Décembre 1935
— Dans le Journal of the Indian Society of Oriental Art (no de juin 1935), M. Ananda K. Coomaraswamy a publié un intéressant article sur L’opération intellectuelle dans l’art indien, insistant surtout sur le rôle qu’y joue la « vision contemplative » (yoga-dhyâna), et non pas l’observation directe des choses naturelles, et montrant combien cette conception, proche de celle du moyen âge occidental, est par contre opposée à celle des modernes, pour qui l’œuvre d’art est uniquement destinée à procurer un plaisir d’ordre sensible.
— Dans le Journal of the American Oriental Society (vol. 55, no 3), le même auteur étudie les différents sens du mot sanscrit chhâyâ, qui signifie d’abord « ombre », et ensuite « reflet » et « ressemblance » ; à cette occasion, de remarquables similitudes sont indiquées entre la tradition védique et la tradition chrétienne, et cela, comme le dit très justement l’auteur, « non pas pour démontrer des “influences”, mais pour rappeler qu’il n’y a dans la doctrine védique rien d’exceptionnel, et que la voix de la tradition est partout la même ».
— La revue Yoga est l’organe d’un Yoga Institute dont l’organisation nous paraît bien « moderne », et qui, bien qu’il ait son siège dans l’Inde, comprend dans son comité une assez forte proportion d’éléments occidentaux. Dans le no de juin-juillet, nous trouvons un article sur la « réalisation du Soi » d’un caractère plutôt élémentaire, et dont la terminologie n’est pas parfaitement claire, notamment en ce qui concerne l’emploi des mots « métaphysique » et « mysticisme » ; un autre énumère les textes permettant aux femmes l’étude du Yoga, ce qui est une question fort controversée ; il y a également l’indication de quelques exercices, avec une visible préoccupation de les adapter aux capacités des lay students (lay pourrait assez bien se traduire par « profane ») ; et il semble que le point de vue physiologique et thérapeutique joue aussi là-dedans un assez grand rôle.
— Le Larousse mensuel (no d’octobre) publie un assez long article sur La pensée indienne ; à vrai dire, il s’agit plutôt de la pensée des orientalistes sur les doctrines indiennes, car ce n’est en somme qu’un consciencieux résumé de leurs opinions les plus courantes à ce sujet : on retrouve là leur conception « évolutionniste », leur chronologie plus que contestable, leurs étiquettes philosophiques appliquées à tort et à travers, et de nombreuses interprétations fantaisistes que nous ne pouvons relever dans le détail. Au début, l’auteur déclare que, « pour comprendre les philosophies (sic) de l’Inde, il faut renoncer aux habitudes intellectuelles de l’Occident chrétien » ; il eût été beaucoup plus juste de dire qu’il faut renoncer surtout à celles de l’Occident moderne, lequel n’a certes rien de chrétien ! Les illustrations qui accompagnent cet article valent mieux que le texte, dont les lecteurs ne pourront malheureusement tirer que des notions bien peu exactes sur les doctrines hindoues et même bouddhiques.
— La revue Visages du Monde consacre aussi à l’Inde son no de septembre-octobre, abondamment et fort bien illustré ; mais ici les articles ont un caractère purement descriptif et « pittoresque » ; il n’y a donc rien à redire, sauf pourtant à quelques notes sur les temples où l’on semble avoir voulu faire montre d’un esprit « plaisant », qui est d’assez mauvais goût.
