Octobre 1932
— Atlantis (no de mai-juin) porte comme titre général L’Occultisme, fléau du monde ; comme cela est assez notre avis, nous nous attendions, pour une fois, à pouvoir donner notre approbation. Hélas ! il n’est nullement question d’occultisme là-dedans, mais seulement de sorcellerie et d’arts divinatoires, ce qui est autre chose ; il est curieux de voir à quel point les mots prennent, pour certains, un sens différent de celui qui leur appartient en propre… M. paul le cour a d’ailleurs une étonnante façon d’écrire l’histoire : c’est ainsi que, par exemple, il parle de « Schœpperfer », qui avait été connu jusqu’ici sous le nom de Schrœpfer, et du « spirite Lavater », qui « mourut en 1801 », donc près d’un demi-siècle avant l’invention du spiritisme, sans oublier Lacuria, qui, quoique « décédé en 1890 » (p. 113), « a donné deux éditions de son livre, l’une en 1847, l’autre en 1899 » (p. 114), ce qui constitue apparemment une manifestation posthume d’un genre assez exceptionnel ! Par ailleurs, il invoque contre l’Inde… l’opinion de M. Bergson, qui possède évidemment à ce sujet une compétence toute spéciale ; et, sérieusement, quel poids s’imagine-t-il donc que puisse avoir à nos yeux l’avis d’un « grand penseur » profane ? Tout juste autant que celui d’un vulgaire orientaliste, et ce n’est pas beaucoup dire…
— Dans le Symbolisme (no de juillet), article d’Oswald Wirth intitulé La Propagande initiatique, deux mots qui hurlent de se trouver ainsi accouplés : il paraît que « nous n’en sommes plus aux ères de persécution où le silence s’imposait aux Initiés » ; nous pensons au contraire que ce silence, qui a des raisons bien autrement importantes que la simple prudence, ne s’est jamais imposé aussi fortement que dans les conditions actuelles ; et du reste, pour ce qui est de l’affirmation que « nous avons conquis la liberté de parler », nous avons, quant à nous, d’excellents motifs de la considérer comme une amère plaisanterie… Nous ne voyons d’ailleurs pas à quoi peut conduire la diffusion d’une pseudo-initiation qui ne se rattacherait plus effectivement à rien ; il y a là, au surplus, une incroyable méconnaissance de l’efficacité des rites, et nous citerons seulement cette phrase bien significative : « Les Francs-Maçons ne poussent pas la superstition au point d’attacher une vertu sacramentelle à l’accomplissement de leurs rites. » Précisément, nous les trouvons bien « superstitieux », au sens le plus strictement étymologique, de conserver des rites dont ils ignorent totalement la vertu ; nous nous proposons d’ailleurs de revenir sur cette question dans un prochain article(*). — Signalons aussi l’analyse d’un article hollandais sur Les deux Colonnes, et une note sur Les anciens Landmarks qui ne témoigne pas d’un grand effort de compréhension.
— The Speculative Freemason (no de juillet) contient plusieurs articles intéressants ; l’un d’eux est consacré à un livre intitulé Classical Mythology and Arthurian Romance, par le Prof. C. B. Lewis, qui prétend assigner des « sources classiques » à la légende du Saint Graal, dont les origines devraient être cherchées notamment à Dodone et en Crète (ce qui, à vrai dire, serait plutôt « préclassique ») ; nous pensons, comme l’auteur de l’article, qu’il ne s’agit nullement là d’emprunts, mais que les similitudes très réelles qui sont signalées dans ce livre doivent être interprétées tout autrement, comme des marques de l’origine commune des traditions. — Un autre article, sur les changements apportés au rituel par la Maçonnerie moderne, contient, à l’égard de l’ancienne Maçonnerie opérative et de ses rapports avec la Maçonnerie spéculative, des vues dont certaines sont contestables, mais qui peuvent fournir matière à d’utiles réflexions.
