Octobre 1933
— La Nouvelle Revue Française (numéro du 1er août) publie un court article de M. P. Masson-Oursel intitulé Le Symbolisme eurasiatique de la porte, et inspiré des travaux d’un orientaliste allemand nommé Hertel. Il est question là-dedans des « portes du ciel » ; on devrait donc s’attendre à ce qu’il y soit parlé surtout du symbolisme des portes solsticiales, mais il n’en est pas même fait la moindre mention ! Au surplus, si habitués que nous soyons aux manifestations d’une certaine incompréhension, nous devons dire que les interprétations que nous trouvons là dépassent toutes les bornes permises, et nous ne concevons même pas comment on ose appeler cela du « symbolisme » ; il est vrai que Freud lui-même se prétend aussi « symboliste » à sa façon… À tous ceux qui seraient tentés de croire qu’il y a quelque exagération dans les appréciations que nous avons formulées maintes fois sur le compte des orientalistes, nous recommandons vivement la lecture de ces quelques pages ; ils seront pleinement édifiés !
— Le numéro de mai-juin d’Atlantis a pour sujet principal Les Touareg et l’écriture berbère ; il ne renferme rien de bien « sensationnel », et le premier article, signé Maurice Benhazéra, est même d’esprit fort profane. Reconnaissons d’ailleurs qu’il serait assez difficile de dire des choses bien précises sur cette question plutôt obscure ; ce n’est pourtant pas une raison pour vouloir, comme le fait M. paul le cour, trouver l’ennéade dans le nom d’Athéna ! — Le numéro de juillet-août est consacré, pour la plus grande partie, à une étude sur Les poèmes homériques et l’Atlantide ; pour parler plus exactement, il s’agit de la localisation d’une partie des voyages d’Ulysse hors de la Méditerranée : ce serait un beau sujet pour qui serait capable de le traiter autrement qu’avec son imagination ; mais nous devons, pour cette fois, renoncer à relever les fantaisies linguistiques et historiques de M. paul le cour, car il y en a vraiment trop ! Signalons seulement que, le nom d’Ulysse étant en grec Odusseus et non Ulysseus, il est plutôt difficile de le rattacher à ceux d’Élysée et d’Éleusis, ainsi qu’à Hélios et « à la racine nordique Hel signifiant saint, sacré » (mais, en anglais, hell signifie aussi « enfer »…) ; mais le comble, c’est qu’il paraît que « ces noms ont d’évidents rapports (!) avec le mot élu »,… lequel dérive tout simplement d’e-ligere. Il y a aussi, dans le même genre de « philologie amusante », un rapprochement entre le mot Okeanos et le nom d’Hénoch, que, dit naïvement l’auteur, « personne ne semble encore avoir remarqué »,… et pour cause ! N’oublions pas de noter, d’autre part, que le directeur d’Atlantis, en célébrant Phé Bus au dernier solstice d’été, a trouvé moyen de parler encore beaucoup du Hiéron de Paray-le-Monial…
— Une nouvelle revue trimestrielle intitulée Hermès paraît à Bruxelles ; en dépit de son titre, elle n’a rien d’hermétique, étant presque exclusivement consacrée à la mystique et à la poésie. Le premier numéro (juin) contient cependant une Note sur le Yoga, signée Jacques Masui, et qui est d’un caractère plutôt « mêlé », ce dont on ne saurait s’étonner si l’on se reporte aux références qui y sont indiquées. — M. Georges Méautis intitule Les Mystères d’Éleusis et la science moderne un petit article dans lequel il se borne à donner un aperçu des idées que quelques auteurs des xviiie et xixe siècles se sont faites au sujet des Mystères ; ce n’est pas d’un intérêt bien considérable…
— Une nouvelle revue également en Italie : Il Mistero, « revue mensuelle de psychophanie (?) et de vulgarisation des études psychiques et spirites », paraissant à Milan. Le sous-titre nous dispense de tout commentaire ; notons seulement la reproduction, commencée dans le premier numéro (juillet), de la fameuse « prophétie des Papes » attribuée à saint Malachie.
