Juillet 1936

— Le Journal of the Indian Society of Oriental Art (no de décembre 1935) a publié une importante étude de M. Ananda K. Coomaraswamy sur la peinture jaïna, qui, conçue dans le même esprit que ses Elements of Buddhist Iconography dont nous parlons d’autre part, complète d’heureuse façon les vues exposées dans ceux-ci ; et le sous-titre : « Explicitur reductio hæc artis ad theologiam », inspiré d’un opuscule de saint Bonaventure, en précise nettement les intentions. Comme le Bouddhisme, le Jaïnisme, bien qu’hétérodoxe et rejetant même formellement la tradition vêdique, n’a pourtant, en fait, rien changé d’essentiel à la conception primordiale d’un Avatâra éternel, si bien qu’on peut faire, au sujet des représentations de la « vie du Conquérant » (Jina-charitra), des observations parallèles à celles auxquelles donne lieu la vie du Bouddha. L’auteur fait aussi remarquer que la révolte du pouvoir temporel (kshatra) contre l’autorité spirituelle (brahma), que reflète le Jaïnisme aussi bien que le Bouddhisme, est en quelque sorte préfigurée, comme possibilité, par un certain aspect « luciférien » de l’Indra vêdique ; les doctrines hétérodoxes qui présentent un tel caractère pourraient donc être considérées comme la réalisation même de cette possibilité au cours d’un cycle historique. L’étude se termine par d’intéressantes considérations sur la méthode de « narration continue » employée dans les peintures dont il s’agit, et par laquelle « une succession d’événements est représentée en simultanéité spatiale », ce qui restitue en quelque façon, analogiquement, le caractère intemporel de leur archétype métaphysique. Tout ceci, bien entendu, peut s’appliquer également à ce qu’on trouve de similaire dans l’art chrétien ou dans tout autre art traditionnel, qui procède toujours, par une dérivation continue, de la « tradition universelle et unanime » (sanâtana dharma), dont la source ultime est une « révélation » (shruti) « reçue au commencement de la Lumière des Lumières ».

— Les Archives de Trans-en-Provence publient, depuis 1931 (mais nous n’en avons eu connaissance que tout récemment), de très intéressantes études sur les origines de la Maçonnerie moderne, dues à leur directeur, M. J. Barles ; celui-ci a entrepris ces recherches d’une façon entièrement indépendante et sans aucun parti pris, et c’est sans doute pour cela que, sur bien des points, il approche de la vérité beaucoup plus que tous les historiens plus ou moins « officiels ». Pour lui, la véritable Maçonnerie n’est certes pas, comme le disent certains, « l’institution née en 1717 » ; il voit bien plutôt cette dernière comme le schisme qu’elle fut en réalité. Quant aux raisons de ce schisme, nous trouvons qu’il a une tendance (d’ailleurs explicable par le fait que ce fut là le point de départ de ses recherches) à s’exagérer le rôle qu’ont pu y jouer les protestants français réfugiés en Angleterre à la suite de la révocation de l’Édit de Nantes ; en fait, à la seule exception de Desaguliers, on ne voit pas qu’ils aient pris une part active à l’organisation de la Grande Loge. Cela ne change d’ailleurs peut-être rien au fond des choses : les fondateurs de la Grande Loge, quelle qu’ait été leur origine, étaient en tout cas incontestablement des « Orangistes » ; et il y avait là une intrusion de la politique à laquelle les Maçons fidèles à l’ancien esprit initiatique de leur Ordre n’étaient pas moins opposés qu’aux diverses innovations qui s’ensuivirent. M. Barles fait remarquer très justement que les Loges qui s’unirent en 1717 étaient toutes de formation très récente, et aussi que, d’autre part, il y avait encore à cette époque beaucoup plus de Loges opératives en activité qu’on ne le dit d’ordinaire. Un point sur lequel nous nous permettrons de n’être pas de son avis, cependant, c’est celui qui concerne l’incendie des archives de la Loge de Saint-Paul : selon toute vraisemblance, les responsables n’en furent point des Maçons traditionnels craignant qu’on ne publiât les Old Charges, ce dont personne n’eut jamais sérieusement l’intention, mais, bien au contraire, les novateurs eux-mêmes, qui précisément n’avaient rassemblé ces anciens documents que pour les faire disparaître après en avoir utilisé ce qui leur convenait, afin qu’on ne pût faire la preuve des changements qu’ils y avaient introduits. Il est fâcheux aussi que l’auteur ait cru que « spéculatif » voulait dire simplement « non professionnel » ; là-dessus, nous renverrons à l’article qu’on pourra lire d’autre part(*), et dans lequel nous expliquons le véritable sens des mots « opératif », et « spéculatif ». Dans ce même article, nous donnons aussi l’explication des termes « Maçons libres et acceptés » sur lesquels il s’est mépris également, faute d’en connaître l’interprétation traditionnelle, qui, du reste, n’a jamais donné lieu à aucune divergence. Il ne semble pas connaître non plus les relations symboliques par lesquelles s’explique le rôle des deux saints Jean dans la Maçonnerie, ni l’origine antique des « fêtes solsticiales » ; mais, après tout, ces diverses lacunes sont bien excusables chez quelqu’un qui, visiblement, n’a jamais fait de ces questions une étude spéciale. Signalons d’autre part que M. Barles a retrouvé par lui-même quelque chose qui se rapporte à un secret « opératif » bien oublié aujourd’hui : il s’agit de la correspondance « psychique » des signes et attouchements, c’est-à-dire, en somme, de leur correspondance avec la « localisation » des centres subtils de l’être humain, à laquelle il nous est arrivé de faire nous-même quelques allusions ; et il en conclut, avec beaucoup de raison, qu’il y a là l’indication d’un lien direct avec les grandes initiations de l’antiquité. Nous aurons certainement, par la suite, et à mesure de leur publication, à revenir sur ces travaux, dont nous tenons à redire encore tout le mérite et l’intérêt.

