir ?… Comprendra-t-on enfin, à la rédaction de la R. I. S. S. et ailleurs, qu’il est des choses auxquelles on ne touche pas impunément ?