Décembre 1937
— Dans les Archives de Trans (no d’août-septembre), M. J. Barles étudie la préparation du Livre des Constitutions de la Grande Loge d’Angleterre ; il y aurait beaucoup à dire sur la façon spéciale dont les Old Charges y furent utilisées… et déformées tendancieusement. Nous nous bornerons à faire remarquer que, au point de vue initiatique, les novateurs étaient fort loin de constituer une « élite », quelle que fût leur « culture » profane, et que, au lieu d’« élever le niveau intellectuel de l’ancienne Maçonnerie », ils firent surtout preuve d’ignorance et d’incompréhension à l’égard de sa tradition ; ils n’en connaissaient d’ailleurs pas tous les grades, ce qui explique aussi bien des choses ; et ils ne pouvaient certes pas « appartenir à l’Ordre des Rose-Croix », d’autant plus qu’un tel nom n’a jamais été porté authentiquement par aucune organisation.
— Dans Atlantis (no de septembre), M. paul le cour étudie les Symboles linéaires (c’est-à-dire géométriques) ; il dit à ce sujet certaines choses qui sont justes, bien qu’assez élémentaires d’ailleurs, et d’autres qui le sont beaucoup moins ; il a parfaitement raison de dénoncer bien des erreurs et des oublis dans les interprétations les plus courantes du symbolisme, mais il lui arrive d’en commettre aussi, notamment quand il touche au symbolisme maçonnique, sur lequel il a des idées un peu trop spéciales ! Ajoutons qu’il ne saurait y avoir de « symbolisme profane » ; qu’on dise « symbolique » ou « symbolisme », il s’agit toujours, non pas forcément d’une « science religieuse », mais en tout cas d’une science sacrée ou traditionnelle.
— Le Speculative Mason (no d’octobre) contient une étude de la devise « Liberté, Égalité, Fraternité », qui, loin d’être réellement d’origine maçonnique comme on le croit d’ordinaire, apparaît au contraire pour la première fois dans un écrit antimaçonnique, Les Francs-Maçons écrasés, publié en 1747 ; elle n’en fut pas moins adoptée assez tôt par la Maçonnerie française, mais y fut prise d’abord en un sens purement spirituel, d’ailleurs conforme aux enseignements du rituel, et n’ayant rien de commun avec l’interprétation profane qui prévalut malheureusement par la suite. — Un article intitulé Building in Harmony donne une curieuse description de la construction d’un violon.
— Dans le Symbolisme (no d’août-septembre), sous le titre De l’Équerre au Compas, qui serait d’ailleurs susceptible d’un bien autre sens symbolique que celui qu’il lui donne (qu’on se rappelle ici notamment la signification du carré et du cercle dans la tradition extrême-orientale), Oswald Wirth dénonce justement, une fois de plus, l’erreur consistant à introduire dans une organisation initiatique des institutions administratives calquées sur le modèle profane ; mais, en même temps, il réédite encore la méprise courante sur le vrai sens des mots « opératif » et « spéculatif », qui pour lui ne sont guère que les synonymes respectifs d’« ouvrier » et de « bourgeois » ! Contrairement à ce qu’il semble croire, d’ailleurs, c’est déjà beaucoup que de conserver scrupuleusement et intégralement le rituel, même sans le comprendre, et cela n’a certes rien d’un « jeu », car il ne s’agit point en ce cas d’une parodie ; mais, si l’initiation, dans ces conditions, demeure simplement virtuelle au lieu d’être effective, c’est précisément en cela que la Maçonnerie moderne n’est plus que « spéculative », c’est-à-dire privée des « réalisations » que permettait l’ancienne Maçonnerie « opérative », en partie sans doute parce que celle-ci avait pour base la pratique réelle du métier de constructeur, ce qui va bien plus loin qu’on ne le pense, mais en partie aussi pour d’autres raisons relevant de la « technique » initiatique en général, et évidemment tout à fait inaccessibles aux « esprits distingués » qui organisèrent la Grande Loge d’Angleterre ; encore est-il fort heureux pour celle-ci qu’il se soit trouvé des Maçons « opératifs » qui voulurent bien, un peu plus tard, corriger, au point de vue rituélique tout au moins, les fâcheux effets de l’ignorance de ses fondateurs… — Dans un article intitulé Les Dieux reviennent, Albert Lantoine proteste contre l’influence de l’esprit « démagogique » de l’époque actuelle, qui se traduit en particulier, quant au recrutement maçonnique, par l’importance attribuée à la quantité au détriment de la qualité ; il croit d’ailleurs apercevoir quelques indices d’un commencement de réaction contre cette tendance, et nous souhaitons qu’en cela il ne se trompe pas… — G. Persigout étudie cette fois la devise hermétique Visita Interiora Terræ… (il oublie de signaler la variante Inferiora, qui pourtant offre peut-être une signification encore plus complète), le rapport des « rectifications » alchimiques et des « purifications » initiatiques, et la correspondance des uns et des autres avec les éléments. — Dans le no d’octobre, Albert Lantoine consacre un long article à la question du Grand Architecte de l’Univers et aux controverses auxquelles elle a donné et donne encore lieu ; certaines interprétations modernes sont assurément bien détournées et fantaisistes, comme il le dit, mais, d’un autre côté, peut-on se contenter de déclarer, sans plus de précision, que « le Grand Architecte est le terme maçonnique de Dieu » ? Il y a lieu de distinguer entre les aspects divins, et traditionnellement on l’a toujours fait : tout nom spécial doit ici correspondre à une fonction ou à un attribut déterminé ; et, si un exotérisme simpliste peut à la rigueur se passer de ces distinctions, il ne saurait en être de même au point de vue initiatique ; seulement, pour comprendre vraiment les choses de cet ordre, il faut remonter à de lointaines origines et ne pas faire commencer la Maçonnerie au xviiie siècle…