Juin 1936
— Synthesis, nouvelle publication dirigée par M. Félix Vályi, déclare « s’inspirer résolument d’un principe métaphysique », et se propose pour but un rapprochement intellectuel et spirituel entre les différentes civilisations ; ces intentions méritent assurément une entière approbation. Nous craignons seulement qu’il n’y ait quelques illusions sur le rôle que les orientalistes peuvent jouer à cet égard, et aussi que l’« éclectisme » ne soit poussé un peu trop loin. Parmi les articles d’un caractère très varié, en français et en anglais, que contient le premier volume, il en est dont la juxtaposition est quelque peu contradictoire : ainsi, à côté d’un article protestant très justement contre l’imitation de l’Occident dans le monde islamique, n’est-il pas regrettable d’en rencontrer un autre qui préconise la « sécularisation » de la législation de l’Inde, c’est-à-dire la suppression radicale de tout ce qui lui confère un caractère traditionnel ? — Signalons, comme plus particulièrement intéressant à notre point de vue, un article intitulé Comment interpréter les termes philosophiques hindous, par Mme Betty Heimann, qui représente un réel effort de compréhension ; malheureusement, les résultats en sont de valeur assez inégale, étant parfois affectés par l’idée même qu’il s’agit de « philosophie », et aussi par une notion de « dynamisme » qui n’est pas des plus claires ; mais cela n’empêche qu’il y a là des vues très dignes de remarque sur certains points, notamment sur le rôle essentiel de la racine verbale, ainsi que sur la valeur propre du rythme et du son. — Sous le titre Fundamentals in Buddhist thought, M. Bruno Petzold donne une importante étude dans laquelle il s’efforce d’élucider les principales notions du Bouddhisme, suivant le point de vue du Mahâyâna, en prenant comme plan la division du Triratna (Buddha, Dharma, Sangha), et en s’inspirant principalement des sources japonaises. — Notons encore, dans un autre ordre d’idées, les dernières pages d’un article sur La politique mondiale du Vatican, où M. F. W. Foerster exprime, en vue d’une entente entre l’Orient et l’Occident, le vœu que l’Église catholique s’intéresse, « officiellement » en quelque sorte, à la compréhension des traditions métaphysiques de l’Asie. Nous craignons malheureusement que cette idée ne soit pas inspirée que par des motifs entièrement désintéressés et vraiment « universalistes » : « reconnaître toute la grandeur de la sagesse orientale », cela est parfait ; mais, quand on ajoute : « comme l’Église a reconnu dans le passé la sagesse grecque en tant que force spirituelle », c’est d’abord vouloir assimiler des choses qui ne sont pas réellement du même ordre, car tradition n’est pas philosophie, et cela nous rappelle aussi certaines arrière-pensées d’« annexion » que, sous des formules assez semblables, nous avons déjà rencontrées ailleurs ; nous n’avons, hélas ! que trop de raisons de nous méfier…
— Le Harvard Journal of Asiatic Studies (no d’avril) publie une importante étude de M. Ananda K. Coomaraswamy intitulée Vedic Exemplarism : il s’agit de la relation entre nâma et rûpa, considérés comme correspondant respectivement aux idées ou raisons éternelles des choses et aux choses elles-mêmes sous leurs aspects accidentels et contingents ; et « l’exemplarisme, en dernière analyse, est la doctrine traditionnelle de la relation, cognitive et causale, entre l’un et le multiple ». Ceci est remarquablement illustré par une application du symbolisme de la roue : « tous les rayons sont représentés in principio à leur centre commun », qui est « un point unique, et cependant, pour chaque rayon, son propre point de départ ». Les textes vêdiques qui se rapportent à cette question donnent lieu à de nombreux et très suggestifs rapprochements avec les doctrines de la scolastique médiévale, ainsi que du néo-platonisme ; nous les recommandons tout particulièrement à l’attention de ceux qui s’obstinent à ne pas vouloir comprendre que les idées vraiment traditionnelles sont partout les mêmes au fond.
— Du même auteur, dans le Bulletin of the Museum of Fine Arts de Boston (no d’avril), une note sur le symbolisme du makara, où nous signalerons notamment d’intéressantes considérations sur l’étroit rapport des symboles de l’Amour et de la Mort, auquel nous avons eu nous-même l’occasion de faire quelques allusions à propos des « Fidèles d’Amour »(*).