— Dans Die Säule (no 4 de 1933), une étude sur le Confucianisme, insistant particulièrement sur le rôle qui y est attribué à la musique, et un article sur « Gœthe et les pierres précieuses ».
— Dans le Grand Lodge Bulletin d’Iowa (numéro de juin), fin de l’étude déjà signalée sur le cable-tow.
— Dans le numéro de juin du Symbolisme, Oswald Wirth intitule son article L’Erreur occultiste ; ce titre est excellent, et nous l’avions nous-même envisagé depuis longtemps pour un livre qui eût été en quelque sorte parallèle à L’Erreur spirite, mais que les circonstances ne nous laissèrent jamais le loisir d’écrire. Malheureusement, le contenu de l’article vaut beaucoup moins que le titre ; il se réduit à de vagues généralités qui ne prouvent pas grand’chose, si ce n’est que l’auteur se fait de l’initiation une idée qui, pour être différente de celle des occultistes, n’est pas beaucoup plus exacte ; il va même jusqu’à écrire qu’« il a bien fallu que le premier initié s’initie lui-même », ce qui indique une totale méconnaissance de l’origine et de la nature « non-humaines » de l’initiation. — Il aggrave d’ailleurs singulièrement son cas dans l’article suivant (numéro de juillet), qui a pour titre La Vertu des Rites, et où il déclare tout net que « l’initiation est humaine et ne se donne pas comme d’institution divine » ; et, pour mieux montrer qu’il n’y entend rien, il dit encore que « les rites initiatiques sont laïques » (!), ce qui ne l’empêche d’ailleurs pas d’ajouter, quelques lignes plus loin, et sans souci de la contradiction, que « les initiations sacerdotales ont joué un grand rôle dans le passé ». Il s’imagine, au surplus, que les « Grands Mystères » de l’antiquité étaient « ceux de l’au-delà », ce qui ressemble un peu trop au spiritisme, et que, à Éleusis, il s’agissait du « salut de l’âme après la mort », ce qui, sans même parler de l’anachronisme de l’expression, est uniquement l’affaire de la religion exotérique. Il confond encore magie et religion, deux choses qui n’ont aucun rapport entre elles ; et il paraît aussi confondre « sacerdoce » avec « clergé », ce qui, après tout, est peut-être sa meilleure excuse… Nous nous en voudrions d’insister davantage : ce qui est dit de la transmission initiatique et de l’« influence spirituelle » témoigne d’une incompréhension qu’il serait difficile de pousser plus loin ; il y a là des négations qui sont vraiment terribles,… mais seulement pour leur auteur ; et, en lisant certaines phrases sur les « rites laïquement accomplis » (nous traduirons volontiers : « accomplis par des ignorants », ce qui, hélas ! serait aussi conforme à la vérité qu’au sens originel du mot), nous ne pouvons nous empêcher de penser que M. Homais n’est pas mort ! — Dans le numéro d’août-septembre, un autre article intitulé Le Signal de la Tour, par W. Nagrodski, fait encore écho aux précédents, mais sur un ton quelque peu équivoque ; il est assez difficile, en effet, de savoir exactement ce que veut dire quelqu’un qui, se croyant capable de juger de ce qu’il ignore d’après ce qu’il connaît, met sur le même plan des choses fort différentes ; en tout cas, la façon haineuse dont il est parlé de la « tradition », et l’insistance toute « primaire » avec laquelle le mot « cerveau » revient à tout propos, indiquent suffisamment de quel esprit procèdent ces réflexions… Mais nous nous demandons si c’est sans malice et par simple inadvertance que l’auteur, en terminant, met « Maître Oswald Wirth » en contradiction avec lui-même, en rappelant assez inopportunément qu’il a recommandé dans ses propres livres, à titre de « choix de lectures », nombre d’ouvrages de ces mêmes occultistes qu’il dénonce aujourd’hui avec tant de véhémence dans le Symbolisme ! — Notons encore, dans ce dernier numéro, sous le titre de Mysticisme et Philosophie et la signature de « Diogène Gondeau », un dialogue… qui n’a certes rien de platonicien : comparaisons de caserne, éloge non déguisé du « terre-à-terre », platitudes et pauvretés sur toute la ligne…
— La Revue Internationale des Sociétés Secrètes, dans son numéro du 1er juin, annonce la suppression de sa « partie occultiste », faute d’abonnés… et de rédacteurs ; elle évoque à cette occasion le souvenir « des deux collaborateurs de grand talent et particulièrement compétents en occultisme, M. H. de Guillebert et le Dr Mariani, qui assuraient à eux seuls la composition de ce supplément, et qui malheureusement disparurent en 1932 ». Franchement, il faut un certain… courage, après ce que savent nos lecteurs au sujet de cette histoire, pour oser rappeler ainsi la « disparition » de l’« ex-Mariani » ! D’autre part, le « supplément » avait bien continué à paraître pendant plus d’un an sans les deux collaborateurs susdits ; et ceci nous amène à constater qu’il est encore une autre disparition plus récente, mais dont on ne souffle mot… Aussi nous risquerons-nous à poser une question, peut-être fort indiscrète dans sa simplicité : qu’est donc devenu M. Raymond Dulac ?