— Sous le titre Biblioteca « Las Sectas », une nouvelle publication antimaçonnique a commencé à paraître à Barcelone sous la forme de volumes trimestriels ; comme ce titre le donne tout de suite à penser, on y retrouve, quant à l’emploi du mot « sectes », les habituelles confusions que nous signalions ici dans un récent article(**) ; mais, cette réserve faite, nous devons reconnaître que le premier volume est, dans son ensemble, d’une tenue bien supérieure à celle des publications françaises du même ordre. Ce qui est curieux, c’est l’étonnante et naïve confiance dont la plupart des rédacteurs font preuve à l’égard des théories de la science moderne, et spécialement de la psychologie ; le premier article, très significatif sous ce rapport, invoque la « psychologie des peuples primitifs » (il est vraiment étrange qu’un écrivain catholique n’aperçoive pas ce qui se cache sous cette façon de désigner les sauvages) et la « psychologie infantile » pour ramener la lutte des « sectes » et du Christianisme à une lutte entre le « mythe » et la « science », ce qui est peut-être ingénieux, mais n’est sûrement rien de plus. Vient ensuite le début d’une longue étude sur le spiritisme ; cette première partie se rapporte d’ailleurs surtout à la « métapsychique », et contient, en ce qui concerne les rapports réels, quoique dissimulés, de celle-ci avec le spiritisme, quelques réflexions qui ne sont pas dépourvues de justesse. Nous noterons encore une étude « psychiatrique » sur Luther, dont on veut prouver « scientifiquement » la folie ; ce n’est certes pas nous qui serons tenté de prendre la défense de ce peu intéressant personnage, mais nous ne pouvons nous empêcher de faire une simple remarque : parmi les arguments invoqués figurent les manifestations diaboliques, naturellement qualifiées à cette fin d’« hallucinations auditives » ; interpréterait-on de la même façon les faits tout semblables qui se rencontrent dans la vie de certains saints ? Sinon, comme c’est probable (et en cela on aurait raison en dépit de la « science »), ne faut-il pas voir là une certaine partialité qui, par une bizarre ironie des mots, se trouve être une des caractéristiques de ce qu’on appelle l’esprit « sectaire » ?
— La Revue Internationale des Sociétés Secrètes (no du 1er juin, « partie occultiste ») ne contient guère autre chose que la suite des extraits de la Magie d’Aleister Crowley. Le no ordinaire du 1er juillet annonce la mort du directeur-fondateur, Mgr Jouin ; celui-là du moins était incontestablement sincère, mais il avait une idée fixe que des gens plus ou moins recommandables surent exploiter constamment pour vivre à ses dépens, et aussi pour se servir de lui comme d’un « pavillon » ; sans doute ignora-t-il toujours ce qui se tramait dans cet étrange milieu ; et que de prétendus chefs ne sont ainsi, en réalité, que de simples victimes ! — Dans ce même no, nous relèverons, pour servir à l’histoire anecdotique de la « défense de l’Occident », quelques amabilités à l’adresse des disciples de Sédir, et de nouveaux éloges, plus pompeux que jamais, décernés à M. Gabriel Huan.
— Précisément, dans le no d’avril de Psyché, qui ne nous est parvenu que très tardivement, ce même M. Gabriel Huan a consacré à l’Ontologie du Vêdânta du P. Dandoy un article fort élogieux, cela va de soi, mais qui donne lieu à une remarque bien curieuse : le nom de l’auteur n’y figure qu’en caractères ordinaires, tandis que celui du traducteur est imprimé en capitales ; n’avions-nous pas raison de dire que la « présentation » avait, dans ce cas spécial, plus d’importance que le livre lui-même ? Ce no contient en outre, vers la fin, un compte rendu du même livre (bis repetita placent), où on a inséré en caractères gras un fragment de la soi-disant approbation du pandit, dont on prétend faire la « reconnaissance explicite » des « différences essentielles qui séparent les deux traditions » orientale et occidentale, ce qui est proprement stupéfiant ; ce que nous avons écrit au sujet de cette manœuvre assez peu loyale n’était, on le voit, que trop justifié !