— Dans le Rayonnement Intellectuel (no de janvier-février) M. L. Charbonneau-Lassay étudie Le Signaculum Domini dans l’héraldique médiévale ; à cette occasion, il expose quelques considérations générales sur l’héraldique, qui est beaucoup plus ancienne qu’on ne le dit communément, et qui, en un certains sens, est même véritablement de tous les temps, car on en rencontre l’équivalent dans toutes les civilisations antiques ; ce n’est d’ailleurs, en fait, qu’un usage particulier du symbolisme.
— Le Compagnon du Tour de France (no d’avril) reproduit le début de l’article de notre collaborateur Élie Lebasquais sur L’Architecture sacrée des Cathédrales.
— Dans Atlantis (no de mars), M. paul le cour se livre à de bien étranges commentaires sur L’Apocalypse et les temps actuels ; nous ne voulons pas y insister, mais ceux qui aiment les lectures « distrayantes » pourront passer là quelques bons moments… Remarquons que, dans son langage, le mot Apocalypse est masculin ; y aurait-il quelque raison « cabalistique » à cette particularité ? — Un de ses collaborateurs veut rendre Pline responsable de l’apparent oubli de l’Atlantide au moyen âge, ce qui nous semble un peu excessif ; il est vrai que ce n’est guère là que le prétexte à un grand étalage d’érudition.
— Dans le Speculative Mason (no d’avril), un article intitulé The preparation for death of a Master Mason contient des vues intéressantes sur le véritable sens de l’« immortalité » ; ce qui y est dit paraît d’ailleurs, d’une façon générale, pouvoir s’appliquer surtout à la « mort initiatique ». — Signalons aussi une étude comparative de plusieurs anciens manuscrits maçonniques qui ont été reproduits précédemment ; il en résulte de curieuses constatations quant aux déformations qu’ont subies avec le temps certains termes qui étaient jadis en usage dans la Maçonnerie opérative.
— Dans le Grand Lodge Bulletin d’Iowa (no de mars), suite de l’étude sur la Grande Loge d’Athol ou des « Anciens » ; il est intéressant de noter que parmi les innovations que ceux-ci reprochaient aux « Modernes », figure, à côté de certains changements dans le rituel et les moyens de reconnaissance, le fait de ne pas observer régulièrement les fêtes des deux saints Jean.
— Dans le Symbolisme (no d’avril), Oswald Wirth écrit sur Les vrais Landmarks un article remarquablement vague, et qui n’apporte guère de clarté sur cette question si controversée ; nous ferons seulement remarquer que ce n’est certes pas en s’écartant de plus en plus de la tradition opérative que la Maçonnerie peut demeurer réellement initiatique. — Albert Lantoine intitule Les Indésirables un article vraiment dur pour les politiciens et surtout pour les parlementaires. — G. Persigout, comme suite à son précédent article, parle de L’Antre, lieu d’évocations et d’oracles ; il y envisage les choses à un point de vue un peu trop exclusivement « physique », mais certaines remarques qu’il ne fait guère qu’esquisser pourraient, si on les approfondissait, conduire à des considérations d’une certaine importance relativement à la « géographie sacrée ».
— Depuis longtemps, nous n’avions pas eu à nous occuper de la Revue Internationale des Sociétés Secrètes, celle-ci paraissant vouloir se cantonner sur un terrain politique qui ne nous regarde en rien ; mais voici qu’elle publie, dans son no du 1er avril, un article sur L’Occultisme contemporain, signé J. Ravens, qui rappelle étrangement la « manière » de quelques-uns de ses défunts collaborateurs. On y entretient une savante confusion entre des choses qui relèvent respectivement de l’initiation, de la pseudo-initiation et de la contre-initiation ; en même temps, on parle de l’astrologie avec de curieux ménagements, ce qui, à vrai dire, est de rigueur dans une revue fondée par l’astrologue Fomalhaut ! En tête d’une énumération des publications « occultistes », on éprouve le besoin de placer le Voile d’Isis ; combien de fois nous faudra-t-il donc protester contre cette calomnie ? En ce qui nous concerne plus particulièrement, on affirme que nous avons fait partie du Rite « judéo-égyptien » (?) de Misraïm, ce qui est non seulement faux, mais matériellement impossible : étant donné le temps depuis lequel ce Rite a cessé toute activité, il faudrait pour cela que nous ayons un âge que nous sommes loin d’avoir atteint ! Encore est-il bien honnête, de la part de ces Messieurs, de reconnaître que, entre nous et certaines organisations d’un caractère plus que suspect, « les ponts sont coupés » ; nous regrettons d’être moins sûr, après avoir lu cet article, qu’ils le soient aussi entre la R. I. S. S. elle-même et… certaines autres choses auxquelles nous avons été obligé jadis de faire quelques allusions qu’on a paru trouver plutôt embarrassantes…