Janvier 1934
— La Revue Universelle (numéro du 1er octobre) publie une étude de M. Ernst-Robert Curtius sur Balzac et le « Magisme » ; le mot n’est peut-être pas très heureux, bien que Balzac l’ait employé lui-même, car il peut prêter à équivoque ; en fait, il s’agit de l’ésotérisme en général. L’exposé manque un peu de netteté sur certains points : le point de vue de l’ésotérisme et celui de la philosophie profane n’y sont pas aussi entièrement séparés qu’ils devraient l’être, et la notion du symbolisme y semble quelque peu nébuleuse ; néanmoins, dans l’ensemble, cela ne manque pas d’intérêt. — Dans le même numéro, un article de M. Louis Bertrand, intitulé La Terreur barbare, contient incidemment quelques attaques contre l’Orient, ce qui n’est pas pour nous étonner de la part de son auteur. Celui-ci, parlant des idées traditionnelles orientales, écrit cette phrase où éclate toute la fatuité occidentale : « Ces idées, ils (les Orientaux) les avaient complètement oubliées depuis des millénaires, ils ont dû les rapprendre de nous, de nos sinologues ou de nos sanscritisants, elles leur sont revenues transformées et sans doute développées et augmentées par l’esprit européen qui les a repensées. » Non, les Orientaux n’avaient rien oublié de leurs idées ; ceux d’entre eux qui aujourd’hui les ont oubliées, ce sont ceux qui ont subi une éducation occidentale, ceux-là mêmes, car il y en a malheureusement quelques-uns, qui se sont mis à l’école de vos orientalistes, et qui sont, à cet égard, les pires des ignorants ; et comment les orientalistes pourraient-ils leur apprendre ce dont eux-mêmes n’ont jamais compris le premier mot ? Ce qui est bien vrai, c’est que l’« esprit européen » a en effet « repensé » ces idées, mais de la plus malencontreuse façon : loin de les avoir « développées et augmentées », il les a tout au contraire, non seulement rapetissées à sa mesure, mais atrocement dénaturées, au point que ce qu’il en présente (qu’il s’agisse d’ailleurs des orientalistes ou des théosophistes) n’est en réalité qu’une odieuse caricature… Mais nous nous souvenons que M. Louis Bertrand, qui aujourd’hui ne perd pas une occasion d’injurier et de calomnier l’Orient en général et l’Islam en particulier, a eu jadis une tout autre attitude ; il est vrai que c’était pendant la guerre ; dans l’un et l’autre cas, pour le compte de qui travaille-t-il donc ?
— Le numéro de septembre-octobre d’Atlantis porte le titre général de Racisme ; cette question est actuellement « à la mode ». Il y a là des articles somme toute raisonnables, bien que certaines des idées qu’ils contiennent puissent prêter à discussion ; mais il y a aussi, hélas ! M. paul le cour, qui se livre comme toujours à une débauche de linguistique à sa façon, prend l’upsilon pour un gamma, croit trouver une similitude entre âryen et Aryane (qui, malheureusement pour lui, ne s’est jamais écrit autrement qu’Ariane ou Ariadne), réédite son mauvais calembour sur le labyr-inthe ou « labeur intérieur », s’imagine découvrir son fameux Aor-Agni dans les noms les plus variés (y compris celui du cap Gris-Nez), et, pour comble, confond l’orientaliste Adolphe Pictet, inventeur de la « race âryenne », avec… le chimiste Raoul Pictet ! Il consacre en outre une note au swastika, dans lequel il s’entête à voir le « symbole de la force », et qu’il identifie bizarrement au marteau de Thor (alors que celui-ci, en réalité, n’est autre que le vajra) ; et il ne manque pas de parler à ce propos de Shiva, « le destructeur », suivant l’habituel cliché occidental, tout en assurant que « l’Inde ne connut que tardivement » le swastika, comme s’il pouvait bien en savoir quelque chose !
— L’Illustration (numéro du 4 novembre) publie aussi un article sur « la svastika » (sic), sous ce titre : D’où vient la croix gammée ? On y retrouve donc la confusion habituelle, et il semble décidément que personne ne sache ce qu’est en réalité la « croix gammée » (appelée gammadion en grec, et non pas en français) ; cette confusion n’est d’ailleurs pas la seule, car, dans une énumération de prétendus synonymes, nous voyons ici notamment la « croix pattée », qui, en héraldique, est encore tout autre chose. Le principal intérêt de l’article est dans les figures qui l’accompagnent ; quant à la thèse qui y est soutenue, elle consiste essentiellement à prétendre que le swastika est venu d’Asie Mineure et s’est répandu de là, par des « migrations » successives, jusque dans les contrées les plus éloignées ; ceci est appuyé par une « chronologie » qui ne peut, cela va de soi, être qu’ultra-fantaisiste, et l’appel à l’autorité de Goblet d’Alviella n’est certes guère fait pour nous rassurer sur sa valeur. Nous pensions que la manie de tout faire sortir de l’Asie Mineure avait enfin disparu ; il faut croire qu’il n’en est rien, puisque, ici, on va jusqu’à affirmer qu’elle fut la patrie d’origine des Ibères eux-mêmes ! Il est vrai qu’il s’agit surtout, en réalité, de nier à tout prix l’origine nordique du swastika, uniquement par opposition aux conceptions hitlériennes ; quand la politique s’en mêle, le souci de la vérité risque fort de passer au dernier plan !
