Juin 1937
— Dans la Vita Italiana (no d’avril), M. J. Evola publie un article intitulé Dall’ « esoterismo » al sovversivismo massonico, dans lequel il critique sur certains points l’attitude de l’antimaçonnisme vulgaire : il reconnaît en effet l’existence dans la Maçonnerie d’une tradition symbolique et rituelle en rapport avec « des doctrines ou des courants préexistants à sa forme actuelle et d’un caractère spirituel incontestable » ; il proteste en outre contre l’interprétation qui voudrait voir là une sorte de tradition « antichrétienne », ce qui a d’autant moins de sens que, si l’on examine ces antécédents de la Maçonnerie, « on se trouve conduit à des traditions effectivement antérieures au Christianisme », et il signale aussi le caractère hiérarchique et aristocratique que ces traditions eurent toujours à leurs origines. Seulement, comme il y a là quelque chose qui semble inconciliable avec les tendances que l’on constate dans la Maçonnerie actuelle, il se demande s’il y a bien eu une filiation continue, ou s’il n’y a pas eu plutôt une sorte de « subversion » ; il inclinerait même à penser que les éléments traditionnels ont pu être simplement « empruntés » à des sources diverses, sans qu’il y ait eu transmission régulière, ce qui expliquerait, suivant lui, une déviation qui aurait été impossible « si l’organisation maçonnique avait été conduite par des chefs qualifiés ». Nous ne pouvons le suivre sur ce point, et nous regrettons qu’il se soit abstenu d’étudier de plus près la question des origines, car il aurait pu se rendre compte qu’il s’agit bien d’une organisation initiatique authentique, qui a seulement subi une dégénérescence ; le début de cette dégénérescence, c’est, comme nous l’avons dit souvent, la transformation de la Maçonnerie opérative en Maçonnerie spéculative, mais on ne peut parler ici de discontinuité : même s’il y eut « schisme », la filiation n’est pas interrompue pour cela et demeure légitime malgré tout ; la Maçonnerie n’est pas une organisation fondée au début du xviiie siècle, et, au surplus, l’incompréhension de ses adhérents et même de ses dirigeants n’altère en rien la valeur propre des rites et des symboles dont elle demeure la dépositaire.
— Dans les Archives de Trans (no de mars), M. J. Barles aborde la question des rapports de la Maçonnerie avec les Rose-Croix, mais malheureusement avec des informations bien insuffisantes et même de qualité douteuse ; il se réfère en effet à l’Histoire des Rose-Croix théosophiste de F. Wittemans, et il fait même état d’une assertion fantaisiste de l’Imperator de l’A. M. O. R. C. Il ne faut d’ailleurs pas confondre Rose-Croix et Rosicruciens, et, parmi ces derniers, il y aurait encore bien des distinctions à faire ; mais ce qui est certain en tout cas, c’est que, s’il y eut dans la Maçonnerie anglaise des Rosicruciens authentiques et non dégénérés, ce n’est pas du côté « spéculatif » qu’ils purent se trouver. Signalons aussi qu’il convient de se méfier de la légende, qu’on cherche à accréditer actuellement pour des raisons peu claires, d’après laquelle Newton aurait joué un rôle dans la Maçonnerie, uniquement sous prétexte qu’il fut en relations personnelles avec Desaguliers ; c’est là une supposition toute gratuite, et d’ailleurs nous ne voyons vraiment pas en quoi un « grand homme » au point de vue profane devrait forcément avoir une importance quelconque dans l’ordre initiatique.