— Les Nouvelles littéraires (numéro du 27 mai) ont publié une interview au cours de laquelle M. Elian J. Finbert a jugé bon de se livrer sur notre compte à des racontars aussi fantaisistes que déplaisants. Nous avons déjà dit bien souvent ce que nous pensons de ces histoires « personnelles » : cela n’a pas le moindre intérêt en soi, et, au regard de la doctrine, les individualités ne comptent pas et ne doivent jamais paraître ; en outre de cette question de principe, nous estimons que quiconque n’est pas un malfaiteur a le droit le plus absolu à ce que le secret de son existence privée soit respecté et à ce que rien de ce qui s’y rapporte ne soit étalé devant le public sans son consentement. Au surplus, si M. Finbert se complaît à ce genre d’anecdotes, il peut facilement trouver parmi les « hommes de lettres », ses confrères, bien assez de gens dont la vanité ne demande qu’à se satisfaire de ces sottises, pour laisser en paix ceux à qui cela ne saurait convenir et qui n’entendent point servir à « amuser » qui que ce soit. Quelque répugnance que nous éprouvions à parler de ces choses, il nous faut, pour l’édification de ceux de nos lecteurs qui auraient eu connaissance de l’interview en question, rectifier tout au moins quelques-unes des inexactitudes (pour employer un euphémisme) dont fourmille ce récit saugrenu. Tout d’abord, nous devons dire que M. Finbert, lorsque nous le rencontrâmes au Caire, ne commit point la grossière impolitesse dont il se vante : il ne nous demanda pas « ce que nous venions faire en Égypte », et il fit bien, car nous l’eussions promptement remis à sa place ! Ensuite, comme il nous « adressait la parole en français », nous lui répondîmes de même, et non point « en arabe » (et, par surcroît, tous ceux qui nous connaissent tant soit peu savent comme nous sommes capable de parler « avec componction » !) ; mais ce qui est vrai, nous le reconnaissons volontiers, c’est que notre réponse dut être « hésitante »,… tout simplement parce que, connaissant la réputation dont jouit notre interlocuteur (à tort ou à raison, ceci n’est pas notre affaire), nous étions plutôt gêné à la pensée d’être vu en sa compagnie ; et c’est précisément pour éviter le risque d’une nouvelle rencontre au-dehors que nous acceptâmes d’aller le voir à la pension où il logeait. Là, il nous arriva peut-être, dans la conversation, de prononcer incidemment quelques mots arabes, ce qui n’avait rien de bien extraordinaire ; mais ce dont nous sommes parfaitement certain, c’est qu’il ne fut aucunement question de « confréries » (« fermées » ou non, mais en tout cas nullement « mystiques »), car c’est là un sujet que, pour de multiples raisons, nous n’avions pas à aborder avec M. Finbert. Nous parlâmes seulement, en termes très vagues, de personnes qui possédaient certaines connaissances traditionnelles, sur quoi il nous déclara que nous lui faisions entrevoir là des choses dont il ignorait totalement l’existence (et il nous l’écrivit même encore après son retour en France). Il ne nous demanda d’ailleurs pas de le présenter à qui que ce soit, et encore bien moins de « le conduire dans les confréries », de sorte que nous n’eûmes pas à le lui refuser ; il ne nous donna pas davantage « l’assurance qu’il était initié (sic) depuis fort longtemps à leurs pratiques et qu’il y était considéré comme un Musulman » (!), et c’est fort heureux pour nous, car nous n’aurions pu, en dépit de toutes les convenances, nous empêcher d’éclater de rire ! À travers la suite, où il est question de « mystique populaire » (M. Finbert