— Le numéro d’avril du Speculative Mason (qui ne nous était pas parvenu en son temps) contient un intéressant article sur Les sept arts libéraux, où il y a des vues très justes sur la véritable signification des sciences chez les anciens, si différente de la conception toute profane des modernes, ainsi que de curieuses considérations sur la valeur numérique de certains mots grecs. Signalons aussi un article sur le T/ B/ (tracing board ou tableau de la Loge) du troisième degré, où nous regrettons seulement de trouver un rapprochement fantaisiste entre acacia et âkâsha. — Dans le numéro d’octobre, un article est consacré au symbolisme de la cérémonie d’initiation au second degré ; un autre, intitulé Étrangers et Pèlerins, montre l’analogie assez frappante qui existe entre le Pilgrim’s Progress de John Bunyan et les différentes phases de l’initiation maçonnique.
— Dans le Grand Lodge Bulletin d’Iowa (numéro d’octobre), étude sur le tablier maçonnique.
— Dans le Symbolisme (no de novembre), Oswald Wirth parle du Travail maçonnique… sans sortir d’un point de vue psychologique et moral qui, quoi qu’il en dise, n’est guère « du ressort de l’Initiation » ; ce pourrait être là, tout au plus, le commencement d’un travail préparatoire, ne conduisant même pas encore jusqu’au seuil des « petits Mystères ». — Sous le titre : Éclaircissons un problème, Armand Bédarride pose la question de la méthode du travail maçonnique ; il s’élève très justement contre l’empirisme qui prétend que toute connaissance vient de l’extérieur, et il montre que le travail initiatique a au contraire son point de départ à l’intérieur même de l’être humain ; il est seulement fâcheux qu’il se croie obligé d’emprunter si souvent des citations à des philosophes profanes, incompétents par définition même, et dont l’avis, par conséquent, ne saurait avoir ici aucune importance. — W. Nagrodski, pour calmer l’inquiétude que son précédent article avait causée aux lecteurs du Symbolisme, s’efforce de justifier sa position… par des citations d’Éliphas Lévi.
— La Revue Internationale des Sociétés Secrètes (numéro du 15 novembre) commence la publication, à l’occasion de la mort de Mme Annie Besant, d’un long article qui est, pour la plus grande partie, un résumé de notre Théosophisme, d’ailleurs assez bien fait et généralement exact (il y a seulement une erreur de quelque importance : ce n’est pas Mme Besant qui convoqua le « Parlement des Religions » à Chicago en 1893 ; elle ne fit qu’en profiter largement pour la propagande des idées théosophistes) ; mais pourquoi faut-il que nous soyons obligé de redire encore une fois que le Voile d’Isis n’est pas une revue « occultiste » ?
— Les Études Carmélitaines (numéro d’octobre) ne sont pas contentes que nous ayons démasqué les intentions qui ont présidé à la publication de certains articles tendant à travestir les doctrines orientales en « mysticisme » (voir le Voile d’Isis de juillet 1932) ; elles tentent de s’en venger par un compte rendu hargneux (et un peu tardif) du Symbolisme de la Croix. À voir la façon dont il est question là-dedans de « syncrétisme » et de « panthéisme », on pourrait se demander à quoi servent nos rectifications et nos mises au point ; mais la vérité est que nous les faisons pour les lecteurs de bonne foi, non pour les contradicteurs de parti pris. Le reste est négligeable : nous ne voyons pas ce que nous pourrions bien avoir à faire avec l’« esprit latin », qui nous est totalement étranger pour plus d’une raison ; et il faut vraiment que l’auteur de l’article ait été bien à court d’arguments pour en arriver finalement à reproduire les… niaiseries du P. Allo ! N’oublions pas cependant de noter qu’il tient pour « explication bizarre » toute interprétation de l’Évangile dans un sens supérieur ; évidemment, il est encore de ceux qui n’admettent pas qu’on y puisse trouver autre chose que les platitudes de la morale ; belle façon de défendre le Christianisme ! Les gens de cette sorte ne peuvent s’empêcher d’essayer de salir tout ce qui les dépasse ; mais ils auront beau faire, ils ne sauraient y réussir : la Vérité est trop haute pour eux !