— Le Speculative Mason (no d’avril) donne une description détaillée des rites du couronnement des rois d’Angleterre et des objets qui y sont employés. — Un article consacré aux « trois colonnes », en rapport avec les trois ordres d’architecture, contient des rapprochements intéressants avec l’« arbre séphirothique » et avec certaines données qui se rencontrent dans diverses autres traditions. — Une étude sur le symbolisme des mains et des « signes manuels », considérés comme des restes d’un véritable langage (ce sont en somme les mudrâs de la tradition hindoue), ne nous paraît pas aller tout à fait assez au fond des choses, bien que remontant jusqu’à la préhistoire ; la question de la variation des rapports de la droite et de la gauche, en particulier, demanderait à être examinée de très près. Notons aussi, à propos d’une allusion à certaines pratiques de « magie noire » qu’il y a là tout un côté réellement « sinistre » auquel il y aurait probablement lieu de rattacher le rôle important joué par les apparitions de mains dans les phénomènes de hantise et les manifestations spirites ; nous ne pensons pas que cette remarque ait jamais été faite, et pourtant elle est loin d’être sans intérêt. — Signalons enfin un article sur la signification de la Mark Masonry et les caractères qui la distinguent de la Craft Masonry.
— Dans le Grand Lodge Bulletin d’Iowa (no de mars), étude sur le bijou de Past Master et ses différentes formes, et sur la 47e proposition d’Euclide (théorème du carré de l’hypoténuse), représentée dans la forme anglaise, dans ses rapports avec le problème de la construction d’un angle droit.
— Dans le Symbolisme (no d’avril), Albert Lantoine étudie la question des Loges d’Adoption ; il voudrait qu’on en revienne à la conception du xviiie siècle, seule d’accord avec leur symbolisme, « en limitant les travaux d’adoption à l’examen et à l’administration des œuvres philanthropiques de l’Ordre ». — G. Persigout envisage L’Œuf philosophique dans ses rapports avec l’« Œuf du Monde » et la devise écossaise Ordo ab Chao, et, selon divers rituels, « l’assimilation de l’œuf et de l’embryon à l’Initiation et à la Résurrection ».
— Nous recevons une nouvelle publication intitulée La Clé, mensuelle, éditée par le « Groupe du Prieuré de Bazainville » comme le livre La Clé dont nous avons rendu compte en son temps(*). Comme M. G. Barbarin est manifestement un des principaux membres du groupe en question, nous ne sommes pas surpris de retrouver là les histoires de la « Grande Pyramide » et des « tribus d’Israël » ; il y a aussi une autre histoire de « tablettes préhistoriques » supposées provenir du continent disparu de Mu (autrement dit la Lémurie), qui est également d’origine anglaise et qui ne paraît guère moins sujette à caution… Parmi les autres articles, nous en noterons un où le Hatha-Yoga est défini comme « la science de la santé du corps », ainsi qu’il est de mode aujourd’hui en Occident, et dans lequel on trouve même la recette d’un « bain Yoga » (sic) !
— L’Astrosophie (no d’avril) consacre à la Voie Métaphysique une note vraiment étrange ; nous ne nous serions certes jamais douté que ce fût un « petit livre », ni qu’on pût le juger « rempli d’illogisme » et seulement « utile pour permettre une rapide compréhension de la pensée métaphysique chinoise ». On l’a peut-être lu rapidement, mais on n’a pas dû y comprendre grand’chose, car autrement on ne dirait pas que l’auteur « donne un caractère éthique à un système destitué de toute divinité » (sic) ; cela dépend de ce qu’on veut entendre par « divinité », mais, pour ce qui est du « caractère éthique », il n’y en a pas la moindre trace dans le livre. Quant aux deux « grosses erreurs » qu’on prétend relever, la première, à savoir « que Confucius fut un communiste », n’en est une que par le fait d’un bel anachronisme : à l’époque où le livre fut écrit, « communisme » ne voulait pas dire « bolchévisme », pour la bonne raison que ce dernier n’était pas encore né. Pour la seconde, c’est mieux encore : elle consiste, paraît-il, à dire « que le Taoïsme est non-dualiste, bien que le Yin-Yang soit un symbole double, et que les Trigrammes de Fo-Hi soient exclusivement basés sur le double symbole de la ligne droite et de la ligne brisée » ; ici, évidemment, le rédacteur du compte rendu confond « dualité » avec « dualisme », ce qui lui fait voir une contradiction là où il n’y en a pas ; la connaissance… approximative du français dont témoigne son style est-elle une excuse suffisante à d’aussi « grosses » méprises ?