Atlantis (no de mai) publie une conférence sur Inspiration et Prophétisme, dont l’auteur, M. Gaston Luce, semble croire que la « clairvoyance » et autres facultés psychiques du même ordre « nous mettent en relation avec le monde de l’esprit », et même qu’elles sont assimilables à « l’intuition envisagée sous sa forme spirituelle et métaphysique » ; ne confondrait-il pas fâcheusement la « métaphysique » avec la « métapsychique »… et « l’esprit » avec « les esprits » ou soi-disant tels ? — Dans diverses notes, M. paul le cour reparle encore à plusieurs reprises du Hiéron du Val d’Or, dont le directeur, paraît-il, « était doué du pouvoir prophétique » (!), et dont il déclare vouloir « continuer l’œuvre » ; enregistrons ces affirmations sans les affaiblir par le moindre commentaire… et attendons sans trop d’impatience la venue de l’« ère du Verseau » !

— Dans le Grand Lodge Bulletin d’Iowa (no d’avril), suite de l’examen des principales divergences entre les « Anciens » et les « Modernes » ; en dehors des différences d’ordre plutôt « administratif », notons l’emploi par les « Anciens » d’un alphabet maçonnique d’origine « opérative », et aussi la controverse concernant la place du grade de Royal Arch dans la Maçonnerie. — Dans le no de mai, il est encore question de quelques autres Grandes Loges dissidentes, peu importantes d’ailleurs et dont la durée ne fut qu’éphémère. Un point assez curieux, c’est l’existence en Angleterre, au xviiie siècle, d’une Scotts Masonry, qui semble avoir constitué une sorte de degré spécial, mais sur laquelle on ne possède aucun renseignement précis ; s’agirait-il de quelque chose de similaire au grade de « Maître Écossais » qui était pratiqué en France à la même époque ?

— Dans le Symbolisme (no de mai), G. Persigout continue sa série d’études par Les Déesses-Mères et les Sanctuaires métroaques ; il y a là encore, entre les vestiges de diverses traditions archaïques, des rapprochements intéressants, mais qui ne sont pas tous également incontestables. L’ensemble des « trois mondes » ne peut pas être qualifié de « Trimourti cosmique » ; le « régime originel du matriarcat » n’est qu’une hypothèse bien sujette à caution ; et la question des « Dieux noirs » n’est pas résolue d’une façon entièrement satisfaisante. — Un discours intitulé La Tradition sacrée d’Israël, publié en supplément, est d’un ton qui veut probablement être plaisant, mais qui ne réussit qu’à être bien « profanement » désagréable.

— Le « Club du Faubourg » a consacré une séance, le 9 juin, à L’Occultisme à Paris ; c’est là une chose qui ne devrait assurément nous concerner en aucune façon, mais il paraît pourtant que nous y fûmes « convoqué » (?) et en quelle compagnie ! Comme nous n’apprécions guère les mauvaises plaisanteries, on doit se douter sans peine que, même si une « convocation » avait matériellement pu nous toucher, nous ne nous y serions certes pas rendus. Mais le côté réellement intéressant et instructif de cette histoire consiste en ceci : le programme comportait une liste de la « presse occultiste » ; or cette liste avait été copiée textuellement, et en suivant scrupuleusement l’ordre d’énumération, dans… l’article de la R. I. S. S., du 1er avril dont nous avons parlé le mois dernier ! Nous n’y avons relevé que deux modifications : la suppression d’une revue qui, apparemment, a cessé de paraître, et l’addition d’une autre… qui n’a jamais existé : un mot imprimé en capitales au début d’un alinéa, et qui se rapportait simplement à un article cité, a été pris pour le titre d’un périodique et est venu à son rang comme tel ; et cette erreur même ne peut laisser subsister le moindre doute sur la « source » de la liste en question. Nous ne pouvions vraiment passer cette « curiosité » sous silence, car voilà qui jette encore une lueur bien singulière sur certaines « ramifications » !