paraît affectionner tout spécialement ce qualificatif), de « concerts spirituels » et autres choses exprimées de façon aussi confuse qu’occidentale, nous avons démêlé sans trop de peine où il avait pu pénétrer : cela est tellement sérieux… qu’on y conduit même les touristes ! Nous ajouterons seulement que, dans son dernier roman intitulé Le Fou de Dieu (qui a servi de prétexte à l’interview), M. Finbert a donné la juste mesure de la connaissance qu’il peut avoir de l’esprit de l’Islam : il n’est pas un seul Musulman au monde, si magzûb et si ignorant qu’on veuille le supposer, qui puisse s’imaginer reconnaître le Mahdî (lequel ne doit nullement être « un nouveau Prophète ») dans la personne d’un Juif... Mais on pense évidemment (et non sans quelque raison, hélas !) que le public sera assez... mughaffal pour accepter n’importe quoi, dès lors que cela est affirmé par « un homme qui vint de l’Orient »,… mais qui n’en connut jamais que le « décor » extérieur. Si nous avions un conseil à donner à M. Finbert, ce serait de se consacrer à écrire des romans exclusivement juifs, où il serait certes beaucoup plus à l’aise, et de ne plus s’occuper de l’Islam ni de l’Orient,… non plus que de nous-même. Shuf shughlek, yâ khawaga !
— Autre histoire de tout aussi bon goût : M. Pierre Mariel, l’intime ami de « feu Mariani », a fait paraître récemment dans Le Temps une sorte de roman-feuilleton auquel il a donné un titre beaucoup trop beau pour ce dont il s’agit : L’esprit souffle où il veut, et dont le but principal semble être d’exciter certaines haines occidentales ; nous ne le féliciterons pas de se prêter à cette jolie besogne… Nous n’aurions pas parlé de cette chose méprisable s’il n’avait profité de l’occasion pour se permettre à notre égard une insolence toute gratuite, qui nous oblige à lui répondre ceci : 1o nous n’avons pas à lui dire ce que nous avons pu « franchir » ou non, d’autant plus qu’il n’y comprendrait certainement rien, mais nous pouvons l’assurer que nous ne faisons nulle part figure de « postulant » ; 2o sans vouloir médire le moins du monde des Senoussis, il est permis de dire que ce n’est certes pas à eux que doivent s’adresser ceux qui veulent « recevoir des initiations supérieures » ; 3o ce qu’il appelle, avec un pléonasme assez comique, « les derniers degrés de l’échelle initiatique soufi » (sic), et même des degrés qui sont encore loin d’être les derniers, ne s’obtiennent point par les moyens extérieurs et « humains » qu’il paraît supposer, mais uniquement comme résultat d’un travail tout intérieur, et, dès lors que quelqu’un a été rattaché à la silsilah, il n’est plus au pouvoir de personne de l’empêcher d’accéder à tous les degrés s’il en est capable ; 4o enfin, s’il est une tradition où les questions de race et d’origine n’interviennent en aucune façon, c’est certainement l’Islam, qui, en fait, compte parmi ses adhérents des hommes appartenant aux races les plus diverses. Par ailleurs, on retrouve dans ce roman tous les clichés plus ou moins ineptes qui ont cours dans le public européen, y compris le « Croissant » et l’« étendard vert du Prophète » ; mais quelle connaissance des choses de l’Islam pourrait-on bien attendre de quelqu’un qui, tout en prétendant évidemment se rattacher au Catholicisme, connaît assez mal celui-ci pour parler d’un « conclave » pour la nomination de nouveaux cardinaux ? C’est même sur cette « perle » (margaritas ante porcos…, soit dit sans irrévérence pour ses lecteurs) que se termine son histoire, comme s’il fallait voir là… la « marque du diable » !