— Dans Atlantis (no de juillet-août), M. paul le cour parle d’un voyage qu’il a fait au Portugal et aux Açores, à la recherche des vestiges de l’Atlantide ; les résultats n’en semblent pas bien « sensationnels »… Il a pourtant fait une découverte : c’est que le serpent symbolique qui se retrouve dans de nombreuses traditions doit avoir été primitivement une anguille, « poisson de l’Atlantide » ; et il en prend prétexte pour partir encore en guerre contre l’Inde (curieusement désignée par lui comme l’Extrême-Orient), qui « ignore Aor » et « n’a conservé que le symbole d’Agni sous la figure répugnante (!) du serpent cobra » ; toute question de goût esthétique à part, on perdrait sans doute son temps à lui expliquer que ledit serpent n’a absolument rien à voir avec Agni et aussi qu’il est tout naturel que la tradition hindoue ne s’exprime pas en hébreu… Mais du moins ferait-il bien de relire attentivement les premiers versets de la Genèse : il s’apercevrait peut-être qu’on n’y voit pas « la lumière flotter sur les eaux » ! Notons encore quelques autres trouvailles moins importantes, comme le rapport du nom de la mer des Sargasses avec le grec sarx, « chair », qui serait aussi celui du poulpe (nous nous souvenons qu’il avait donné jadis une explication quelque peu différente, suivant laquelle il fallait d’abord traduire « chair » par « pulpe » pour arriver au « poulpe »,… lequel, à la vérité, vient tout simplement de polupous), ou celui du mot corrida, dont la dérivation latine est bien évidente, avec le nom de la divinité celtique Corridwen ! — Dans le no de septembre-octobre, M. paul le cour sacrifie à l’« actualité » en parlant de L’Éthiopie et l’Atlantide : il fait d’ailleurs complètement fausse route en cherchant à désigner certains prétendus responsables du présent conflit : mais ce qui est vraiment bien curieux, c’est de voir ce « défenseur de l’Occident » prendre parti pour l’Éthiopie, juste au moment où d’autres, précisément au nom de la « défense de l’Occident », viennent de lancer un manifeste en sens contraire ; que ne se mettent-ils d’accord entre eux ? Encore une petite remarque : il paraît que les Atlantes auraient été appelés parfois Éthiopiens ; en admettant que ce soit exact, faut-il en conclure que « les Atlantes ne pouvaient être qu’une race noire » (ce qui, soit dit en passant, contredirait d’ailleurs formellement leur prétendue identification avec les Hyperboréens) ? Les Chinois aussi se désignent eux-mêmes sous le nom de « têtes noires » ; sont-ils de race noire pour cela ? Il est fâcheux, pour quelqu’un qui se pique d’« hermétisme », de n’avoir pas songé à rapprocher de semblables désignations de l’antique nom de Kemi, et, par suite, du nom même de l’« alchimie » !
— Dans le Speculative Mason (no d’octobre), la suite de l’étude sur les Culdées conduit à l’examen de leurs rapports avec le Saint Graal, en tant qu’ils forment un lien entre les deux traditions druidique et chrétienne, et plus spécialement pour avoir conservé le symbolisme du « chaudron » ou vaisseau sacré des Druides, et aussi avec la Maçonnerie, soit comme constructeurs au sens littéral du mot, soit par certaines particularités de leur rituel, et par les allusions qui y sont faites à une cérémonie de « mort et résurrection » comparable à ce qu’on trouve également dans les mystères antiques. Un autre article reproduit, avec quelques commentaires, un document maçonnique publié en 1730, et qui paraît se rapporter à la Maçonnerie opérative telle qu’elle était pratiquée vers le début du xviiie siècle.
— Dans le Grand Lodge Bulletin d’Iowa (no de septembre), une étude est consacrée aux débuts de la Grande Loge d’Angleterre, et montre l’obscurité dont leur histoire est entourée : bien que la Grande Loge ait été organisée en 1717, ses procès-verbaux ne commencent qu’à la réunion du 24 juin 1723 ; dans les Constitutions de cette même année 1723, il n’est rien dit de son organisation, et c’est seulement dans l’édition de 1738 qu’Anderson ajouta une histoire de ses premières années, qui, au surplus, diffère sur beaucoup de points de ce qu’on en connaît par ailleurs ; n’y aurait-il pas eu quelques bonnes raisons pour envelopper ainsi de mystère le passage de la Maçonnerie opérative à la Maçonnerie spéculative ?
— Dans le Symbolisme (no d’octobre), Armand Bédarride traite de La mort du Compagnon ; il s’agit de la « seconde mort » initiatique, mais envisagée d’une façon plutôt superficielle, comme si elle était simplement une « métamorphose psychologique à opérer dans la pratique de la vie », ce qui est assurément une notion fort insuffisante. Signalons aussi une étude de R. Salgues sur L’Étoile Flamboyante, canon de l’esthétique, qui est inspirée surtout des travaux de M. Matila Ghyka sur le Nombre d’or.